Histoire et mémoire pièce de théâtre Acte II
ACTE II : le procès
Pendant que le tribunal s'installe et se prépare, des acteurs se placent dans le public et créent un tumulte. Des paroles dans le public se font entendre :
Un homme : J'espère qu'elle va passer à la guillotine !
Une femme : Comment peut-on faire ça à son enfant ?
Homme n°2 : C'est une ouvrière, c'est d' la racaille !
Femme n°2 : Si elle y passe, ça sera bien fait pour elle !
Femme n°3 : Crève !
Barbara apparaît sur scène encadrée par deux policiers. Elle s'installe avec son avocat. Le public siffle.
Homme n°3 : Va au diable !
Femme n°4 : T'as pas honte ? Faire ça à ton propre enfant !
Le juge arrive et le public se lève.
LE JUGE : Silence ! (Il tape du marteau). Asseyez-vous ! Nous sommes ici aujourd'hui pour juger Barbara Tuvache qui est accusée d'infanticide. Le 19 janvier 1901, Victor Tuvache, ouvrier clandestin dans une filature de Fourmies, est porté disparu. Après une enquête rapide et efficace de la police, l'accusée ici présente a avoué avoir assassiné son propre enfant. La parole est à la défense.
AVOCAT : Monsieur le juge, ma cliente voudrait tout d'abord revenir sur ce qu'elle a avoué à la police. Elle était sous pression, elle avait peur, elle n'a pas pris conscience de ce qu'elle disait.
LE JUGE : Vous plaidez donc non coupable ?
AVOCAT : Oui monsieur le juge. Je voudrais appeler à présent Barbara Tuvache à la barre. (Barbara est amenée à la barre par deux policiers). Barbara, pouvez-vous dire à Monsieur le Juge ici présent ce que vous m'avez révélé en aparte ?
BARBARA : Oui, monsieur l'avocat. Monsieur le Juge, Monsieur le Procureur, j'ai déjà perdu mon mari. Vous n'avez pas idée de la souffrance que j'ai ressentie, ce sentiment de perdre une partie de soi-même. C'est comme si on m'avait arraché le coeur. Après le décès brutal de mon époux, je me suis retournée vers mon fils et j'ai vu dans ses yeux que la vie ne s'arrêtait pas là. Mon petit garçon, c'est toute ma vie. A toutes les mères qui sont ici, comprenez-vous ma douleur ? Mon enfant disparaît, et on m'accuse de l'avoir tué ! Surtout que je n'étais pas chez moi au moment de sa disparition. J'étais au travail !
L'AVOCAT GENERAL : Vous auriez pu vous en débarrasser à l'usine !
AVOCAT : Objection votre honneur.
LE JUGE : Objection accordée.
AVOCAT : Cette idée peut facilement être vérifiée. J'appelle à la barre Clétus Le Cluop, ouvrier dans la même usine que Barbara. (Clétus va à la barre et remplace Barbara toujours accompagnée de deux policiers.) Alors, Monsieur Le Cluop, avez-vous vu ou entendu quelque chose qui pourrait aller dans le sens de l'accusation ? Avez-vous seulement été le témoin d'agissements bizarres de la part de Barbara ?
CLETUS : Non, rien du tout. D'abord, à l'usine, il y a beaucoup de bruit. Et il y fait très chaud. La température peut aller jusqu'à 45 degrés. Et je ne vous parle pas du bruit assourdissant et incessant des machines, de 6 heures à 18 heures ! Si Barbara s'était éloignée, le contremaître qui surveille tout le monde l'aurait vue. Et si Barbara par malheur avait fait une activité imprévue en dehors de sa tâche quotidienne, elle aurait risqué un accident du travail, car les machines ne pardonnent pas et sont sans pitié !
AVOCAT : Et en dehors de l'usine, avez-vous remarqué quelque chose de particulier, digne d'être cité dans cette affaire ?
CLETUS : Non, pas du tout ! En plus, j'habite pas loin de chez Barbara, alors on fait le chemin ensemble, et si elle avait tué le petit sur la route, ce qui pour moi est inconcevable, je l'aurais vu quand même !
