Les écritures de soi

Publié le par Professeur L

niveau troisième : les écritures de soi

Introduction

A la question : "qui suis-je ?", je suis tenté de répondre : "je m'appelle Axel, je suis un garçon de quinze ans, je suis un être vivant qui habite à Chantilly". Mais dire cela ne présente pas vraiment qui je suis. Car je ne fais que donner les groupes ou les catégories auxquels j'appartiens. Autrement dit, je ne réponds pas à la question de l'identité, mais à celle de l'appartenance : j'appartiens au groupe des êtres vivants, à celui de ceux qui s'appellent Axel, etc...Donc notre carte d'identité ne suffit pas à dire qui nous sommes en réalité. Ce sont les racistes qui confondent l'identité et l'appartenance. C'est ce qu'explique Michel Serres, philosophe français contemporain. Dans ces conditions, qu'est-ce qui fait de moi un être unique ? D'un point de vue biologique, c'est l'ADN qui fait de nous un être unique. Mais l'ADN nous informe surtout sur nos caractéristiques physiques, par sur ce que nous sommes. Qu'est-ce qui fait de moi un être unique ? Ce qui fait de moi un être unique, ce sont mes sentiments, mes pensées et ma conduite dans des situations ou des expériences très fortes, telles que l'amour, l'amitié et la mort.
Comment découvrir qui nous sommes à partir de ces expériences ? On peut aller chez un psychanalyste, mais on peut aussi adopter certaines techniques comme l'écriture. C'est ce que font les autobiographes. L'autobiographie, les journaux intimes, l'autoportrait sont des techniques d'écriture qui permettent de réfléchir sur notre identité personnelle, sur qui nous sommes.

Séance 1
Support
: Persépolis de Marjane Satrapi
Objectif : comprendre les mémoir
es



France, aéroport d'Orly. Une jeune femme hésite à prendre un avion en direction de Téhéran. Elle se souvient. 1978, en Iran, la petite et insouciante Marjane est choyée par sa famille. Intellectuels modernes, ses parents protestent contre le chah. Mais leurs espoirs de liberté tombent avec la mise en place de la République Islamique qui fait exécuter Anouche, l'oncle de Marjane. La fillette qui rêvait de changer le monde en se proclamant prophète doit désomrais se soumettre à la loi islamique, subir les privations et les bombardements lors de la guerre Iran-Irak et bientôt porter le voile. Adolescente à la langue bien pendue, elle se révolte de plus en plus. Pour la protéger, ses parents décident de l'envoyer en Autriche.
Pour comprendre l'histoire de Marjane, il faut connaître et comprendre l'histoire de l'Iran. Persépolis débute sous le régime du Chah (empereur) Mohammed Réza Pahlévi. Celui-ci est très occidentalisé, il a rompu avec les vieilles traditions religieuses, il alphabétise la population, prend en compte les femmes, souhaite une révolution industrielle et culturelle. Mais sa police politique, mise en place par la CIA en 1957 (la SAVAK) enferme et tue les opposants. Ce régime autoritaire fait naître une révolution. C'est l'ayatollah Khomeyni, un religieux en exil en France, qui incarne la révolution en marche. Au départ, la révolution regroupe tout le monde (libéraux, communistes, socialistes et religieux). Mais rapidement les religieux seuls prennent le pouvoir. L'Iran devient alors une République Islamique en 1979. Le nouveau gouvernement est fondé sur la loi islamique. Le chef des religieux, l'ayatollah ("signe de Dieu") Khomeyni, est appelé "Guide suprême ou Guide de la révolution" et se situe au-dessus du Président de la République. L'événement historique synonyme de liberté décrit au début du film devient donc rapidement une dictature.
Persépolis parle donc de guerre et de politique. Mais cette politique est vue à travers les yeux de Marjie. Au début dud récit, le protagoniste et narrateur est Marjie qui voit le monde qui l'entoure avec naïveté et acuité. Cette enfant grandit, et son regard va bien sûr changer. Le film utilise différents procédés tels que l'humour pour montrer la différence entre le personnage de Marjane, enfant ou adolescente, et l'auteur devenue adulte. Ainsi, au début, la petite Marjane affirme qu'elle sera prophète : il s'agit bien sûr là d'une parole d'enfant, et tout le monde comprendra bien vite que l'auteur adulte ne croit plus en la parole de cet enfant.
L'auteur utilise les couleurs noir, blanc et gris pour exprimer la tristesse et la colère. Le dessin de Satrapi est réaliste. Les moments de danger sont toujours dessinés en ombres chinoises. Toutefois des personnages non réalistes apparaissent souvent : Dieu et Marx quand l'enfant rêve. Ces scènes sont surréalistes car elles expriments les rêves de Marjie. Le film est une donc une synthèse poétique entre le réalisme, quand la guerre ou la vie quotidienne sont montrées, et le surréalisme, quand le rêve ou le fantasme sont mis en scène.

