Les Chutes de Victor Hugo avec la Seconde 12
Année scolaire 2018-2019 – Lycée Cassini (Clermont-de-l'Oise)
Niveau seconde - La poésie du XIXe au XX e siècle : du romantisme au surréalisme
Séquence 1 : Victor Hugo, de la révolution cosmique à la révolution politique
Séance 3 : Victor Hugo, « Les Chutes » (La Légende des siècles, 1859)
Objectifs :
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s'initier à la rédaction d'un commentaire de texte (partie de développement et conclusion)
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savoir développer une analyse stylistique
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identifier le registre épique
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reconnaître le paysage romantique
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comprendre la signification allégorique du fleuve
Correction établie à partir des copies de Chloé M, Alana, Carla, Lyna, Raphaëlle, Martin, Alexis, Quentin, Alex et Hugo Munoz
Tout d'abord, l'auteur apporte un éclairage décisif sur un fleuve qu'il nous décrit de différentes manières. Il dévoile divers aspects de ce dernier. Pour commencer, il insiste sur le côté majestueux du fleuve. Il le compare au lion : « pareil au lion attiré » (vers 4). Cette comparaison renforce la dimension de royauté, de supériorité, et permet de souligner « sa force, sa splendeur, sa beauté, sa bonté » (vers 27). Le fleuve est, grâce à cette énumération, glorifié. De surcroît, un rejet est employé sur le vers suivant (vers 28) afin de mettre en valeur ces nombreuses qualités. La question rhétorique du vers 24 (« le fécondateur ») nous laisse penser que ce fleuve possède le pouvoir divin de créer. Malgré ce côté divin du fleuve, nous apprenons qu'il est inquiet, jusqu'à même éprouver de la peur, comme le prouve l'exemple suivant : « Et l'honneur se disperse en voix désespérées ; / Tout est chute, naufrage, engloutissement, nuit » (vers 30-31). A l'aide de la comparaison avec « l'éternel Ixion » (vers 12), nous comprenons que le fleuve est « frappé de malédiction » (vers 11). Autrement dit, il est maudit. Effectivement, comme Ixion, le sort qui lui est réservé est tragique et son destin épouvantable. Ixion est un homme qui, d'après la mythologie grecque, a subi supplices et châtiments : il était invité à un repas de réconciliation par Zeus car il devait se faire pardonner de certaines erreurs qu'il avait commises dans le passé. Mais celui-ci, sans se rendre compte de rien, se met à séduire Héra, la femme du Dieu des Dieux. Devinant ses pensées, Zeus façonna un nuage ayant la forme d'Héra, mais Ixion, sans doute trop ivre lors du repas, n'avait pas remarqué que c'était une créature illusoire, et s'unit à cette nuée. Cette grave erreur fera de lui un homme seul et abandonné, tout comme le fleuve. L'écrivain se demande : « Qu'est-ce donc [que le fleuve] a fait au bois, au mont sublime, / Aux prés verts, pour que tous le livrent à l'abîme ? » (vers 25-26). Cette question rhétorique met l'accent sur la solitude, l'égarement et l'isolement du fleuve. Bien qu'il soit renié, le fleuve « Lutte avec tous ses cris et toutes ses tempêtes » (vers 6). Cette personnification et et cette hyperbole confirment le courage et la bravoure dont fait preuve le fleuve qui apparaît comme un guerrier robuste. A cela s'ajoute une seconde personnification qui prouve que le fleuve est déterminé et combatif. C'est ce que démontre l'auteur quand il explique que celui-ci « se débat dans l'atroce engrenage » (vers 34). Nous constatons également que le martyre du fleuve l'assimile à un personnage christique : Jésus-Christ qui a été victime d'abandon de la part d'autrui et a été châtié. Exactement comme « Le fleuve échevelé [qui] subit son dur supplice » (vers 14). Mais ce n'est pas tout : la gradation qui se situe aux vers 35-36 : « Tombe, agonise, et jette au lointain firmament / Une longue rumeur d'évanouissement » souligne l'apogée et l'apothéose du fleuve. Par conséquent, celle-ci renforce davantage la dimension christique du fleuve en évoquant les châtiments et le reniement subis par le fleuve qui sont semblables à ceux de Jésus-Christ.
