Souvenir de la nuit du 4 par la Seconde 16
Année scolaire 2018-2019 – Lycée Cassini de Clermont-de-l'Oise
Séquence 1 : la poésie du XIXe au XX e siècle : du romantisme au surréalisme
Séquence 1 : Victor Hugo, de la révolution cosmique à la révolution politique
Séance 5
Support : « Souvenir de la nuit du 4 » de Victor Hugo (Les Châtiments, 1853)
Objectifs :
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découvrir un poème engagé, explicite, polémique, pathétique
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comprendre que la poésie romantique est devenue une arme contre le pouvoir autoritaire de Napoléon III
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s'initier au commentaire de texte
I. Tristesse et pitié (paragraphes rédigés par Naïs et Maëva. Les phrases en italique sont rajoutées par le professeur)
Tout d'abord, le texte se caractérise par la tristesse et le regret. Dès la première phrase, on ressent de la sidération : « L'enfait avait reçu deux balles dans la tête. » (vers 1). L'annonce est choquante. Dans le vers 4, le sentiment de sidération de la grand-mère s'accentue : « Une vieille grand-mère était là qui pleurait. » Les sentiments évoluent du choc au chagrin. L'auteur ensuite met en valeur l'amour maternel dans les vers 20 et 21 : « L'aïeule cependant l'approchait du foyer », « comme pour réchauffer ses membres déjà roides ». Elle le câline. Puis la grand-mère éprouve de la colère : « Cria-t-elle ; monsieur, il n'avait pas huit ans ! » (vers 27). La phrase exclamative et le verbe « crier » permettent d'insister sur la violence des émotions de moins en moins contrôlées. Elle fait preuve par ailleurs d'une grande nostalgie, notamment dans les vers 28-30 : « Ses maîtres, il allait en classe, étaients contents...C'est lui qui l'écrivait ». Au vers 40, le sentiment de tristesse se développe et prédomine dans tout le passage : « Elle s'interrompit, les sanglots l'étouffant ». La tristesse contamine toute l'assemblée recueillie autour du cadavre de l'enfant, grâce notamment au champ lexical des pleurs : « tous pleuraient près de l'aïeule » (vers 41). Les larmes passent de la grand-mère aux proches, puis des proches au lecteur par empathie.
La grand-mère suscite d'autant plus la pitié qu'elle apparaît abandonnée à son sort. Sans son petit-fils, c'est d'avenir dont elle est privée : « Que vais-je devenir à présent toute seule ? » La phrase interrogative exprime la détresse et le désarroi de cette vieille femme esseulée. L'interjection lyrique « hélas » renforce la déréliction de la grand-mère. Pitié et compassion chez le lecteur sont produites grâce à la mise en abyme du spectacle créée grâce à la mise en scène de spectateurs à l'intérieur du logis. Le poète nous invite dans ce foyer marqué par le deuil. Les vers 47 et 48 renforcent la compassion pour cette famille en deuil : « Nous nous taisions, debout et graves, chapeau bas ». L'utilisation du pronom personnel « nous » facilite la compassion et l'empathie. La douleur est indicible : « Tremblant devant ce deuil qu'on ne console pas ». La négation, associée aux termes « tremblant », « deuil » et « console », permet de mettre en lumière un désespoir infini que ni les mots ni le silence ne parviennent à surmonter.
La déposition de Croix (1843), huile sur toile d'Alexis Nicolas Perignon (1785-1864), Saint-Roch, Paris, France.
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Le destin tragique de deux martyrs : la grand-mère et l'enfant (paragraphes rédigés par Anaëlle et Enola ; les phrases en italiques sont rajoutées par le professeur)
De plus, ce poème évoque un destin tragique dans la vie d'une vieille femme qui perd son petit-fils. L'enfant est mort dans des conditions immondes pour un individu de sept ans, comme le prouve le premier vers : « L'enfant avait reçu deux balles dans la tête ». Ce vers qui introduit le poème produit au lecteur dès le début une impression d'injustice et d'incompréhension. Le plus-que-parfait renforce l'idée selon laquelle la mort de l'enfant est irrémédiable. Le poème décrit l'état physique de l'enfant décédé comme l'indiquent les vers 6-7, 9, 11, 13-14 et 21. La personnification dans le vers « la mort noyait son œil farouche » renforce l'idée de mort atroce et terrible. C'est un destin tragique pour cet enfant. Il est « pâle » et sans signe de vie, et donne une impression de vide, car « ses bras semblaient demander des appuis ». La réalité clinique présente dans le vers « on pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies » développe l'atrocité de ce crime, car les blessures paraissent importantes. La comparaison présente dans le vers « son crâne était ouvert comme un bois qui se fend » intensifie encore plus l'horreur de ce drame et donne une image terrible du corps de l'enfant et de la scène. La mort est présente sur son corps, comme le souligne l'aïeule : « comme il est blanc ! ». C'est une exclamation qui exprime un choc de la part des proches. Son corps est raidi car « ses membres sont déjà roides ». Cela signifie que son cœur s'est véritablement arrêté et que son sang a arrêté de circuler dans ses membres car il est tout raide. L'enfant ne méritait pas ce sort car son innocence et sa pureté sont aussi grandes que celles de Jésus-Christ. La pureté et l'innocence de l'enfant martyr sont développées dans le vers suivant : « Monsieur, il était bon et doux comme un jésus ». Jésus, qui était un être de bonté, a lui aussi été tué sans raison et dans des conditions atroces. Il s'est fait crucifier par les Romains à cause de la trahison de Juda, un des disciples du Christ. Jésus était un être juste qui s'occupait du bonheur et du bien-être de la population, comme lorsqu'il propageait le pain pour les populations pauvres où lorsqu'il a rendu la vue à un aveugle. Il était humble et honnête, comme l'enfant dont la grand-mère fait le portrait. L'enfant est donc comparé à Jésus, afin de susciter pitié, compassion et révolte chez le lecteur.