AVOCAT : Merci beaucoup pour votre témoignage, Monsieur Le Cluop. J'aimerais maintenant faire venir à la barre Monsieur Blacksad, qui est détective privé et qui a mené sa propre enquête, en parallèle de celle menée par la police. Et étrangement, il aboutit à des conclusions radicalement différentes de celles des autorités. (Blacksad arrive à la barre). Monsieur Blacksad, peut-on connaître les résultats de votre enquête ?
BLACKSAD : Comme vous voulez, Monsieur l'avocat. Monsieur le juge, monsieur le procureur, comme on vient de vous le dire, j'ai fait ma propre enquête. J'ai notamment observé assez longuement les conditions de travail dans lesquelles les ouvriers doivent produire. Et ce que j'ai découvert m'a plutôt déconcerté, terrifié même. Et pourtant il m'en faut beaucoup pour me faire peur !
AVOCAT : Que voulez-vous dire Monsieur Blacksad ?
BLACKSAD : Ce que je veux dire, Monsieur l'avocat, c'est que le petit aurait très bien pu avoir un accident du travail. Un accident mortel.
L'AVOCAT GENERAL : Objection votre honneur !
LE JUGE : Objection accordée !
L'AVOCAT GENERAL : Tout d'abord, il ne s'agit pas de faire le procès des entrepreneurs, ni même de disserter sur les conditions de travail des ouvriers qui sont, nous le savons tous, hélas très pénibles ! Ensuite, si par malheur l'enfant avait été broyé par une des machines, il est évident que nous en aurions trouvé des traces ! Or le rapport de l'enquête n'indique nulle part une quelconque trace de sang sur les machines !
BLACKSAD : Et pour cause ! Sachez, Monsieur le Juge, que les accidents du travail sont fréquents. Et quand cela arrive, les ouvriers sont renvoyés car l'on estime qu'ils ont abîmé les machines avec leur sang ! Mais aujourd'hui, avec les enfants, c'est différent. Comme les patrons n'ont pas le droit de les employer, ils restent clandestins, mais du coup, il est difficile de les cacher. Quand un accident arrive dans ces conditions là, on comprend que les patrons aient de bonnes raisons de cacher les cadavres quelque part. Mais les véritables coupables, s'ils ne passent pas en justice, savent que la vengeance est un plat qui se mange froid.
L'AVOCAT GENERAL : Objection votre honneur ! Je rappelle que nous sommes là pour évaluer la culpabilité d'une mère responsable de son enfant disparu ! Nous ne sommes pas là pour faire le procès des patrons qui, par leurs investissements et leur ingéniosité, enrichissent le pays et permettent à des milliers d'ouvriers d'avoir un travail !
LE JUGE : Objection accordée.
L'AVOCAT : Avez-vous, Monsieur Blacksad, retrouvé le corps au cours de votre enquête ?
BLACKSAD : Non, je ne l'ai pas retrouvé. Pas plus que la police d'ailleurs.
L'AVOCAT : Par conséquent, nous ignorons si l'enfant est encore en vie ou non. Nous savons seulement qu'il a disparu, n'est-ce pas ?
BLACKSAD : Votre sens de l'observation et vos déductions vous servent à merveille, Monsieur l'avocat.
L'AVOCAT GENERAL : M. Blacksad, je suppose que vous avez de l'expérience dans le monde du crime, et que vous êtes capable de reconnaître les menteurs.
BLACKSAD : C'est exact.
L'AVOCAT GENERAL : Dans ce cas, comment considérez-vous le revirement de Barbara ? Un jour elle avoue sa culpabilité, et le lendemain elle revient sur sa déclaration comme si de rien n'était ?
BLACKSAD : Comme l'a déjà expliqué l'avocat, Barbara avait peur et était déboussolée. Votre honneur, j'ai moi-même été policier jadis et je connais les méthodes d'interrogatoire, méthodes très persuasives, méthodes qui convaincraient un saint de dire des monstruosités. C'est pourquoi je doute de la véracité de cette première déclaration.
