Histoire et mémoire pièce de théâtre acte III

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ACTE III : Les retrouvailles au Familistère

 

Personnages : Barbara, Monsieur DuPrécy (journaliste au Figaro), Monsieur Jaurès (journaliste à l’Humanité), Séverine (journaliste pour La Fronde), le détective Blacksad, cinq ouvriers familistériens.

 

BLACKSAD : Barbara, quel plaisir de vous revoir, après toutes ces années !

BARBARA : John Blacksad, soyez le bienvenu dans le Palais social ! Mais je vois que vous n’êtes pas venu seul. Vos amis sont également les bienvenus. Que me vaut l’honneur de votre visite ?

BLACKSAD : En réalité, ces trois personnes ne sont pas mes amis. Il s’agit de journalistes qui ont envie de connaître la nouvelle vie que vous menez au Familistère de Monsieur Godin. Je vous présente Monsieur Jaurès, qui travaille pour l’Humanité.

M. JAURES : Madame, c’est un honneur de vous rencontrer.

BLACKSAD : Monsieur DuPrécy, journaliste au Figaro.

M. DUPRECY : Mes hommages, Madame.

Blacksad : Et Séverine, qui travaille pour le journal La Fronde.

SEVERINE : C’est une grande joie de vous revoir, Madame.

BARBARA : Est-ce vous qui aviez témoigné en ma faveur, dans les journaux et au tribunal, quand j’étais accusée d’avoir fait disparaître mon enfant ?

SEVERINE : C’est exact.

BARBARA : Vous n’imaginez pas à quel point je vous suis reconnaissante, vous et M. Blacksad.

SEVERINE : Et vous n’imaginez pas à quel point c’est un bonheur pour moi de vous voir aussi épanouie et libre aujourd’hui.

BARBARA : Je n’en serais pas là aujourd’hui, sans votre aide, et sans le soutien de Monsieur Godin qui m’a accueillie ici, et qui m’a permis de devenir institutrice.

SEVERINE : Pouvez-vous nous raconter comment vous avez quitté le prolétariat pour devenir institutrice ?

BARBARA : C’est Marie Moret, la compagne de Monsieur Godin, qui m’a appris à lire et à écrire. Grâce à la bibliothèque du Familistère, j’ai pu rapidement acquérir une véritable culture qui m’était inconnue jusqu’alors. Devant mes progrès rapides, Marie Moret a su convaincre Monsieur Godin de me laisser m’occuper des enfants, et de leur apprendre à lire et à écrire, dans l’école du Familistère.

M.DUPRECY : Enseigner à lire et à écrire ? N’auriez-vous pas été plus utile à l’usine ? Il me semble que l’éducation des jeunes filles doit être la fonction des sœurs de l’Eglise.

BARBARA : Mais il n’y a pas d’Eglise au Familistère. Ni dans les logements, ni dans l’école.

M. JAURES : Et avez-vous beaucoup d’élèves ? Les études coûtent cher. Comment des ouvriers peuvent-ils payer l’école à leurs enfants ?

BARBARA : L’école créée par Monsieur Godin est obligatoire, gratuite, laïque et mixte ! Tous les enfants du Familistère sont obligés d’aller à l’école, les filles comme les garçons. L’enseignement est pluridisciplinaire : français, écriture, lecture, mathématiques, mais aussi gymnastique, musique, chant, dessin industriel et leçon de choses en plein air !

BLACKSAD : Les enfants ne sont-ils pas dégoûtés des études ? Tout le monde n’est pas fait pour apprendre…

BARBARA : Les enfants sont fiers d’aller dans une école gratuite, mixte et sans l’ombre d’un prêtre à l’horizon. De plus, nous leur accordons beaucoup de liberté, et nous nous appuyons sur leurs qualités et leurs compétences pour les aider à progresser. Notre rôle est d’élever ces enfants à la liberté, pas de les brimer, ou de leur faire croire qu’ils sont nuls ! Chaque enfant possède une qualité que nous reconnaissons et que nous nous efforçons de développer.