Séance 2
Support : le
s Confessions de Rousseau (incipit)
Objectif : comprendre le pacte autobiographiq
ue

Rousseau veut faire découvrir sa vie sans tabou. Il s'adresse au lecteur et à Dieu, considéré comme le juge suprême : "être éternel", "souverain juge". Il prend à témoin Dieu lui-même, pour ne pas être critiqué, pour prouver la vérité de ce qu'il énonce. Rousseau évoque les mots "franchise", "sincérité" et "vérité" pour montrer qu'il ne va pas nous mentir. Il jure qu'il va être sincère, comme s'il était devant Dieu, après la mort. Rousseau, pour montrer qu'il s'adresse à Dieu, insère dans son texte le pronom personnel "tu" et il utilise l'impératif présent "rassemble". Il utilise le futur pour montrer la sincérité de son texte, en nous promettant qu'il redira ce qu'il écrit devant Dieu : "voudra", "viendrai", "dirai". Pour s'exprimer devant l'humanité qu'il convoque, Rousseau emploie le subjonctif : "qu'ils écoutent, qu'ils gémissent, qu'ils rougissent". Il emploie le rythme ternaire pour insister sur le fait que l'humanité ait à écouter ce qu'il a à dire.
Rousseau dans ce texte se considère semblable aux autres car il appartient au genre humain. Mais il est différent car chacun a sa propre histoire : '" je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus...au moins je suis autre". La difficulté qu'éprouve Rousseau est le manque de mémoire : "s'il m'est arrivé d'employer quelque ornement indifférent, ce n'a jamais été que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire."
Rousseau commece à raconter sa vie à partir du dernier paragraphe, grâce au passé composé et à l'imparfait, et comme nous le prouvent le lieu et la date de naissance.
Le pacte autobiographique est donc un serment fait au lecteur qui consiste à promettre de dire la vérité sur sa vie dans le texte autobiographique.

Séance 3
Objectif : comprendre l'autoportrait
Support
s : Persépolis de Marjanne Satrapi et L'Age d'homme de Michel Leiris

Dans Persépolis, Satrapi se décrit au passage de l'adolescence. L'auteur utilise l'hyperbole (exagération comique ici) quand elle se compare à Hulk dans la première case. Satrapi emploie l'auto-dérision et l'antiphrase (ironie) pour faire comprendre qu'elle se trouve laide : on a un décalage, un contraste entre ce qu'elle écrit et ce qu'elle dessine : "puis mon menton avança majestueusement."