L'AVOCAT GENERAL : Même s'il n'est pas mort, trouvez-vous normal qu'un si jeune enfant passe toutes ses journées à travailler dans une usine au lieu d'aller à l'école ? Trouvez-vous normal qu'un jeune garçon de neuf ans soit obligé de rentrer seul chez lui, le soir ? Cette femme (le procureur montre Barbara du doigt) est, en tant que mère, responsable de l'éducation de son fils. Elle devrait rester chez elle, au foyer, pour que son enfant trouve quelqu'un lorsqu'il rentre, ainsi qu'une vraie maison, au lieu d'un taudis misérable, sombre et froid ! Ce qu'il faut à un enfant, ce n'est pas un travail à l'usine, mais une personne de confiance pour se confier, raconter sa journée passée à l'école, faire ses devoirs ! Car si l'enfant avait été normalement scolarisé, comme le prévoit la loi, il n'y aurait pas eu de disparition. On saurait en permanence où se trouve l'enfant ! Dites-moi, Barbara, quel genre de femme êtes-vous pour passer vos journées à l'usine ou à vous adonner à d'autres activités, qui sait ? Vous ne préféreriez pas que votre enfant ait des chances d'avoir un avenir meilleur que votre présent ? Mais quelle mère êtes-vous ?
BARBARA : Je suis une mère qui a faim !
Une femme dans le public : Mère indigne !
LE JUGE : Silence dans la salle ! Je n'accepterai plus le moindre bruit. Ne me forcez pas à faire évacuer la salle ! Monsieur le procureur, avez-vous d'autres questions à poser à l'accusée ?
L'AVOCAT GENERAL : J'aimerais appeler à la barre Monsieur Baboeuf, contremaître à la filature où travaille Barbara. (M. BABOEUF s'installe). M. Baboeuf, vous êtes bien le supérieur hiérarchique de Madame Tuvache ?
BABOEUF : C'est exact, Monsieur le procureur.
L'AVOCAT GENERAL : Parlez-nous un peu de Mme Tuvache. A quel type d'ouvrière avons-nous affaire ?
BABOEUF : Mme Tuvache n'est pas l'ouvrière la plus facile, croyez-moi ! C'est vrai que son travail est difficile. Elle ne doit pas quitter la machine des yeux, et elle doit adopter un rythme effréné. Mais...
L'AVOCAT GENERAL : Mais ? Continuez, je vous en prie.
BABOEUF : Mais, c'est que, elle n'est pas la seule à faire ce dur métier. Et pourtant elle ne cesse de se plaindre, et de venir voir les supérieurs pour réclamer des augmentations ! Son mari lui a mis des idées d'utopie dans la tête, et depuis, elle ne cesse de fomenter des complots contre la direction ! Comme si les patrons n'en faisaient pas assez pour les ouvrières ! C'est déjà bien beau de les accepter dans l'usine ! Qui leur donne du travail, si ce n'est les patrons ? Et au lieu d'obéir ou d'être reconnaissante, Madame Tuvache ne cesse d'appeler les autres ouvrières à la révolte ! A croire qu'elle a le goût du sang !
L'AVOCAT : Objection votre honneur ! Tout ceci n'a rien à voir avec l'accusation d'infanticide ! On ne peut pas se servir des idées politiques de Barbara pour l'accuser de meurtre !
LE JUGE : Objection accordée.
L'AVOCAT GENERAL : Puis-je continuer votre honneur ?
LE JUGE : Je vous en prie. Mais venez-en au fait.
L'AVOCAT GENERAL : Monsieur Baboeuf, Barbara aurait-elle laissé montrer un jour qu'elle aurait voulu assassiner son propre enfant ?
BABOEUF : Un jour, le petit jouait à cache-cache dans l'usine, sous les machines, au lieu de travailler. Quand sa mère l'a retrouvé, elle était dans une rage folle. Elle lui criait dessus et le frapper en le faisant jurer de ne plus jamais recommencer. Il a fallu que les autres ouvrières la calment pour pouvoir libérer le petit en pleurs. On n'avait jamais vu Madame Tuvache dans une telle fureur. On aurait dit qu'elle voulait le tuer.
L'AVOCAT : Objection, votre honneur. Ce jour-là, le petit Victor risquait sa vie au milieu des machines qui sont dangereuses. On ne peut reprocher à Barbara d'avoir joué ici son rôle de mère protectrice.
LE JUGE : Objection accordée. La parole est à la défense.
L'AVOCAT : Merci votre honneur. Barbara n'a pas les moyens de subvenir à ses besoins. Dans ces conditions, quand le présent est aussi fragile et précaire, comment voulez-vous qu'elle pense à l'avenir ? Elle a déjà beaucoup à penser. Elle doit trouver chaque jour de quoi manger. La vie des ouvriers est pénible, c'est vrai. Mais la vie des ouvrières est encore plus misérable que vous ne le pensez. Pour bien vous faire comprendre la condition des ouvrière, j'appelle à la barre Séverine, journaliste à La Fronde qui a réalisé des reportages au coeur même de la vie des ouvrières. (Séverine rejoint la barre). Bonjour Séverine.
