Charles Baudelaire, "La Destruction"

Publié le par Professeur L

Alien, Ridley Scott, 1979.

Alien, Ridley Scott, 1979.

Année scolaire 2018-2019 – Lycée Cassini (Clermont-de-l'Oise)

Niveau première - Première S4

Objet d'étude : Ecriture poétique et quête du sens, du Moyen-Age à nos jours

Séquence 2 : Alien (1979) de Ridley Scott

 

LECTURE ANALYTIQUE 8

 

Texte 3 : Charles Baudelaire (1821-1867), Les Fleurs du Mal (1857), « La Destruction »

 

Commentaire établi à partir des copies d'Alexis, Armand, Evan et Valentino

 

Introduction

Je présente l'auteur

  • un des poètes français les plus célèbres du XIXe siècle
  • perd son père biologique à l'âge de 5 ans
  • adolescent Charles Baudelaire rejette son beau-père, l'officier Jacques Aupick
  • son beau-père représente un obstacle à tout ce qu'il aime : sa mère, la poésie, le rêve, la liberté
  • redouble sa troisième
  • est renvoyé du Lycée Louis-le-Grand pour avoir refusé de donner un message d'un de ses camarades au professeur
  • obtient in extremis son baccalauréat au Lycée Saint-Louis
  • afin de l'assagir, son beau-père le fait embarquer pour Calcutta mais un naufrage abrège le périple à La Réunion et à l'île Maurice
  • de retour à Paris, Charles s'éprend de Jeanne Duval, une jeune mulâtresse
  • Jeanne Duval est sa première muse, avant Apollonie Sabatier et Marie Daubrun
  • mène une vie dissolue
  • endetté, il est placé sous tutelle judiciaire
  • devient critique d'art et journaliste
  • prend la défense d'artistes comme Delacroix ou Balzac
  • s'initie aux drogues : hashisch et opium
  • dilapide son héritage paternel en achats de luxe
  • un conseil judiciaire le contraint à rendre compte quotidiennement de ses faits et gestes et lui alloue une pension mensuelle de 200 francs
  • humilié, il tente de se suicider
  • participe activement à la révolution de 1848
  • devient le traducteur français des textes d'Edgar Allan Poe
  • en 1854 il devient l'amant de l'actrice Marie Daubrun
  • à la parution de son recueil Les Fleurs du Mal en 1857 il est attaqué au tribunal pour « outrage à la morale publique et aux bonnes moeurs »
  • condamné à verser une amende de 50 francs
  • son recueil suscite l'admiration de Victor Hugo qui l'encourage à continuer
  • devient l'amant d'Apollonie Sabatier (artiste-peintre) de 1857 à 1862
  • très endetté il part vivre en Belgique à partir de 1864
  • ne se plaît pas en Belgique : pour lui, ce pays est une caricature de la France bourgeoise
  • revient à Paris à la suite d'une hémiplégie
  • meurt de la syphilis en 1867

 

 

 

 

Je présente l'oeuvre

  • pour Baudelaire la poésie n'a pas la mission de délivrer un message moral au lecteur
  • la poésie n'a pas pour fonction d'éduquer le peuple
  • la poésie est destinée à la Beauté uniquement
  • dans une société qui n'a pour seule véritable valeur que l'argent et le profit, le poète se trouve marginalisé
  • le poète se sent exclu d'une société uniquement attachée à l'accumulation des biens matériels
  • par conséquent le poète va aller aux marges de la société
  • le poète va errer dans tous les milieux rejetés par cette société
  • le poète va s'intéresser à tout ce que la société considère comme le mal
  • le poète va puiser son inspiration dans ce qui est considéré comme le mal par cette société
  • le poète tisse des liens entre la poésie et le mal
  • d'où son attirance pour toutes les figures du mal qui ne sont que l'envers de la société : la prostitution, la drogue, la violence, l'homosexualité (Les Lesbiennes était le premier titre envisagé pour le recueil qui deviendra Les Fleurs du Mal)
  • d'où également de nombreux poèmes marqués par la mélancolie car dans une société où seul le profit compte, le bonheur n'est qu'éphémère et l'idéal inacessible
  • d'où son envie d'ailleurs et de nombreux poèmes évoquant l'exotisme et le voyage