Prométhée enchaîné (1611) de Rubens (1577-1640), huile sur toile, Museum of Art de Philadelphie, aux Etats-Unis.
De plus, l'auteur évoque la présence d'un deuxième personnage : le gouffre. Celui-ci est qualifié péjorativement. Premièrement, celui-ci est animé par la haine : « il hait le géant fleuve » (vers 3). Ce dernier est même symbolisé par la mort et « tâche d'être une tombe » (vers 2). Cette allégorie insinue que le gouffre est « Pareil à la fumée au faîte du Vésuve » (vers 21), ce qui signifie qu'il est destructeur, puissant, mais surtout imprévisible. Le gouffre est semblable à un monstre, « [il] veut sa mort » (vers 15). Ces mots prouvent très clairement qu'il est dangereux. L'auteur explique aussi que « la roche est traître » (vers 41) parce que ce dernier tend un piège au fleuve. Il fait donc preuve de « lâcheté » (vers 28), comme le déclare Victor Hugo. En avançant dans le texte, nous plongeons dans une atmosphère sombre et lugubre. Nous réalisons que le gouffre ressemble à un monstre, à un démon ou bien pire, au diable, comme le prouve l'exemple suivant : « Et l'on dirait qu'un rire infâme est dans ce bruit » (vers 32). Cet effrayant gouffre est cruel : « Et la destruction voilà ce qu'il construit » (vers 30). L'auteur annonce très clairement que le gouffre est violent, et que « pour faire le néant, [il] ne fait que le chaos » (vers 16). Cette expression insiste sur la profondeur du gouffre. Cela provoque de l'inquiétude car il est décrit comme gigantesque et menaçant. Afin de montrer l'immensité du gouffre, l'écrivain le qualifie « d'énorme cuve » (vers 22). Cette hyperbole insiste sur le fait que le gouffre est imposant. Il représente les ténèbres. C'est en effet ce qu'affirme l'auteur quand il précise que cet « affreux puits de l'enfer ouvre ses flancs funèbres / Et rugit. Quel travail pour créer les ténèbres ! » (vers 17-18). La personnification du gouffre avec le verbe « rugit » met en lumière la férocité de ce puits. Cette idée permet donc d'insister sur le côté animal et la sauvagerie de ce dernier. Par ailleurs, ce puits est composé de tout ce qu'il existe de plus « hideux, d'hostile et de torrentiel » (vers 38-39). Ces mots mettent l'accent sur l'aspect « sinisitre » (vers 22) de cette énorme cuve. L'antithèse entre « la destruction » et « ce qu'il construit » (vers 20) met en lumière le côté apocalyptique du gouffre. De ce fait, un sentiment d'appréhension voit le jour chez le lecteur. Pour poursuivre ce moment de « tourment » (vers 23), l'auteur compare cet effrayant puits à « une hydre aux mille têtes » (vers 5). Par l'utilisation de cette périphrase, l'auteur insiste sur l'effroi que procure le gouffre.
Pour finir, un combat titanesque a lieu entre le fleuve et le gouffre. Afin de mettre en scène ce combat, l'auteur fait appel au registre épique. En effet, nous sommes en pleine épopée. Nous pouvons donc assimiler ce texte à Yvain ou le chevalier au lion de Chrétien de Troyes par exemple car le registre employé est également du registre épique. Dans ce livre on observe la présence de forces surnaturelles et de combats violents tout comme dans ce texte, où le combat est violent, comme le prouve l'antithèse dès le premier vers : « Le grand Niagara s'écoule, le Rhin tombe » (vers 1). Elle insiste sur la brutalité des faits et gestes du fleuve. Le Bien et le Mal apparaissent également comme deux forces contraires, sont adversaires, et vont se quereller dans un combat d'une extrême dangerosité. Cette conception conflictuelle du Bien et du Mal se rapporte à l'opposition du « Blanc et noir » (vers 9). Cette opposition fait penser à la religion fondée par le Perse Mani où les deux principes fondamentaux sont le Bien et le Mal. C'est ce que l'on appelle d'ailleurs le manichéisme. Ici, dans le texte, le Bien est représenté par le fleuve et le Mal par le gouffre. Le fleuve « se cabre, il résiste au précipice obscur » (vers 5). Cela signifie que celui-ci est déterminé et que malgré la