SEVERINE (rejoint la barre) : Bonjour Monsieur l'avocat.
L'AVOCAT : Tout d'abord, merci pour le témoignage en faveur de Barbara. Que pouvez-vous nous apprendre sur la vie quotidienne d'une ouvrière de nos jours ?
L'AVOCAT GENERAL : Objection votre honneur !
LE JUGE : Objection accordée.
L'AVOCAT GENERAL : Encore une fois, nous ne sommes pas là pour avoir un cours magistral sur la vie quotidienne d'une ouvrière, mais pour juger une femme coupable d'infanticide !
L'AVOCAT : Objection votre honneur. Je rappelle au procureur que Barbara est accusée du meurtre de son fils. Cela ne fait pas d'elle pour l'instant une criminelle. Elle bénéficie pour l'instant, tant que le verdict n'a pas été donné, de la présomption d'innocence. Et j'ajoute que la défense a besoin de connaître le déroulement exact d'une journée d'une ouvrière pour vous prouver que Barbara est incapable de commettre un infanticide.
LE JUGE : Objection acceptée. La parole est à la défense. Continuez, je vous en prie.
L'AVOCAT : Merci, votre honneur. Séverine, pouvez-vous répondre à ma question s'il vous plaît ? Pouvez-vous dresser aux personnes ici présentes un rapide tableau sur la vie quotidienne de Barbara ?
SEVERINE : Volontiers. Car avant de juger si cette femme remplit correctement son rôle de mère, il faudrait d'abord juger le monde dans lequel nous vivons ! Une ouvrière seule peut survivre avec son maigre salaire, mais une ouvrière qui élève seule son enfant ne le peut pas ! Pas décemment en tous les cas ! Ainsi, sachez que ce n'est pas un choix, une libre décision de sa part de faire travailler son propre enfant à l'usine ! C'est le système tout entier qui l'y contraint pour pouvoir survivre ! C'est facile, quand on a le ventre rempli, de penser à l'avenir, mais c'est beaucoup plus difficile quand on a faim ! Chaque jour, Barbara doit travailler à l'usine de 5 heures à 18 heures. La salle où elle travaille est bruyante. Il y fait chaud, et le sol est constamment humide. Et chaque jour, elle gagne à peine de quoi s'acheter du pain. Ainsi, il convient de rappeler que Barbara n'est pas un bourreau ! Elle est une victime ! Et alors qu'on devrait la récompenser pour ses efforts, pour sa volonté de retrouver son fils, alors qu'on devrait la plaindre et compatir à sa souffrance, on l'accuse de tous les maux, et on croit avoir trouvé une nouvelle Médée ! Barbara est une victime ! Victime d'avoir perdu son enfant ! Victime de devoir se tuer à la tâche, de l'aurore au crépuscule, pour un salaire de misère !
L'AVOCAT : Pourtant, Barbara doit assumer son rôle de mère...
SEVERINE : Transformez une femme en ouvrière, et elle ne pourra plus assumer sa fonction de mère. Alors oui, peut-être que la surveillance de son fils lui a échappé un court instant, mais si les patrons permettaient aux femmes de travailler moins et de gagner plus, peut-être que cette tragédie ne serait pas arrivée. L'enfant travaillant clandestinement à l'usine, les patrons ont leur part de responsabilité.
L'AVOCAT : Si j'en crois vos explications, Barbara est donc incapable de commettre un tel crime...
SEVERINE : Pourquoi aurait-elle fait ça ? N'a-t-elle pas assez souffert après la mort de son mari ?
L'AVOCAT : Pouvez-vous nous rappeler les circonstances exactes de la mort de son mari ?
SEVERINE : Son mari a été assassiné par l'armée, le 1er mai 1891, lors de la manifestation pacifique des ouvriers des filatures !
L'AVOCAT : Pourquoi manifestaient-ils ?
