Je t'écris en ce jour par Elisa

Publié le par Professeur L

Un numéro de l'émission Blow-up sur Les Sentiers de la gloire (Paths of glory) de Stanley Kubrick (1957)

Ma chère Adèle,

Je t'écris en ce jour nuageux. Comment te le dire ? Ou même te décrire ? Ces horreurs sont inexplicables, inimaginables, indicibles. Cela fait seulement deux jours que le combat s'est arrêté. Une odeur amère nous prend à la gorge et ne nous lâche pas. Les pertes de mes camarades sont décourageantes. Ici le moral est au plus bas. L'ambiance est lourde et pesante. Aucun bruit. Un silence s'abat sur nos tranchées. Le plus douloureux, c'est de ne pas t'avoir à mes côtés, car ici, je suis aux côtés de la mort. J'essaie en vain de me changer les idées, de penser à toi et au jour où je te retrouverai, mais hélas ! rien n'y fait, le dernier combat était assez rude, et la haine a dépassé tout sentiment de compassion.

Si tu savais Adèle, si tu savais...Les armes ici sont les choses qui me manquent le moins, entre les baïonnettes, les fusils Lebel, les obus, les grenades, les gaz asphyxiants. Chaque jour devient de plus en plus dur. L'endroit où je loge est tellement sale, entre le manque d'hygiène et cette odeur, les rats et leurs bruits, les poux qui me démangent, la boue pâteuse qui nous salit de plus en plus, le climat humide et cette froideur ! J'ai froid et je souffre. Nous vivons un enfer total. Nous sommes dans le royaume des morts. Ce ne sont pas des exagérations, mais la réalité, et encore, je n'ai même pas les mots convenables pour te décrire tout cela...

La peur nous envahit de plus en plus. La mort est présente, plus présente que jamais ! Je ne parviens pas à prendre goût à cela. Les combats sont durs, je ne suis pas un meurtrier, et de devoir les tuer, tuer ces adolescents, ces hommes qui sont peut-être dans la même situation que moi, qui sait ? Je me vois comme un monstre. Du moins je me bats comme tel.

Or si je me bats, ce n'est pas par pur plaisir. C'est pour la liberté, pour la patrie, pour l'égalité, pour la fraternité et la paix. Cette liberté, je la veux, car toi-même, tu sais ma chère Adèle, que l'Allemagne est un pays avec un régime autoritaire, et si elle nous envahit, ce sera le cauchemar absolu. La fin de nos libertés.

Mes camarades et moi sommes à bout. La haine nous envahit. Nous ne voulons plus de cette guerre stupide. J'ai l'impression qu'elle dure depuis une éternité. Le gouvernement ne fait rien en plus. Rien pour arranger les choses. Ils ne parviennent à rien, ni même à trouver une issue politique au conflit. Ce conflit par ailleurs pousse des millions d'hommes à mourir sur le front, dans des conditions atroces. Les cadavres noirâtres, verdâtres, sont horrifiques. On a l'impression d'être au milieu d'un cimetière à ciel ouvert. Dans ces pitoyables cadavres, il y a Paul, mon meilleur ami. Tu vois de qui je parle, c'était un homme au grand coeur, il était souriant, sociable, adorable. C'était comme un frère pour moi. Je l'ai vu de mes propres yeux se faire tuer. J'avais l'impression que tout s'effondrait autour de moi. J'ai voulu mourir à ce moment, mais j'ai pensé à toi, à notre famille.

Je dois aller aider mes camarades, je t'écris dès que je peux. Sache que je me bats pour toi.

Je t'aime ma chère Adèle.

 

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