La nature dans La Fortune des Rougon par la Seconde 16

Publié le par Professeur L

Heroische Landschaft Gottfried Keller, 1842 Öl auf Leinwand 88,7 cm × 118,3 cm Zentralbibliothek Zürich

Heroische Landschaft Gottfried Keller, 1842 Öl auf Leinwand 88,7 cm × 118,3 cm Zentralbibliothek Zürich

4. Cette description de la vallée de la Viorne est antithétique, car elle évoque au lecteur deux images : l'une magnifique et grandiose, et l'autre angoissante et lugubre. Le paysage décrit est magnifique, mais un peu effrayant à la fois. Ce paysage est étrange, assez sinistre mais beau à la fois. D'où l'utilisation combinée de deux registres : la tonalité fantastique et la tonalité merveilleuse. Les deux s'entremêlent dans un jeu d'opposition qui va servir de décor à la trajectoire de Silvère et Miette.

 

Une description réaliste et dynamique

Tout d'abord, le paysage est décrit comme un tableau. Le lecteur peut s'imaginer le paysage et même le reproduire. Emile Zola utilise des repères spatio-temporels, « en haut », « en bas », « à gauche », « à droite », pour que la scène soit réaliste et vivante. L'auteur nous fait imaginer l'endroit grâce à un vocabulaire géographique et géométrique. Le lecteur peut facilement se repérer grâce à tous les détails apportés : « La route de Nice montait le versant de la vallée », « qui va en ligne droite de Plassans à la Viorne », « à droite et à gauche des terres labourées », « brillait au ras de l'horizon ». La description est en mouvement.

oseph Anton Koch: Heroische Landschaft mit dem Regenbogen (1805), Kunsthalle Karlsruhe. Heroische Landschaft mit idyllischen Zügen.

oseph Anton Koch: Heroische Landschaft mit dem Regenbogen (1805), Kunsthalle Karlsruhe. Heroische Landschaft mit idyllischen Zügen.

Un lieu fantastique

Ainsi ce paysage est un paysage hivernal car les routes sont « blanches de gelée » (p. 56). Le paysage est également sombre et l'atmosphère est plutôt étrange. En effet, l'expression « ce beau clair de lune d'hiver » indique qu'il ne fait pas totalement jour. Le paysage est assez inquiétant car il fait nuit et on est entouré de forêts : « entre deux coteaux boisés » (p. 56). D'ailleurs, une métaphore est présente ici entre le clair de lune et un « long ruban d'argent ». Cela renforce la présence d'une lumière lunaire, ce qui crée une atmosphère mystérieuse. De plus, le paysage est assez morbide puisqu'on peut distinguer plusieurs expressions qui font référence à la mort : « silence de mort », « des ténèbres amassées », « les fantômes vagues des feuillages », « les écailles d'une bête vivante » (p. 56-57). Ici, nous avons une métaphore qui compare les feuillages aux fantômes, ce qui insiste sur le lieu mystérieux. Le paysage est donc étrange. Le champ lexical du paranormal renforce cette idée : « ténèbre », « noires », « fantômes », « ombres ». Certains éléments paraissent irréels : « amphithéâtre qui montait jusqu'au ciel », « cascade géante ». On a l'impression que le paysage n'est pas réel, qu'il est fantastique. Le paysage est flou, caché par la brume.

 

La nature dans La Fortune des Rougon par la Seconde 16

Un lieu féérique

Cependant, la vie est présente également : « pareilles à des étincelles vives, quelques fenêtres encore éclairées du faubourg » (p. 56) Cette phrase est une comparaison. L'auteur compare la lumière des habitations qui passe par les fenêtres à des « étincelles vives ». Cela insiste sur le fait qu'il y a malgré le paysage morbide, sombre, une touche de lumière et que la vie est encore là. Zola développe également une métaphore entre « les terres labourées de la côte » et « de larges mers grises et vagues ». Cela signifie que les terres ne sont pas plates, puisqu'elles ont été labourées et comme la saison est hivernale, les terres sont gelées et ont une petite couleur grise avec la glace. Ce paysage est donc enchanté : « sous ce beau clair de lune d'hiver » comparé à « un long ruban d'argent », montrant l'immensité de la vallée : « cet immense amphithéâtre qui montait jusqu'au bord du ciel ». Le rayon de lune qui se reflète sur l'eau confère un certain charme au paysage. La personnification révèle une nature infinie et illimitée, de même que l'expression « cascade géante » montre la force de cette nature. Ces deux personnifications dévoilent une nature vaste et étendue dont les dimensions sont considérables. La cascade est comparée à « des nappes de clartés bleuâtres », qui « coulaient » sur celle-ci. Ainsi, ce bord du ciel avec ces clartés bleuâtres coulant sur la cascade montre une harmonie, une beauté, une fluidité de la nature. De plus, cette métaphore « les terres labourées de la côte faisaient de larges mers grises et vagues » indique encore son étendue, de même que sa profondeur. Ainsi, l'aspect somptueux du paysage est évoqué plusieurs fois : « sous ce beau clair de lune », « frappés d'une admiration muette par cette immense amphithéâtre », « souveraine grandeur ». Le paysage semble grandiose car Zola utilise un vocabulaire mélioratif : « éclat métallique », « admiration », « cascade géante » (p. 51). Les arbres composés de lignes noires donnent une impression de domination et de grandeur sur la rive. On a le champ lexical de la féérie. Le paysage a une allure féérique. Les lueurs qui apparaissent donnent une vision d'être qui planent le long de la rivière, ce qui renforce l'idée de vallée enchantée. Le registre utilisé est celui du merveilleux.

