Autoportrait d'Henri Aimé Gauthé : synthèse collective

Publié le par Professeur L

La guerre des mines d'Ovillers-la-Boisselle, Lochnagar Crater. Vestige de la bataille de la Somme le 1er juillet 1916.

La guerre des mines d'Ovillers-la-Boisselle, Lochnagar Crater. Vestige de la bataille de la Somme le 1er juillet 1916.

Année scolaire 2015-2016 – Collège Jules Vallès de Saint Leu d'Esserent

Niveau troisième – séquence 1 : écrire la guerre

Séance 1

Objectifs :

1. découvrir un poème engagé et explicite,

2. reconnaître l'autoportrait physique et moral (l'éthopée)

3. comprendre la déshumanisation, la dignité et la catharsis : l'écriture est une forme de catharsis permettant de résister contre la déshumanisation et de conserver sa dignité

Support : Lettre d'Henri Aimé Gauthé à Marie-Alice Jeannot, sa correspondante de guerre. Extrait de Paroles de Poilus, Lettres et carnets du front 1914-1918 rassemblés par Jean-Pierre Guéno et Yves Laplume

 

Synthèse élaborée à partir des copies d'Elliot, de Manon, d'Alexandre, de Chloé, de Romain, de Travis, de Valentin, de Baptiste, de Florie, de Tristan, d'Amélia, de Sébastien, d'Aline, de Doriane, de Mégane et Johnny

Cette lettre sous forme de poème a été écrite par Henri Aimé Gauthé, fils d'un limonadier de Château-Chinon, simple soldat de la 2e classe et agent de liaison, à sa correspondante de guerre Marie-Alice Jeannot. Elle a été écrite pendant la Première Guerre mondiale, le 10 janvier 1918. Ce texte est un poème en alexandrins. L'auteur a voulu montrer, dénoncer l'horreur de la guerre, et en a fait un poème engagé. Dans ce texte, tous les hémistiches s'opposent. Dans le premier hémistiche, il se montre comme quelqu'un de "doux et timide" (vers 3) et dans le second il se dévoile comme un monstre : "avec des airs pervers" (vers 3). Ces vers sont construits sur une série d'antithèses entre chaque hémistiche, et aussi à l'intérieur d'un même hémistiche : « mon sourire est amer, mon rire décevant. »

L'auteur nous dévoile deux facettes de sa personnalité, une lumineuse et une obscure. Ses deux facettes sont à mettre en parallèle avec L'Etrange Cas du docteur Jekyll et Mister Hyde de Robert Louis Stevenson. Dans son poème, Henri Aimé Gauthé se dévalorise. Il nous donne un décalage entre sa véritable personnalité et son apparence physique. Plus exactement, nous avons trouvé quatre références auxquelles ce texte a pu nous faire penser, qui sont L'Etrange Cas du docteur Jekyll et Mister Hyde de Robert Louis Stevenson, Le Coeur révélateur d'Edgar Allan Poe, Notre-Dame de Paris de Victor Hugo et La Belle et la Bête de Leprince de Beaumont. Dans le récit de Stevenson comme dans celui d'Edgar Allan Poe, le personnage a une double personnalité, médecin le jour, criminel la nuit. On peut ajouter que le coucher du soleil dans ce livre est semblable à la guerre dans ce texte : c'est une source de changement radical. Dans le roman de Victor Hugo, Quasimodo est un personnage difforme et laid, qui cache à l'intérieur de lui une part d'humanité. Enfin, l'auteur du poème peut faire penser au conte de la Belle et la Bête, car il s'identifie à une bête dont la destinaire de la lettre peut seule voir la beauté intérieure.