difficulté qu'il rencontre, il « se cramponne » (vers 10), « se retient » (vers 10). Il ne veut en aucun cas abandonner. Il montre qu'il se battra toujours. Il épuisera sa dernière force, donnera son dernier coup et livrera son dernier souffle avant de céder aux terribles attentes de l'énorme cuve. D'après Victor Hugo, le gouffre est quant à lui le représentant du Mal. Il est « l'envie », « la rage », mais encore « la nuit » (vers 19). Cette énumération de mots péjoratifs insiste sur le ravage causé par le gouffre. L'auteur montre qu'il s'acharne sur le fleuve auquel il a tendu un piège : « le puits de l'enfer » est rusé, son piège a fonctionné et ressort donc vainqueur du combat. Le fleuve a été « tordu, brisé, vaincu » (vers 13). Cette accumulation insiste sur la douleur ressentie par le fleuve. Il est tellement anéanti que « l'eau s'enfle comme l'outre où grondent les Borées » (vers 29). La situation devient alors tragique comme l'indique le parallélisme anaphorique au vers 33 : « rien n'est épargné, rien ne vit, rien ne surnage ». A la fin du combat, après la défaite du fleuve, le « chaos souffre » (vers 37), la nature est détruite. Mais soudain, tandis que le cataclysme règne, « un éblouissement auguste » (vers 40) voit le jour et apporte avec lui un éclairage particulier.
Au terme de ce parcours, l'auteur met en scène le combat entre le fleuve et le gouffre à l'aide de deux procédés : le sens littéral et le sens allégorique. En effet, le poète est un visionnaire. Il nous aide à voir ce qu'il y a derrière la réalité. Nous prenons conscience grâce à lui de ce que nous ne percevons pas dans la vie quotidienne. Par conséquent, le combat qui a eu lieu entre le fleuve et le gouffre n'est pas qu'un simple duel de la nature. Le paysage décrit n'est pas qu'extérieur, comme l'annonce le sens littéral du texte. Il s'agit en fait du récit du processus de création, comme le dévoile le sens allégorique. Le sens littéral nous apprend que le fleuve et le gouffre s'opposent dans un combat sans merci. Le sens symbolique nous fait comprendre qu'il s'agit de la lutte du Bien contre le Mal. Le fleuve rappelle Job, un des personnages les plus célèbres de l'Ancien Testament. Ce dernier était gentil, pieux et serviable. Mais un jour, un ange, Lucifer, va voir Dieu afin de lui faire passer un test durant lequel il recevra une série de malheurs. Le fleuve, comme Job, subit le mal et est abandonné par tous, y compris par Dieu. Un deuxième personnage de la mythologie grecque est réinvesti à travers la figure du fleuve : Prométhée. Le mythe de Prométhée symbolise souvent l'apport de la connaissance aux hommes. Dans la mythologie, Prométhée a été châtié et abandonné des Dieux pour avoir apporté la connaissance aux hommes. Le fleuve est, par sa force titanesque et par sa malédiction, un personnage prométhéen. Mais le sens allégorique de ce texte nous livre l'expérience personnelle de l'auteur. Victor Hugo emploie le sens allégorique pour nous faire partager un processus particulier : le processus de création. Le fleuve est en fait l'allégorie du poète qui doit plonger dans sa pensée, dans son mal-être intérieur, pour pouvoir faire preuve d'invention et d'imagination. Le poète est donc comme le fleuve : seul face à une page blanche. Lorsqu'il est en panne d'inspiration, il se sent isolé, incompris. L'écrivain se livre à nous et annonce que pour développer sa créativité, il doit affronter « cette ombre épouvantable » (vers 42) qui vit en lui. On peut ainsi comparer ce texte à une chanson d'Hubert Félix Thiefaine qui s'intitule « En remontant le fleuve ». Ces deux textes ont des points communs : tout d'abord, ils sont tous les deux constitués d'un sens littéral et d'un sens allégorique. Aussi, les deux auteurs partent aux sources du mal, l'un pour créer, et l'autre pour s'en libérer. Dans tous les cas, le fleuve est l'allégorie du poète qui doit plonger dans les gouffres de son âme, de son intériorité et de sa pensée pour créer.