Ce paysage peut ainsi faire penser à une vallée enchantée où vit le peuple, au milieu de l'ombre et de la clarté. Ici, la figure de style est une antithèse entre l'ombre et « la clarté », ce qui crée un effet de contraste et rappelle l'opposition ou la permanence de principes opposés, la vie et la mort. Cela indique donc également que les deux amants sont entre la vie et la mort. Le paysage de mer est traversé par une route blanche de gelée « d'un éclat métallique », montrant ainsi le clair de lune éclairant les routes avec des « rangées d'ormes » qui bordent « deux liserés sombres », soit les terres labourées. Ceci montre une antithèse entre la lumière et l'obscurité et révèle un contraste où une partie de ce paysage brille au clair de lune, c'est-à-dire la route de Nice, qui n'est autre que la route du destin pour Silvère et Miette. On pourrait peut-être établir un parallèle entre la chaleur et la quiétude de leur amour actuel et la terreur d'une future séparation. Mais la mise en scène des deux amants, seuls sous le clair de lune d'une nuit d'hiver, contemplant le paysage, est très romantique. D'ailleurs le romantisme littéraire et artistique joue sur les deux tableaux : la mise en scène d'un paysage grandiose et le jeu d'oppositions entre la vie et la mort, la lumière et les ténèbres.

La nature dans La Fortune des Rougon par la Seconde 16

Conclusion

Emile Zola réinvestit ici une image traditionnelle du décor enchanteur qui accueille les deux amants : il s'agit du locus amoenus (termes latins qui signifient littéralement « lieu agréable,délicieux, charmant, amène »). C'est un motif, une image récurrente, que les auteurs, et notamment les poètes, utilisent pour créer un décor qui soit en harmonie avec l'expression lyrique des sentiments amoureux. Il s'agit bien souvent d'un lieu idyllique, c'est-à-dire d'un lieu idéalisé, caractérisé par une grande beauté, avec des arbres, des petits bois, des zones ombragées et de l'eau. C'est un lieu pur de tout élément parasite et de toute tentation, marqué par l'harmonie et la féérie, à l'image du jardin d'Eden dans la Genèse ou des Champs Elysées dans la mythologie gréco-latine. Souvent ce locus amoenus se situe dans un lieu reculé. Dans l'Odyssée d'Homère, la caverne de la nymphe Calypso est un locus amoenus dans lequel Ulysse se repose et se livre à la satisfaction des désirs érotiques. C'est un lieu de sécurité et de confort pour les amants. Dans les œuvres de William Shakespeare par exemple, le locus amoenus est un espace extérieur à la ville. C'est l'espace de prédilection où le désir peut s'exprimer librement, où les héros explorent leurs passions érotiques.

Mais ici on voit qu'Emile Zola ne se contente pas de reprendre une image traditionnelle d'un décor enchanté et secret pour accueillir et refléter les sentiments amoureux de ses personnages. Il procède à une double subversion : même dans ce lieu obscur et caché, les amants Miette et Silvère ne se livrent pas à l'exploration des désirs érotiques. Leur relation reste très pudique. Et ce locus amoenus, en raison de la tonalité fantastique qui s'en dégage, est tout sauf un lieu de confort et de sécurité, puisque la mort rôde et que très vite, les amants vont être submergés par la foule des insurgés. C'est un espace aux croisements de la vie et de la mort qui annonce le destin des amants.

Daphnis and Chloe by John-Étienne Chaponnière, 1828, marble - Villa Vauban - Luxembourg City, Luxembourg.

Daphnis and Chloe by John-Étienne Chaponnière, 1828, marble - Villa Vauban - Luxembourg City, Luxembourg.

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