Eduquer : argumenter autour du Cercle des poètes disparus
SEQUENCE : EDUQUER : DECOUVRIR L'ARGUMENTATION AUTOUR D'UN FILM
LE CERCLE DES POETES DISPARUS
Séance 1
Support : Le Cercle des poètes disparus de Peter Weir (1989)
Objectifs : réfléchir sur l'éducation et analyser la situation initiale du film
Qu'est-ce que l'éducation ? A quoi ça sert ?
Éduquer :
- apprendre des choses que l'on ne voit pas forcément dans notre quotidien
- transmettre un savoir
- mettre les élèves dans le droit chemin
- apprendre à vivre en communauté et à se respecter
- préparer à devenir adulte
- apprendre à se forger nos propres opinions
- apprendre à se taire
- apprendre à se forger une identité
- apprendre à analyser une situation
- apprendre à devenir indépendant
- apprendre la vie
- devenir autonome et responsable, un citoyen, apprendre la politesse, apprendre pourquoi il y a des lois,
- se cultiver
L'histoire se passe en Amérique, aux États-Unis, dans un internat, en 1959. L'internat s'appelle l'Académie Welton où sont envoyés des enfants issus de familles aisées. Il s'agit donc d'un établissement prestigieux et privé. Il a pour règles 4 piliers : excellence, tradition, honneur et discipline. Les enfants sont envoyés pour l'honneur et la satisfaction des parents. La scène de la rentrée des élèves (la cérémonie) fait penser à une secte parce que le chef d'établissement semble avoir le contrôle absolu sur tous les élèves. Ceux-ci sont tous habillés d'un uniforme. On dirait un rite perpétué dans un lieu fermé. En faisant allumer les bougies pour représenter la connaissance, il se vante car il croit avoir le pouvoir de la connaissance. Il pense être le dépositaire de la sagesse. Comme dans la Vague de Todd Strasser, les élèves obéissent sans réfléchir aux commandements du professeur pour répéter un slogan et faire le salut. En n'ayant pas leur liberté de penser, on peut en déduire qu'ils sont soumis et dépendants.
Séance 2
Support : Le Cercle des poètes disparus de Peter Weir
Objectif : comprendre et analyser les mérites et les limites de chaque modèle éducatif
Malgré l'apparence de l'Académie Welton assez autoritaire, leur système éducatif est peut-être bénéfique pour les élèves. Les professeurs imposent trop de règles cependant qui les limitent au cadre de la classe. Les élèves ne peuvent pas exprimer leur propre avis. Du coup, ils n'ont pas et n'apprennent pas la liberté de penser. Ils n'apprennent pas à penser par eux-mêmes. Leur façon d'inculquer leur savoir est un peu trop archaïque. Ils pratiquent le gavage en poussant les élèves à accumuler des connaissances. L'obéissance absolue aux quatre piliers (tradition, honneur, excellence, discipline) fait penser à une secte ou à une confrérie, une société fermée en décalage avec la réalité et la modernité. Du coup, les élèves au fond d'eux-mêmes ne respectent pas ces principes. Plus les règles sont strictes, plus les élèves vont être encouragés à les enfreindre. En méprisant la liberté, l'Académie Welton méprise le droit au bonheur qui est pourtant un droit fondamental aux États-Unis.
ACADEMIE WELTON QUALITES ET DEFAUTS
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Elle applique des valeurs et des principes fondamentaux mais malheureusement de façon archaïque (bannières, les discours magistraux, position sacralisée des professeurs, uniformes). Elle prépare les élèves à des métiers prestigieux (médecin, avocat, banquier) A la fin de leur cursus, chaque élève a son diplôme et son entrée dans une grande université. Ils apprennent à vivre en communauté (chambres à plusieurs, cantine, ils s'organisent en groupes d'étude pour se répartir le travail, ils s'entraident) Beau paysage et architecture classique. Ils apprennent l'autonomie et ils ne sont pas tentés par les amusements ou les sorties.