M.DUPRECY : N’y a-t-il pas des conflits entre les filles et les garçons ? Les garçons ne sont-ils pas perturbés par la présence des filles ?

BARBARA : Au Familistère, nous considérons que les filles ne sont pas inférieures aux garçons, et la mixité est la meilleure façon de créer une harmonie entre les sexes, car chaque sexe apprend à se connaître dès le plus jeune âge. C’est là l’objectif principal du Familistère : le progrès social et l’harmonie.

SEVERINE : C’est remarquable. Vous pouvez être fière de vous. Vous êtes un modèle pour tous les citoyens de ce pays !

BARBARA : N’exagérons rien. Ce n’est pas le paradis ici. Il y a comme partout des difficultés et des conflits, des accidents du travail, et même des grèves. Mais force est de reconnaître que le Familistère a vraiment apporté des progrès considérables.

M. JAURES : Des progrès de quel ordre ?

BARBARA : Des progrès sociaux, économiques et intellectuels.

M. DUPRECY : Pouvez-vous nous en dire plus ?

BARBARA : Bien sûr, si vous voulez bien me suivre, je vais vous faire visiter les lieux. Les Familistériens que nous risquons de croiser complèteront mes explications.

SEVERINE : Ce bâtiment, qui est au centre de l’école, de quoi s’agit-il ?

BARBARA : Il s’agit du théâtre. Il sert à nous divertir. L’harmonie de l’usine y joue des concerts parfois. C’est un lieu important pour la vie culturelle du Familistère.

M.DUPRECY : Et à côté, là-bas, à quoi servent ces bâtiments ?

BARBARA (croisant un ouvrier) : Bonjour mon ami. Peux-tu expliquer à ces gens la nature et la fonction de ces bâtiments ?

OUVRIER 1 :  Ce sont les économats : des magasins qui nous donnent des produits alimentaires à un prix plus abordable et meilleur marché que dans le centre-ville. Nos femmes peuvent même y acheter des plats déjà préparés quand elles reviennent de l’usine. Cela leur évite de s’épuiser dans les tâches ménagères, après une longue journée de travail. On profite ainsi de la vie de famille et de nos enfants.

M.DUPRECY : Plus personne ne fait la cuisine ?

OUVRIER 1 : Si, bien sûr. Quand nous avons le temps, pendant les vacances ou le dimanche, nous allons dans nos jardins pour cultiver les légumes qui complètent ainsi notre alimentation. Nous n’avons pas perdu le contact avec la terre.

SEVERINE : Quelle est la durée quotidienne du travail à l’usine Godin ?

OUVRIER 1 : Nous travaillons dix heures par jour, parfois moins, en fonction des années et des commandes.

M. JAURES : C’est deux heures de moins que la durée légale !

BARBARA : Oui, mais les ouvriers de chez Godin gagnent mieux et plus que les autres, d’autant plus qu’une part des bénéfices de l’entreprise leur revient. Chez Godin, on travaille moins et on gagne plus !

SEVERINE : Prodigieux !

M. DUPRECY : Impossible !

BARBARA : Ensemble, tout devient possible M. Duprécy.

BLACKSAD : J’ai tout à coup envie de devenir ouvrier, moi…

BARBARA : Dirigeons-nous à présent dans les bâtiments consacrés aux logements.

SEVERINE : Nous vous suivons.

 

            La caméra suit les acteurs du théâtre à l’entrée du bâtiment central du Familistère, jusque dans la cour intérieure. Les visiteurs croisent deux Familistériens. Ils se saluent.

 

BARBARA : Ce bâtiment fut construit en 1859. C’est le premier du Familistère.

M. JAURES : Mais…On se croirait dans une prison !

M. DUPRECY : Et cette cour intérieure ne joue-t-elle pas le rôle de caisse de résonance ? Les habitants ne sont-ils pas incommodés par le bruit des enfants et des passants ?

SEVERINE : C’est très lumineux, en tout cas.