SEVERINE : Pourquoi ? Pour la dignité et la reconnaissance du travail. Pour la journée de 8 heures et un salaire décent, à la hauteur du travail accompli. Ils manifestaient pour la justice. Des enfants ont été assassinés également. Le plus jeune des manifestants qui fut fusillé n'avait pas dix ans. Pensez-vous que Barbara ait pu oublier un tel événement ? Le fils de Barbara n'était qu'un bébé à l'époque. Elle souhaitait le meilleur pour lui, elle ne voulait pas qu'il finisse ouvrier, exploité comme une bête de somme. Elle voulait qu'il finisse ingénieur, pour améliorer le sort des ouvriers.
L'AVOCAT : Merci Séverine. Vous voyez bien que toute cette affaire est absurde et fantasmagorique ! Une femme, avec ce passé lourd et difficile à porter, ne peut se rendre coupable du meurtre de son propre enfant, son avenir, son espoir, la chair de sa chair ! Séverine, avez-vous un dernier message à faire passer à la cour ?
SEVERINE : Oui. Barbara est une femme formidable, dont j'admire le courage. Et je trouve cela trop facile d'accuser une ouvrière, veuve de surcroît. Ce n'est pas en s'attaquant aux plus faibles que l'on trouvera les vrais coupables. Il est déjà assez difficile pour une mère de perdre son enfant, inutile de culpabiliser davantage Barbara qui est ici une victime et non une criminelle. Barbara est incapable de faire du mal à son enfant, incapable de faire du mal à qui que ce soit.
L'AVOCAT : Merci. J'appelle à la barre Barbara. (doucement, à Barbara) Courage, on y est presque ! Barbara, que représentait Victor, votre fils, pour vous ?
BARBARA : Malgré mes aveux à la police, malgré les accusations, malgré la rumeur, je n'ai pas tué mon fils. Il était mon sang, mon oxygène, la prunelle de mes yeux. Jamais, oh ! Jamais je n'aurais pu commettre l'acte dont on m'accuse. Il était toute ma vie. Avec le médiocre salaire que j'avais, je ne pouvais me permettre d'avoir un enfant à élever. Mais il était pour moi impossible de m'en séparer. Quand il a atteint l'âge de travailler, je l'ai fait rentrer à l'usine pour que nous puissions avoir rien qu'un tout petit bout de pain. Vous comprenez, Monsieur ? Nous ne pouvions pas vivre avec mon salaire, le salaire d'une pauvre ouvrière, nous mourions de faim. Je sais ce que vous pensez, ce que vous pensez des ouvrières. Pour vous ce sont des traînées, des prostituées. Les vraies femmes devraient rester à la maison pour s'occuper de leurs enfants, faire le ménage et les repas. Mais quand il n'y a qu'elles pour rapporter de l'argent, comment faire ? On doit faire comme moi, aller à l'usine, et sacrifier tout son corps, toute son âme, son être tout entier au travail ! Je voulais bien me sacrifier, moi, pour mon fils. Je ne m'attendais pas à ce que ce soit mon fils qui soit sacrifié...(elle pleure) Mais je ne veux pas de votre pitié. Je veux juste que la loi soit appliquée, et que l'on trouve le monstre qui me prive de mon enfant en ce moment-même !
L'AVOCAT : Je pense qu'il n'y a pas grand chose à rajouter, après un témoignage aussi sincère et poignant. Je rappellerai tout de même cette idée toute simple : après avoir perdu son mari et après avoir travaillé toute sa vie pour pouvoir subvenir aux besoins de son enfant, pensez-vous qu'elle l'aurait tué ? Une femme qui a un tel amour pour son fils et un tel attachement à la justice peut-elle se rendre coupable d'une telle horreur ? Voyez-vous un monstre à la place de cette femme qui pleure la disparition de son enfant ? Ce qu'il faut dans cette affaire, c'est trouver le vrai coupable, au lieu de s'acharner sur un bouc-émissaire. La justice a tout à y gagner. Lorsque cette femme a perdu son mari, le 1er mai 1891, l'Etat n'a pas pris le temps de rendre la justice et de punir les coupables. Ne commettons pas à nouveau la même erreur, et ne nous trompons pas de cible. Il en va de l'honneur de la République et de sa capacité à rendre la justice.
LE JUGE : Je vous remercie. La séance est levée. La cour va à présent délibérer.
Le juge et les jurés quittent la salle. Après une minute, ils reviennent.
LE JUGE : Le jury a délibéré. La cour déclare Barbara...non-coupable ! L'accusée est donc acquittée !