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Monsieur KEATING QUALITES DEFAUTS
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Il a un enseignement original. Il ne pratique pas le gavage. Il sort ses élèves de la classe et leur apprend à vaincre leur peur. Il pratique un enseignement nouveau où on n'est pas bloqué sur une chaise dans une salle. Il enseigne les choses essentielles de la vie par la poésie et le sport. Il fait preuve d'autodérision et d'humour mais reste sérieux pour transmettre les enseignements. Il pousse les élèves à trouver leur propre voie, en dehors des parents. Il est trop mystérieux. Il cache ses intentions. Il impose à ses élèves de déchirer les pages d'un livre. Il demande à ses élèves de penser par eux-mêmes mais il ne leur demande jamais ce qu'ils pensent. Il n'y a jamais de discussion entre le professeur et les élèves. Il ne donne aucune méthode pour leur apprendre à penser par eux-mêmes. Il continue d'être au centre de la classe. Il se donne des allures de chaman libérant ses élèves de leurs angoisses. |
Séance 3
Support : lettre de Gargantua à son fils Pantagruel, Pantagruel (1532)
Objectif : découvrir la culture humaniste ; comprendre que la connaissance sans l'amour ne vaut rien
Ce texte est une lettre de Gargantua à Pantagruel, son fils. Il écrit tout ce que son fils souhaite qu'il sache. C'est un texte explicatif. Gargantua veut que son fils fasse un sport de combat pour défendre sa maison : « Il te faudra quitter la tranquillité et le repos de l'étude pour apprendre la chevalerie et les armes afin de défendre ma maison ». Le sport est conseillé car cela permet de cultiver son corps, de le muscler.
Le père de Pantagruel incite son fils à apprendre les langues anciennes : « premièrement le grec, […], puis l'hébreu, […] le chaldéen et l'arabe. » En effet, pour lire les livres, il est nécessaire de connaître ces langues. La connaissance du latin en particulier est utile pour ouvrir son esprit sur d'autres mondes en voyageant. (le latin est en effet la langue internationale au XVIe siècle)
Il doit aussi apprendre les disciplines scientifiques comme la médecine, les sciences de la vie et de la terre et la géographie, l'arithmétique, la géométrie et la musique : « il n'y a pas d'études scientifiques que tu ne gardes en mémoire ».
Gargantua veut qu'il s'intéresse au droit civil et à la philosophie : « du droit civil je veux que tu saches par cœur les beaux textes et que tu les mettes en parallèle avec la philosophie. »
Pantagruel doit bannir de son enseignement l'astrologie et les superstitions qui n'ont aucune validité scientifique : « mais laisse-moi l'astrologie et l'art de Lullius comme autant d'abus et de futilités ».
Gargantua pense que la connaissance est utile mais qu'il ne faut pas l'utiliser pour écraser les autres. Autrement dit, la connaissance encyclopédique est nécessaire mais non suffisante car sans l'amour, elle ne vaut rien :
« science sans conscience n'est que ruine de l'âme »
C'est la foi en Dieu qui permet à la connaissance d'être au service de l'amour, puisque c'est le christianisme qui enseigne l'amour du prochain. D'où l'importance de connaître les textes sacrés.
Séance 4
Support : Montaigne, Essais, I, 26, « De l'institution des enfants » (1580)
Objectifs : découvrir un texte important de l'humanisme, comprendre un texte explicatif et argumentatif, comprendre la maïeutique
C'est un texte explicatif et argumentatif écrit par Montaigne. Dans ce texte, Montaigne explique comment un professeur doit s'occuper de son élève. Le bon professeur doit utiliser la maïeutique : il s'agit d'une pratique inventée par Socrate qui posait des questions dans les rues d'Athènes sur le courage, la justice, la sagesse, le bonheur, c'est-à-dire sur les valeurs. Le but est de faire accoucher les esprits de la vérité grâce au dialogue, à la discussion, au débat : « Socrate et, depuis, Arcésilas, faisaient premièrement parler leurs disciples, et puis ils parlaient à eux. »
La méthode que prône Montaigne est donc philosophique, car elle s'inspire des fondateurs de la philosophie héritée de l'Antiquité. Si on compare comme le fait Montaigne l'enseignement à la randonnée en montagne, on peut dire que le professeur est en haut avec les connaissances et doit aller chercher l'élève qui est en bas pour lui fournir toutes ses connaissances. Cela veut dire que l'enseignement est un accompagnement.
Montaigne oppose ainsi deux modèles d'éducation dans son texte : une éducation fondée sur le cours magistral du professeur, le silence de l'élève et l'apprentissage par coeur et une éducation plus moderne, qui réinvestit les acquis de la maïeutique socratique afin de rendre l'élève acteur des savoirs qu'il est censé acquérir. La méthode traditionnelle, ou cours magistral, est comparée au gavage des oies car l'intelligence des élèves n'est en aucun cas sollicitée. Seule la soumission, le silence et la mémoire de l'élève compte selon cette méthode traditionnelle : " On ne cesse de criailler à nos oreilles, comme qui verserait dans un entonnoir, et notre tâche ce n'est que redire ce qu'on nous a dit".
A cette méthode traditionnelle, qui violente la nature et la sensibilité des élèves sans recourir à leur intelligence, Montaigne oppose le modèle de la discussion ou du dialogue philosophique : Je ne veux pas qu'il pense et parle seul, je veux qu'il écoute son disciple parler à son tour."