BARBARA : Il est vrai que ce parallélogramme peut faire penser à une prison. Mais rassurez-vous, les Familistériens ne sont en aucun cas prisonniers ! N’habitent ici que les ouvriers qui le souhaitent. En revanche, Monsieur Godin a insisté pour que les contremaîtres, les cadres, les ingénieurs et les directeurs habitent également ici, avec les ouvriers ! Enfin, cette structure permet à chaque habitant de se sentir membre d’une même communauté. Cette architecture est là pour renforcer l’esprit de solidarité entre les habitants.

M. DUPRECY : Mais qui s’occupe de la sécurité en cas de tapage nocturne par exemple ?

SEVERINE : J’ai cru comprendre que le règlement intérieur était très strict.

BARBARA : C’est tout à fait vrai.

BLACKSAD : Mais qui s’occupe de faire appliquer le règlement intérieur ?

BARBARA : Tout le monde ! Ici, il n’y a pas de policier, car tout le monde est invité à surveiller tout le monde. En cas d’infraction au règlement intérieur, des amendes doivent être versées. Mais comme chaque Familistérien est surveillé, il y a très peu de violation du règlement, et chacun est poussé à devenir autonome, responsable et droit. Enfin, les ouvriers sont tellement heureux d’avoir de vrais logements, plus confortables et moins chers qu’ailleurs, qu’ils n’osent pas prendre des risques d’amende ou d’exclusion.

SEVERINE : N’y a-t-il pas trop de commérages, de rumeurs, de diffamations ?

BARBARA : Si bien sûr, comme partout, mais l’esprit de solidarité et la fierté de participer au Familistère sont plus forts que tout.

M. JAURES : Quel est le matériau utilisé pour la charpente ?

BARBARA : La charpente est en bois. Elle supporte plus de 1000 mètres carrés de verre.

M. DUPRECY : Une véritable prouesse technique !

SEVERINE : Il ne fait pas trop chaud, en été, sous la verrière ?

BARBARA : M. Godin a créé un véritable système de climatisation et de ventilation qui permet d’éviter l’effet de serre. Des ouvertures ont été créées au niveau des caves, ce qui permet de renouveler l’air et de maintenir un climat tempéré toute l’année.

SEVERINE : Prodigieux !

BLACKSAD : C’est simple, mais il fallait y penser !

M. JAURES : Mais les habitants du troisième étage sont obligés de descendre à chaque fois pour descendre les poubelles. Ce n’est pas très pratique…

BARBARA : Détrompez-vous : M. Godin a créé des trappes à balayure : un réseau dans les murs qui permet de vider les ordures tout en restant chez soi !

SEVERINE : Avez-vous d’autres dispositifs pour favoriser l’hygiène et la propreté ?

BARBARA : Chaque étage est muni de toilettes et de fontaines. De plus, chaque pièce d’eau dans les logements bénéficie de l’eau chaude qui est directement récupérée de l’usine. Enfin, les femmes peuvent nettoyer les vêtements dans la buanderie, à côté de la piscine.

M. DUPRECY : Vous avez une piscine ?

BARBARA : Oui, et mes élèves apprennent même à y nager !

SEVERINE : Quelle chance !

BARBARA : Savez-vous nager M. Duprécy ?

M. DUPRECY : Euh…Cela ne fait pas partie de mes préoccupations.

M. JAURES : Pouvons-nous visiter un appartement ?

BARBARA : Bien sûr. Un logement a été vidé récemment. Il accueillera bientôt une nouvelle famille. Allons-y.

 

Dans la rue-galerie.

 

BARBARA : Bonjour mon ami. Ces visiteurs sont veulent écrire des articles pour la presse, au sujet du Familistère.

OUVRIER 2 : Soyez les bienvenus sur ces galleries. Comme vous pouvez le constater, ce sont de véritables rues. Elles font 1m30 de largeur. Elles permettent ainsi à chaque Familistérien de se croiser sans se bousculer. Les habitants peuvent ainsi discuter entre eux, tranquillement.

BLACKSAD : Jamais personne n’est tombé ?