Ce poème d'Henri Aimé Gauthé est comme son titre l'indique un autoportrait. Il se décrit comme une personne aux deux personnalités. Il se trouve laid dans son physique et dans son âme. La guerre l'a métamorphosé. Il ne sait plus vraiment ce qu'il est. La comparaison que l'auteur utilise pour décrire sa lèvre fait directement penser au sang, à la guerre : "Ma lèvre est rouge comme une fraîche blessure" (vers 10). La comparaison "ma lèvre rouge comme une fraîche blessure" laisse penser qu'il est blessé de tout ce qu'il a fait, à cause des personnes qu'il a dû tuer. Il ressent leur douleur. Il montre aussi à quel point il est devenu sadique, comme le montre le vers 7 : "Je fais pour m'amuser des piqûres atroces". Puis il dresse un portrait très dur et vraiment péjoratif, montrant à quel point il ne s'aime pas lui-même : "Mon sourire est amer ; mon rire décevant". ((vers 8) et "J'ai le nez gros et gras - nez de caricature." (vers 9). On sent dans sa façon d'écrire ce texte qu'il veut montrer à quel point la guerre peut transformer une personne et aussi démontrer que même si on fait la guerre, on n'en ressort pas comme un héros. La guerre l'a déshumanisé, il n'est plus humain, la guerre lui a enlevé sa dignité, mais grâce à l'écriture il s'est rattaché à son humanité. L'auteur a écrit cet autoportrait en guise de catharsis. L'écrire l'aide à se rappeler qu'il est humain, qu'il a des sentiments et il nous permet de visualiser l'atrocité de la guerre.

Henri Aimé Gauthé se fait appeler "le chevalier de la piètre figure" (vers 13), à la manière de Don Quichotte dans le roman de Cervantes. Don Quichotte était un vieil homme voulant être un héros, mais ne ressemblant qu'à une pâle copie ridicule de chevalier. L'auteur se montre doux comme un anti-héros. Il ressemble de plus en plus à son ennemi, cruel et grossier : « J'ai la moustache en cru du Kaiser allemand ». La guerre est considérée comme un symbole de bravoure pour celui qui revient sain et sauf, mais en réalité, la véritable bravoure est d'essayer de garder sa part d'humanité. C'est pourquoi il ne se décrit pas comme un héros. Il se voit plutôt comme un anti-héros car pour lui à la guerre il a tué des hommes qu'il considérait comme ses frères. La guerre l'a déshumanisé, l'a transformé en monstre, car pour lui tous les humains sont frères.

A mon avis, Henri Aimé Gauthé a écrit ce poème avec des mots aussi justes et un style aussi fort (alors qu'il n'avait pas fait d'études) car il a dû être tellement terrorisé par la violence de la guerre qu'il a tout de suite trouvé les mots. Il a dû également l'écrire pour montrer une image horrible de la guerre ou encore pour se remonter le moral. Ce poème est une catharsis, car la guerre l'a déshumanisé alors qu'il devrait conserver son humanité grâce à sa dignité, même si le dernier vers le réhumanise un peu : "Mais une que je sais ne voit pas ma laideur." L'écriture en quelque sorte le soigne.

L'auteur se sert de l'écriture comme d'un moyen de se raccrocher à l'humanité pour ne pas sombrer. Nous noterons le courage d'écrire ce texte. C'est une leçon d'humanité, une lutte intensive contre la déshumanisation et la dépersonnalisation. Il démontre en effet qu'il faut lutter contre la déshumanisation. Il faut garder sa dignité, car ce sont les principes fondamentaux de l'humanité. En partant à la guerre, il affrontait les Allemands. Désormais, il affronte ce qu'il est devenu à travers l'écriture. Je conclurais en indiquant que cet autoportrait est un texte dénonçant les horreurs de la guerre, et il montre combien celle-ci peut changer un homme. Il invite à cesser les guerres ou encore à empêcher les soldats de partir faire la guerre et de devenir comme lui. On sent irrévocablement que l'écriture est une façon pour lui de se rapprocher d'une réalité et de ce qui faisait de lui un être humain avant la guerre.

Au terme de cette analyse, on peut voir que le texte est intéressant, car il s'inscrit à rebours des poèmes épiques traditionnels qui glorifient la guerre et le soldat. Dans les épopées antiques comme l'Iliade d'Homère, dans les chansons de geste du Moyen-Age comme La Chanson de Roland, ou dans les romans de chevalerie comme Yvain ou le chevalier au lion de Chrétien de Troyes, la guerre est vue comme l'occasion privilégiée pour le personnage principal de devenir un héros valeureux. La guerre a longtemps été considérée comme le meilleur moyen de devenir un homme, en faisant preuve de courage. Dans le poème d'Henri Aimé Gauthé, c'est l'inverse qui apparaît : on comprend que la guerre n'est pas une voie d'accès à l'héroïsme, mais une barbarie qui engendre des monstres. Et ce qui permet de résister à cette barbarie et à cette déshumanisation, c'est l'écriture, qui possède une fonction cathartique.

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