Autoportrait d'Henri Aimé Gauthé par la 3eC

Publié le par Professeur L

Reconstitution d'une tranchée au Musée Somme 1916 à Albert.

Reconstitution d'une tranchée au Musée Somme 1916 à Albert.

Année scolaire 2015-2016 – Collège Jules Vallès de Saint Leu d'Esserent

Niveau troisième – séquence 1 : écrire la guerre

Séance 1

Support : Lettre d'Henri Aimé Gauthé à Marie-Alice Jeannot, sa correspondante de guerre. Extrait de Paroles de Poilus, Lettres et carnets du front 1914-1918 rassemblés par Jean-Pierre Guéno et Yves Laplume

Objectifs : découvrir un autoportrait moral et physique, comprendre que l'écriture est un moyen de résister contre la déshumanisation et de conserver sa dignité

 

Commentaire élaboré à partir des synthèses de Joséphine, Clara, Elisa, Aurore, Nolan, Bastien

 

Le texte est une lettre sous forme de poème, destinée aux générations à venir. . Il y a des rimes : « grand » rime avec « argent ». Le poème évoque la Première Guerre mondiale (1914-1918). L'auteur raconte les horreurs et la souffrance de la guerre. L'auteur se décrit, comme le prouve l'utilisation du pronom personnel « je ». Il utilise aussi des articles possessifs à la première personne du singulier : « mon », « ma ».

Chaque vers est un alexandrin, avec des hémistiches qui s'opposent et qui sont construits comme des antithèses. Par exemple, le premier hémistiche dans le vers « Je suis doux et timide avec des airs pervers » dévoile les qualités de l'écrivain, qui, comme on le découvrira par la suite, est un soldat. Il révèle son côté doux et innocent, alors que le second hémistiche « avec des airs pervers » n'a rien d'innocent, bien au contraire. Il nous paraît alors dangereux et malsain. Alors que dans le premier hémistiche l'auteur se valorise, se décrit de façon méliorative, on découvre que dans tout le reste du poème, dans les autres moitiés d'alexandrins, il se rabaisse, se dévalorise, se décrit de façon péjorative : «pervers », « phrases rosses », « piqûres atroces », « amer », « décevant », « gros et gras », « à la piètre figure », s'opposent à « doux et timide », « ma parole facile », « mon sourire », « mon rire », le chevalier » ce qui construit une série d'antithèses sur tout le poème. Le premier hémistiche révèle un aspect lumineux, calme, charmant, alors que le deuxième hémistiche dévoile le côté obscur du personnage. On pourrait dès lors le comparer au héros de L'Etrange Cas de Docteur Jekyll et Mister Hyde de Robert Louis Stevenson (1886) car comme lui, il a une double personnalité. Il donne aussi comme impression qu'il est sadique et qu'il torture les gens. Il se ridiculise également en se comparant à Don Quichotte, l'anti-héros du roman de Cervantes qui se prenait pour un vaillant chevalier, à travers la périphrase : « je suis le chevalier de la piètre figure ».

Le poème est mélancolique, triste, et montre à quel point la guerre l'a enlaidi et déshumanisé. En utilisant le parallélisme de construction et les antithèses dans les alexandrins, l'auteur parvient à produire un rythme mélancolique. La guerre enlaidit aussi bien le corps que l'âme, ce qui nous montre son horreur. La tournure du poème est si pathétique qu'on a pitié du héros. Le personnage se dévalorise aussi en utilisant une comparaison sanglante : « ma lèvre est rouge comme une fraîche blessure. » Quand il compare sa lèvre à une blessure, ceci nous fait penser directement à la guerre. Cela signifie aussi qu'on ne peut pas le comprendre si l'on fait abstraction de la guerre. Sa personnalité est devenue indissociable de la guerre. Mais la guerre est tellement cruelle qu'elle devient impossible à décrire. Le personnage se décrit alors comme un anti-héros, car il n'est pas fait pour aller à la guerre et se battre. Il ne se sent plus humain, car il vit et mange avec les rats, les poux, la boue et l'odeur des cadavres.

La façon dont il se dévalorise et se dénigre nous fait penser au personnage fictif de Quasimodo dans Notre-Dame de Paris de Victor Hugo (1831), ou encore à la Bête, dans la Belle et la Bête de Leprince de Beaumont (1757). Dans ces deux textes en effet, le héros se caractérise par la disproportion et le déséquilibre entre l'extérieur et l'intérieur, et affiche une laideur physique monstrueuse, qui cache cependant une véritable humanité. L'auteur se voit comme un monstre. Nous supposons que l'idée de dénoncer toutes ces cruautés l'a peut-être soulagé et encouragé à combattre sa peur : sa peur de lui-même, de ce qu'il est devenu. Si ce que nous pensons est vrai, alors c'est une catharsis. Il écrit cette lettre pour se confier, pour se délivrer de toute cette haine, de cette peur. Toutes ces horreurs le détruisent moralement et physiquement. Pour ce soldat, écrire est une sorte de délivrance et un moyen de garder sa dignité. L'écriture est donc la seule chose qui le rattache à l'humanité.

Il a peur de lui car il veut rester humain et conserver sa dignité et son humanité. En écrivant, c'est une façon de le soulager de toute cette peur. Il voit les choses d'une façon différente. En temps normal, un soldat est un héros, il va à la guerre et défend sa patrie, il est courageux, brave et honorable, alors que lui voit un soldat comme un monstre sans dignité ou sans humanité, obligé de tuer contre sa volonté.

En lui-même, s'il ne se prend pas pour un héros, il en est un, car en écrivant, il se montre fort et courageux, luttant pour conserver sa dignité, sa personnalité et son humanité, en racontant ses angoisses et ses émotions en guise de catharsis. Il est brave car il se bat, il est honnête, ses mots sont crus et il ne veut pas cacher la vérité. Il n'affronte pas le fait d'être un soldat, mais il affronte ce qu'il est devenu. Henri Aimé Gauthé a écrit ce texte pour montrer l'horreur de la guerre, ce qu'il est devenu, ce qu'il fait. A travers ce texte, on a vu qu'il est devenu un monstre, un assassin. Il a été déshumanisé. Il a perdu toute sorte de sentiments, mais à travers l'écriture il arrive à retrouver sa foi en l'humanité, un de ses sentiments. Il retrouve petit à petit la dignité à travers l'écriture de ses lettres.

Au terme de cette analyse, on peut voir que le texte est intéressant, car il s'inscrit à rebours des poèmes épiques traditionnels qui glorifient la guerre et le soldat. Dans les épopées antiques comme l'Iliade d'Homère, dans les chansons de geste du Moyen-Age comme La Chanson de Roland, ou dans les romans de chevalerie comme Yvain ou le chevalier au lion de Chrétien de Troyes, la guerre est vue comme l'occasion privilégiée pour le personnage principal de devenir un héros valeureux. La guerre a longtemps été considérée comme le meilleur moyen de devenir un homme, en faisant preuve de courage. Dans le poème d'Henri Aimé Gauthé, c'est l'inverse qui apparaît : on comprend que la guerre n'est pas une voie d'accès à l'héroïsme, mais une barbarie qui engendre des monstres. Et ce qui permet de résister à cette barbarie et à cette déshumanisation, c'est l'écriture, qui possède une fonction cathartique.

 

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