 

Je présente le poème

  • ce poème est issu de la 4e section du recueil Les Fleurs du Mal
  • cette section s'intitule justement « Les Fleurs du Mal »
  • poème marqué par l'obsession du mal sous toutes ses formes
  • le poète y exprime toutes les souffrances qui résultent de ce mal qui l'obsède et qui l'envahit dans un long crescendo

 

J'annonce la problématique

Comment l'auteur montre-t-il le mal dans ce poème ?

 

J'annonce le plan

Le texte se déploie en deux mouvements : tout d'abord le poète évoque son attirance pour les différentes formes du mal qui le possède. Ensuite le poète décrit la souffrance qui résulte de cette attirance.

Charles Baudelaire, "La Destruction"
  1. L'attirance du poète pour les différentes formes du mal qui le possède

 

            Tout d'abord, l'idée générale qui ressort de ce texte est celle d'un poète influencé par le démon. Charles Baudelaire identifie sa conscience à un monstre représenté par un Démon. On remarque que le démon représente le mal et que le poète se sert du démon pour décrire le mal.Le poète utilise une personnification de sa propre conscience. Comme le prouve le vers suivant : « Je l'avale et le sens qui brûle mon poumon » (vers 3), le poète fait allusion à la drogue, au tabac, aux « paradis artificiels » et à l'alcool avec le verbe « brûle » qui accentue la forme négative et infernale de ces substances grâce à une hyperbole. C'est aussi un rappel des flammes de l'enfer. Cet enfer n'est pas extérieur au poète. Il prend la forme de l'alcool et de la drogue et il envahit son corps. Le poète fait en effet aussi référence à l'alcool comme le prouve le vers 8 : « Accoutume ma lèvre à des philtres infâmes ». Dans ce vers, les « philtres infâmes » renvoie à l'alcool. L'adjectif qualificatif péjoratif « infâmes » traduit un certain dégoût du poète, comme si le poète était forcé de boire. L'allitération en [m] (« accoutume », « ma », infâmes ») exprime à la fois du désir, du plaisir et de la volupté, autant d'émotions contredites par l'allitération en [f] (« philtres infâmes ») qui exprime plutôt du dégoût, du mépris et de la haine. Le mal prend également la forme des femmes : « la forme de la plus séduisante des femmes ». Les allitérations en [f] et en [s] traduisent le dégoût et le mal, en opposition au superlatif « la plus séduisante » qui traduit l'attirance et la beauté. Cela donne également une idée des conquêtes féminines de l'auteur et de ses histoires d'amour qui devaient être dévastatrices.

            Le poète se trouve tiraillé entre son attirance pour le mal et la souffrance qui en résulte. Il est à la fois attiré et dégoûté. Le démon en lui contraint le poète et semble l'emmener jusqu'à la mort, comme le prouve le dernier vers du sonnet : « Et l'appareil sanglant de la Destruction ! ». Baudelaire termine le poème en faisant référence à la mort avec le mot « destruction ». Cette hyperbole montre un poète détruit. Ce mot est le titre qui résume très bien le poème. De plus, « sanglant » est un adjectif qui donne une coloration morbide à l'ensemble, puisqu'il se rapporte à une mort violente. L'auteur nous fait comprendre que tout en lui est ravagé. L'auteur évoque le démon comme s'il était l'un de ses proches avec le pronom personnel « il ». Privé de bien, le poète se trouve confronté à une force démoniaque contre laquelle il ne peut rien, malgré tous ses efforts. D'où une tonalité tragique qui prédomine dans tout le sonnet. Le poète semble condamné à l'autodestruction. Il suggère en tous les cas l'idée de destruction de soi. Cette destruction de soi est renforcée par le fait qu'il soit conscient de ce qui le détruit : « un désir éternel et coupable ». Le poète a conscience que c'est son désir et la satisfaction de son désir qui le mène à la damnation et à la mort. Le poète est conscient des formes maléfiques qui sont en lui et contre lesquelles il ne peut rien, ce qui renforce le registre tragique.