Par ailleurs, ce poème possède un registre pathétique car il relate le destin tragique d'une grand-mère et de son petit-fils. La grand-mère est triste comme le prouve le champ lexical des larmes, notamment au vers 4 : « pleurait ». Et elle explique que l'enfant était tout ce qui lui restait, tout ce qu'elle avait de plus cher au monde, tout ce qui faisait son bonheur. Avec le vers « Que vais-je devenir à présent toute seule », la grand-mère montre qu'elle n'accepte pas cette solitude. Elle est prête à se sacrifier pour son petit-fils, comme le montre le parallélisme suivant : « De me tuer au lieu de tuer mon enfant ». La grand-mère dénonce l'injustice de la société dirigée par Louis-Napoléon Bonaparte : « L'enfant n'a pas crié vive la République ». Elle dénonce le régime autoritaire qui se met en place. La situation de la grand-mère la met en position de mater dolorosa. Le poète réinvestit la figure de Marie prenant le corps de Jésus dans ses bras à la descente de la Croix. C'est une mère d'amour et de douleur. Le vers 48 permet de comprendre que la mort d'un enfant dans une famille est un drame et que les proches ne guérissent jamais de cette absence. Le dernier vers insiste sur le fait que ce drame ne sera pas le seul à se produire la nuit du 4 décembre 1851.
La descente de Croix est la partie centrale d'un triptyque peint par l'artiste flamand Pierre Paul Rubens entre 1612 et 1614. Cette peinture est le second plus grand chef-d'œuvre que Rubens a réalisé pour la cathédrale Notre-Dame d'Anvers en Belgique, à côté de l'Érection de la croix. Ce tableau lui fut commandé le 7 septembre 1611 par la Confrérie des arquebusiers dont le patron est saint Christophe.
III. La dénonciation du coup d'Etat (paragraphes rédigés par Michaël et Tom ; les phrases en italique sont rajoutées par le professeur).
De surcroît, Hugo exprime les émotions profondes de la grand-mère. Elle accuse les soldats et l'Empereur en premier lieu implicitement de tuer d'autres personnes : « dans la rue où l'on en tuait d'autres » (vers 17). C'est à partir de ce vers que l'écrvain fait entrer une dimension politique dans ce poème. Ensuite la grand-mère dénonce la cruauté du pouvoir en utilisant une question rhétorique : « Est-ce qu'on va se metter à tuer les enfants maintenant? » A travers cette question qui utilise le pronom impersonnel « on », la grand-mère s'exprime toujours implicitement. Elle renforce le sentiment de criminalité en désignant les soldats de « brigands » (vers 32). Hugo utilise un parallélisme pour mettre l'accent sur l'innocence de l'enfant : « Il passait dans la rue, ils ont tiré dessus ». L'auteur exprime ensuite l'effarement de la grand-mère devant la dureté et la stupidité des soldats : « Cela n'aurait rien fait à monsieur Bonaparte » (vers 38). C'est à partir de ce vers que la dimension explicite du texte apparaît. Cette citation insiste sur le fait que l'enfant n'était pas un ennemi de l'Empire et que le tuer lui ou un autre n'aurait rien changé. L'injustice est ensuite amplifiée : « L'enfant n'a pas crié vive la République » (vers 46). Cela renforce encore l'innocence de l'enfant.
Ensuite, l'écrivain compare Napoléon III à un monarque. Il utilise aussi l'ironie avec l'antithèse : « Est pauvre, et même prince » (vers 51). L'écrivain met ensuite l'accent sur l'absence d'importance que Napoléon III porte à son peuple. Car d'après Hugo, il ne se soucie que « de l'argent pour son jeu, sa table, son alcôve, ses chasses » (vers 53-54). Cette énumération insiste sur le narcissisme de l'Empereur, comme le prouve par ailleurs l'exemple suivant : « Où viendront l'adorer les préfets et les maires » (vers 57). Ici nous avons une assonance en [é]. Cela renforce l'idée que l'Empereur se soucie plus de lui-même que de son peuple. Ce poème est donc avant tout une injonction à la révolte contre Napoléon III. L'enfant est le symbole de la Deuxième République lâchement assassinée par un homme uniquement préoccupé par les désirs égoïstes.
Le 30 octobre 1836, le prince Louis-Napoléon Bonaparte, avec une poignée de complices, effectue une tentative de soulèvement de Strasbourg. Il espère soulever la garnison et, ensuite, marcher sur Paris et renverser la monarchie de Juillet. Regamey Frédéric, Elsaessische Druckerei und Verlagsanstalt, 1911