La maïeutique est d'ailleurs beaucoup plus exigeante et bien plus difficile à mener pour le professeur que le cours magistral, car cela nécessite pour le maître de se mettre au niveau de son élève pour l'aider ensuite à évoluer et à progresser sur le chemin ardu du savoir. La pratique de la maïeutique, en raison de ces difficultés, constitue donc un critère de qualité qui permet de bien différencier le bon enseignant du mauvais. L'enseignement fondé sur le dialogue avec l'élève est assimilé par Montaigne à une randonnée en montagne : "c'est l'une des plus ardues besognes que je sache ; et est l'effet d'une haute âme et bien forte, savoir condescendre à ses allures puériles et les guider. Je marche plus sûr et plus ferme en montant qu'en descendant." La maïeutique présente enfin le mérite de permettre au professeur de s'adapter à la diversité des élèves, à la différence du cours magistral qui repose sur l'indifférenciation : "Ceux qui, comme le veut notre usage, entreprennent d'une même leçon et pareille mesure de diriger plusieurs esprits de si diverses capacités et natures, ce n'est pas étonnant si, en tout un peuple d'enfants, ils en rencontrent à peine deux ou trois qui retirent quelque juste fruit de leur enseignement." La maïeutique favorise la différenciation pédagogique ainsi qu'un meilleur accompagnement de l'élève.
L'apprentissage par coeur doit donc laisser place à la discussion au cours de laquelle l'élève est invité à reformuler (et non à répéter) le contenu d'un cours. La reformulation et le questionnement par l'élève sur le cours favorise une réelle appropriation du savoir : "Qu'il ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens et de la substance, et qu'il juge du profit qu'il aura fait, non par le témoignage de sa mémoire, mais de sa vie. Que ce qu'il viendra d'apprendre, il le lui fasse mettre en cent visages et accommoder à autant de divers sujets, pour voir s'il l'a déjà bien pris et bien fait sien". Non seulement l'élève doit être capable de reformuler un cours et de l'interroger, mais encore il doit être invité à confronter ses connaissances au monde qui l'entoure. Il doit en faire l'expérience. C'est à ce prix qu'il sera en mesure de s'approprier réellement les connaissances.
Pour décrire le processus d'apprentissage et l'appropriation des connaissances par l'élève, à travers la discussion, le questionnement, l'expérience et la pratique systématique du doute, Montaigne utilise une métaphore biologique, celle de la digestion. Un bon apprentissange équivaut à une bonne assimilation ou digestion. Répéter un cours, ce n'est pas digérer. La répétition et l'apprentissage par coeur sont comparés au vomissement, tandis que la reformulation, le dialogue, le questionnement, le doute et l'expérience sont comparés à une bonne digestion : " C'est témoignage de mauvaise digestion et indigestion que de rendre la nourriture comme on l'a avalée. L’estomac n'a pas fait son opération, s'il n'a fait changer la façon et la forme à ce qu'on lui avait donné à digérer." On retrouve là l'imporance fondamentale que les penseurs humanistes de la Renaissance accordent au désir et au corps. La pédagogie est indissociable du désir et implique une réhabilitation et une revalorisation du corps.
Le professeur ne doit pas se présenter comme le messager de la Vérité révélée et absolue. Le professeur n'est pas un transmetteur de messages dogmatiques et incontestables. Il doit présenter à son élève, à travers la discussion, une multiplicité de points de vue sur un sujet donné, afin de permettre à l'élève de questionner ces points de vue par l'expérience, en les confrontant au monde et à la vie, et afin de favoriser une appropriation réellement personnelle des savoirs. Autrement dit, le but de l'éducation est de permettre à l'élève de forger son propre point de vue. La finalité de la pédagogie moderne doit être le libre-arbitre de l'élève. D'où l'utilisation par Montaigne de l'image de l'abeille pour décrire le parcours pédagogique de l'élève : "Les abeilles butinent deçà delà les fleurs, mais elles en font après le miel, qui est tout leur ; ce n'est plus thym ni marjolaine : ainsi les pièces empruntées d'autrui, il les transformera et mêlera, pour en faire un ouvrage tout sien, à savoir son jugement. Son institution, son travail et son étude ne visent qu'à le former." De même que l'abeille produit son propre miel en butinant une diversité de fleurs, de même l'élève doit former son esprit critique en mettant en perspective différentes sources, différents auteurs, et en s'appropriant dans un effort d'analyse et de synthèse ce que chacun possède de meilleur. Le but ultime de l'éducation doit être de former le "jugement" de l'élève, autrement dit de l'apprendre à penser par lui-même.
Emmanuel Kant, philosophe des Lumières, réutilisera cette idée fondamentale de l'éducation humaniste quand il s'exclamera, dans son opuscule intitulé Qu'est-ce que les Lumières ? en 1784 : " Aie le courage de te servir de ton propre entendement !"