            De plus, le lecteur peut se projeter à la place du poète hanté par le mal. En effet, le texte est écrit au présent de l'indicatif, comme le prouvent les verbes suivants : « il nage » (vers 2), « il prend » (vers 5), « jette » (vers 12). Les verbes sont au présent d'actualité, ce qui permet de faire vivre le texte. On a l'impression que le poète décrit ce qui lui arrive au moment où il prend la plume. De plus, les mots « sans cesse » (vers 1), « parfois » (vers 5) et « accoutume » (vers 8) permettent d'insister sur la durée et la répétition des métamorphoses du démon. L'auteur est hanté par le démon, comme le prouve le vers suivant : « Il nage autour de moi comme un air impalpable ». Dans ce vers, la comparaison permet de comprendre que le poète est possédé par un démon invisible que l'on ne peut toucher ou saisir, et donc que l'on ne peut pas vaincre. La toute-puissance tragique de ce mal est renforcée par le mot « Destruction ». Le point d'exclamation final renforce la force tragique de ce démon et exprime la fatalité. A cela s'ajoute le fait que le mot « Destruction » possède une majuscule, ce qui lui donne de l'importance. Cette allégorie fait de ce mal une puissance invisible qui manipule le poète. Cette puissance invisible est d'autant plus sournoise et perfide qu'elle fait penser à un serpent, comme le prouve l'allitération en [s] qui prédomine dans tout le poème, notamment dans les vers 1, 7, 13 et 14. Or le serpent est le symbole judéo-chrétien du mal, à la fois tentateur et dégoûtant, dans la Genèse. Et l'idée de destruction de soi-même provoque une certaine douleur physique et mentale.

Dessins de préparation de l'Alien par Giger pour le film de Ridley Scott.

Dessins de préparation de l'Alien par Giger pour le film de Ridley Scott.

II. La description de la souffrance

           

            L'omniprésence de ce mal tout-puissant et invisible engendre de multiples souffrances chez le poète. La souffrance joue un rôle important dans ce poème comme le prouve le champ lexical de la douleur physique et mentale : « brûle », « infâme », « cafard », « souillées », « destruction », « blessures ouvertes », « sanglant ». L'écrivain met en lumière les tiraillements de sa conscience en la comparant à « des vêtements souillés, des blessures ouvertes » (vers 13). Dans ce vers, Charles Baudelaire utilise une énumération et un parallélisme pour produire une impression de douleur émotionnelle intense. Cela renforce aussi le registre pathétique. On peut voir un poète souffrant qui s'éloigne de plus en plus vers le mauvais côté, emporté par le mal. C'est ce que prouve le poète quand il écrit « loin du regard de Dieu ». Ses actes et son existence devient une insulte à Dieu, un blasphème. Il montre que le démon l'éloigne du bon côté de la vie et qu'il se fait emporter du côté du mal. L'auteur apporte un éclairage décisif sur l'idée d'une antithèse entre Dieu et le Démon. De plus, la rime entre « Démon » (vers 1) et « poumon » (vers 3) souligne la souffrance du poète. Ici le poète étouffe sous le mal. C'est une souffrance physique. La rime en « on » apparaît également entre les mots « confusion » (vers 12) et « destruction » (vers 14) : elle traduit l'instabilité du poète, sa souffrance, car le démon le contrôle, a pris possession de lui, le dépossède de son âme et l'entraîne vers la mort. On a l'impression que le poète ne résiste pas et considère tout ce qui l'attire comme une source de mal. Cette attitude passive et autodestructrice fait penser à un suicide.

