Que fais-je encore ici ? par Marion

Publié le par Professeur L

Le 17 mai 1915,

 

Chère Mathilde,

 

Que fais-je encore ici ? J'essaie de me rappeler les noms de tous ceux que j'ai vu partir, en vain. J'ai vu la mort, j'ai vu cette faucheuse noire insalubre. Lorsqu'elle passe, elle ne laisse derrière elle que des ruines, du sang sale et des dépouilles qui n'ont plus rien d'humain. Je vois les rats, créatures sataniques dévorer ces corps sans vie défigurés, démembrés, décapités. Je ne supporte plus cette odeur, cette odeur insoutenable de chair en décomposition et de mort gratuite. Hier, j'ai vu mourir mon meilleur ami. Un obus a explosé là où nous nous cachions. Lui aussi a explosé, il est mort un peu partout, le long des barbelés, dans le cratère de l'obus, et sur moi, surtout sur moi ! J'avais son sang sur les mains, ses tripes dans ma bouche, et ce n'est pas une image. J'aurais pu être à sa place, mais le destin en avait décidé autrement.

Si tu n'étais pas cet unique espoir qu'il me reste, j'abandonnerais cette vie que je ne supporte plus. Mais tu es la lueur, mais tu es la seule et unique flamme qui m'aide à m'en sortir, dans cette obscurité sans fin.

Qu'est-ce que j'ai fait ? Qu'est-ce qui m'a pris ? C'est tellement stupide. Tu sais, tu me manquais tellement...Je n'ai pas réfléchi et maintenant je suis en route pour la cour martiale, là où je serai assassiné sans pitié par un de ces pantins articulés du gouvernement.

Je voulais rentrer, je voulais te revoir. Mathilde, je vais mourir. Mourir bêtement sans avoir pu sentir la douceur de ta peau et ton parfum si délicat une dernière fois. Je n'ai pas le droit de pleurer. A côté de moi, il y a un autre soldat. Il a seize ans, et il ne pleure pas. Mathilde, je ne veux pas que ce qui m'arrive t'empêche de rire. J'espère que je te verrai sourire de là-haut.

Je t'aime,

Manech.

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