Le type du texte de Leiris est un autoportrait. Ce texte repose sur la valeur de la vérité envers soi-même comme envers le lecteur. Il s'agit plus précisément d'affronter avec courage sa propre vérité. Dans son manifeste intitulé De la littérature considérée comme une tauromachie, Michel Leiris identifie le travail d'écriture au combat du toréador : "parler de (soi-même) avec le maximum de lucidité et de sincérité (...), confesser publiquement certaines des déficiences et des lâchetés qui font le plus honte." L'écriture est un "moyen d'introduire ne fût-ce que l'ombre d'une corne de taureau dans une oeuvre littéraire." Leiris utilise la phrase "autant que je puisse en juger" pour montrer sa sincérité. L'auteur énumère les "caractéristiques" de sa "physionomie" en utilisant des adjectifs qualificatifs ("un front développé", "mes mains sont maigres", "mes épaules trop étroites") et des groupes prépositionnels ("aux hanches", "de taille moyenne", "de muscle", "aux rougeurs", "à la peau luisante"). Ces expansions du nom servent à préciser et à compléter la description. Pour chaque élément physique, l'auteur ajoute un adjectif qualificatif ou un groupe prépositionnel. L'écrivain emploie enfin une comparaison. Il compare sa nuque à une falaise et à une muraille : "une nuque très droite, tombat verticalement comme une muraille ou une falaise". Cette comparaison est péjorative, ce qui prouve que l'autoportrait est sans concession.

Séance 4
Support
: W ou le souvenir d'enfance de Georges Perec
Objectif : comment parler d'un traumatisme ? Le détour de la fiction dans l'autobiograph
ie

L'auteur nous parle de ses trois souvenirs d'école. L'écrivain utilise pour évoquer ses souvenirs le présent d'énonciation : "le premier est le plus flou", "je sens encore physiquement". Dans le deuxième paragraphe, Perec emploie le présent de narration pour vivre l'action passée au présent : "nous nous bousculons", "on nous fait essayer" et "je saute". Dans le deuxième paragraphe, l'auteur mentionne les masques à gaz pour évoquer la guerre. Le mot "écoeurante" nous prouve que c'est un mauvais souvenir. Perec utilise des blancs entre les paragraphes pour montrer qu'il a du mal à se souvenir, comme Nathalie Sarraute qui évoquait la même difficulté. Dans le paragraphe suivant, l'auteur essaie de décrire plus précisément la scène, d'où les mots entre tirets qui montrent la réflexion et les repentirs de l'écrivain qui cherche à se souvenir. Perec se souvient le mieux du dernier souvenir car c'est celui qui l'a le plus marqué : "le troisième est, apparemment, le plus organisé". L'auteur utilise à partir de ce paragraphe le passé simple ("agraffa") et l'imparfait ("avait") pour insister plus précisément sur les choses qui l'ont choqué. L'auteur utilise le pronom impersonnel "on" pour nuancer son manque de mémoire. Dans le texte, l'expression qui montre que Perec est traumatisé est "si fortement inscrite dans mon corps". L'événement qui l'a apparemment traumatisé est l'humiliation et le sentiment d' "injustice flagrante" ressentis lorsque la maîtresse lui a arraché la médaille. Ce sont les deux derniers mots du texte : "étoile épinglée" qui nous permettent de comprendre que le véritable événement traumatisant fut le port de l'étoile jaune imposé aux Juifs pendant l'Occupation nazie.
Dans le deuxième texte, la scène se passe sur une île imaginaire, W. L'auteur construit une fiction qui est une contre-utopie. Il décrit un camp d'athlètes qui ressemble en réalité à un camp d'extermination. Dans le deuxième paragraphe, l'accumulation des infinitifs et des impératifs nous indique que le camp est dominé par des militaires. Les prétendus athlètes sont en réalité des esclaves deshumanisés, qui n'ont pas de nom. L'anaphore "il faut voir" permet d'insister sur la violence et la cruauté du camp.
Perec utilise le détour de la fiction pour nous faire ressentir la souffrance qu'il a vécue et celle des Juifs, pour montrer son traumatisme. Cet événement a été tellement violent et inhumain qu'il ne peut pas en parler directement. Le seul moyen pour lui d'en parler est la fiction de la contre-utopie.

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