            Baudelaire fait donc part de ses différentes souffrances, qu'elles soient physiques, morales ou psychologiques. Le poète nous fait part d'une violence morale en évoquant la « confusion » qui l'emmène « loin de Dieu » ; d'une violence physique (« brûle », « haletant et brisé de fatigue », « blessures ouvertes ») et d'une violence psychologique (« coupable », « infâmes », « l'Ennui »). Le poète utilise une description négative mais précise, qui fait allusion à une guerre, plus précisément celle du Mal contre soi-même. L'existence s'apparente à une longue descente aux enfers contre laquelle poète ne peut rien. La « Destruction » est l'autre nom de la vie. Les registres dominants sont le lyrisme, puisque le poète confie ses sentiments les plus intimes, et le pathétique, puisque le sonnet est marqué par la morosité.

            Ainsi, on retrouve cette tristesse du poète lorsqu'il exprime ses sentiments en utilisant les pronoms personnels et les adjectifs possessifs suivants : « mes », « moi », « mon », « me ». Ils sont répétés plusieurs fois dans le poème et cela accentue la solitude du poète face au démon (solitude exprimée à travers le mot « désertes »), mais cela montre aussi qu'il s'ouvre aux lecteurs. En partageant sa souffrance et le mal qui le ronge grâce à ce poème lyrique, Baudelaire tente de surmonter sa douleur et sa dépression. Celle-ci prend la forme d'une allégorie : « l'Ennui ». Le spleen est l'autre nom de l'ennui dans le recueil. Le spleen ou l'ennui désigne ici une profonde tristesse liée au mal de vivre, dans la mesure où le poète est en quête d'un idéal qui se situe ailleurs que dans la vie. Ce mal-être est profond, comme le prouve la métaphore géographique et l'allitération en [p] : « plaines profondes ». Le poète montre ainsi l'immensité de sa souffrance. La tentative du poète de dépasser sa souffrance en la partageant et en la sublimant sous la forme d'un sonnet est résumée par le titre du recueil : Les Fleurs du Mal. Les Fleurs désignent bien sûr les poèmes que l'auteur compose en extériorisant sa souffrance. En donnant une forme à sa souffrance, Baudelaire fait naître une poésie dont la beauté touche le lecteur.

Dessin de Giger, le concepteur de l'alien pour le film de Ridley Scott.

Dessin de Giger, le concepteur de l'alien pour le film de Ridley Scott.

Conclusion

            Le poète montre le mal sous la forme intérieure de ses désirs et sous la forme extérieure des objets de ses désirs : l'alcool, la drogue, les femmes. Baudelaire identifie le démon à sa conscience et l'histoire des tiraillements de sa conscience se confond avec l'histoire de sa vie. La cause et la conséquence de ce mal est l'Ennui, que le poète appelle également dans d'autres poèmes « le spleen », et qui est une forme de dégoût de soi et de la vie liée à l'incapacité d'atteindre l'idéal. Les registres lyrique, pathétique et tragique et les allégories fantastiques permettent à Baudelaire de donner forme à son mal-être. Mais en donnant forme à sa dépression, il parvient à la partager avec son lecteur et à la dépasser grâce à la création poétique. On retrouve l'idée d'une existence condamnée par des désirs maléfiques et autodestructeurs dans La Peau de Chagrin de Balzac. Dans ce roman, le héros, Raphäel de Valentin, a en sa possession une peau de bête lui permettant d'exaucer tous ses vœux. Mais au fur et à mesure qu'il donne satisfaction à ses désirs, la peau de bête se réduit. Or la peau de cette bête symbolise sa vie. Ainsi, plus les désirs sont satisfaits, plus la vie se réduit, jusqu'à l'autodestruction.

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