BARBARA : Vous lisez trop de romans policiers, M. Blacksad. Les balustrades ont été calculées pour éviter tout danger de chute, notamment pour les enfants.

 

Dans un appartement.

 

BARBARA : Cher ami, ces gens sont venus visiter le Familistère. Ils veulent voir à quoi ressemble un habitat collectif conçu par Monsieur Godin. Peuvent-ils visiter ton futur logement ?

OUVRIER 3 : Oui, bien sûr. Entrez, je vous en prie. En théorie, chaque logement standard possède deux pièces de 20 mètres carrés chacune, avec 3 mètres de hauteur.

SEVERINE : Ce sont de beaux volumes.

M. DUPRECY : Surtout pour des ouvriers.

OUVRIER 3 : Mais les appartements sont extensibles en fonction des besoins et des moyens de chaque famille. Plus la famille s’agrandit, plus le logement s’agrandit. Une famille peut ainsi loger dans un appartement de quatre pièces.

M. JAURES : Les familles sont-elles propriétaires ?

OUVRIER 3 : Non, mais ici, personne n’est propriétaire. Nous sommes tous locataires, de même que les cadres et les ingénieurs qui sont nos voisins.

M. JAURES : Qui est le propriétaire alors ?

OUVRIER 3 : Personne et tout le monde à la fois ! Il n’y a pas de propriétaire, mais nous sommes tous associés.

SEVERINE : Fascinant !

M. JAURES : ça fait rêver !

OUVRIER 2 : Chaque appartement bénéficie de plus de la lumière naturelle le jour, au gaz la nuit. Ainsi, nous, les ouvriers, nous possédons les équivalents de la richesse : l’espace, la lumière et l’air pur !

M. DUPRECY : Cet appartement est plus fonctionnel et plus lumineux que mon hôtel particulier à Paris !

 

 

 

A l’entrée du Familistère, devant la statue de Jean-Baptiste André Godin :

 

SEVERINE : Ma chère amie, ce que vous nous avez présenté aujourd’hui est absolument remarquable. Espérons que nos décideurs s’inspirent un jour de l’expérience du Familistère pour le diffuser partout en France et en Europe !

M. JAURES : Je n’aimerais pas vraiment habiter ici, mais je dois reconnaître que le projet de Monsieur Godin n’a rien de délirant, et je m’incline face à cette réalisation colossale.

M.DUPRECY : Le Tout-Paris sera émerveillé par le récit de l’épopée du Familistère ! Je vous le garantis. Jamais je n’aurais cru un jour faire les louanges du communisme !

BARBARA : Le Familistère n’est pas un projet communiste. Les communistes ne croient ni au capital, ni à la famille. Or Monsieur Godin a créé le Familistère pour les familles, comme l’indique son nom. Et rien de tout cela n’aurait été possible sans les bénéfices générés par l’entreprise. Nous avons besoin du capital pour réaliser tous ces progrès sociaux.

M. JAURES : Mais au fond, Monsieur Godin n’est-il pas un peu paternaliste ? Et n’a-t-il pas construit ces logements pour garder une main-d’œuvre disponible près de son usine ?

BARBARA : Le Familistère n’est pas un projet paternaliste car il n’y a pas de hiérarchie sociale ici. Chacun gagne selon son travail et ses compétences. Il y a donc des différences de salaires. Mais il n’y a pas vraiment de patron. Nous sommes tous associés. Et les ouvriers n’ont jamais été considérés comme des enfants par Monsieur Godin. Monsieur Godin voulait justement rendre la dignité et  la liberté aux ouvriers, et en faire des personnes solidaires et responsables !

SEVERINE : Vous voilà une avocate ardente du Familistère ! Et vous avez bien raison ! Car tout ce que j’ai vu m’a convaincue d’au moins une chose : il n’y a pas de progrès possible sans innovation technique, pédagogique et architecturale ! Prenez soin de vous, ma chère Barbara, et ne perdez pas la foi qui vous anime !

BARBARA :  Je me battrai aussi longtemps que je pourrai aider des enfants et leur apporter tout mon amour.

 

FIN

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