La Vague de Todd Strasser par Emmy
Je m'appelle Emmy. Cette année, j'étais en terminale, et j'ai fait partie de ce mouvement qui a touché le lycée Gordon. Vous vous dites sûrement comment j'ai pu me retrouver au cœur de cette expérience. Laissez-moi vous raconter, avant de me juger.
Nous étions au cours de Monsieur Ross, un professeur d'histoire très aimé par ses élèves, et qui est l'un de mes professeurs préférés, lorsque nous lui avons posé des questions sur un documentaire parlant des nazis qu'il venait de nous montrer. Personne ne comprenait pourquoi ne s'était élevé pour arrêter le massacre des Juifs et pourquoi les Allemands voulaient oublier cette époque. Les élèves de ma classe et moi-même étions convaincus que jamais un tel scénario ne se reproduirait. Mais nous nous trompions. C'est à cause de ce documentaire que la Vague a commencé.
Ce jour-là, Monsieur Ross nous a demandé de nous tenir droit et de rentrer en classe très vite et sans bruit. Après plusieurs essais, je pense que chacun voulait prouver au professeur que nous pouvions réussir, et nous l'avons fait. Puis, après cet exercice peu habituel, mais qui n'avait rien de bizarre en soi, il nous a fait une sorte de discours sur la discipline, avant de nous donner des règles simples : dire "monsieur Ross" à la fin de chaque réponse que l'on donnerait, se tenir à côté de sa table pour répondre, et répondre le plus vite possible. Nous avons tous, absolument tous, joué le jeu. Pourquoi ? Je n'en ai aucune idée. Peut-être car nous n'avions pas réfléchi à l'importance de ces règles. Au cours suivant, il nous a demandé d'apprendre le slogan du nouveau groupe que nous formions appelé la Vague : "La Force par la Discipline, la Force par la Communauté, la Force par l'Action". Nous avons également appris son salut, et il nous a donné des cartes de membre de la Vague. Celle-ci s'est alors propagée un peu partout dans le lycée. Tous les élèves en parlaient et rejoignaient ce groupe. Au début, je trouvais que la Vague était comme un immense groupe d'amis qui ne se jugeaient pas. Nous pensions tous ce que groupe nous rendait égaux, et que chacun des membres était plus libre qu'avant. Comme si la Vague pouvait nous changer, que des ennemis deviennent finalement amis ou que des personnes exclues soient intégrées. Comment pouvait-on voir le mal dans un projet qui pour une fois nous mettait tous d'accord et nous rendait unis ? Malheureusement, nous aurions dû voir le danger ou du moins j'aurais dû me méfier.
Pour assister à des réunions ou à des matchs du lycée, il fallait faire le salut, sinon on était rejeté. Certains tabassaient ou menaçaient des lycéens qui refusaient de rejoindre le groupe. Sans s'en apercevoir, Monsieur Ross, qui était le leader du groupe, ne vit pas le danger grandir et ne contrôlait plus les événements.
Des parents d'élèves se plaignaient. Les adultes, les professeurs : tous s'inquiétaient. Le journal de notre lycée, le Grapevine, tenu par une fille de ma classe très admirée, Laurie, avait dénoncé les agissements des membres de cette expérience qui allait trop loin. Malheureusement, les adhérents voyaient en elle une ennemie de la Vague voulant détruire le groupe. Elle fut rejetée et beaucoup voulaient lui faire du mal, même moi. Nous n'étions plus nous-mêmes.
A ce moment-là, je me suis tout de même posé des questions. Je me suis demandé comment, à cause d'un groupe censé nous mettre tous à égalité, j'étais poussée à haïr quelqu'un et à vouloir l'éliminer. Je ne voulais plus entendre parler de la Vague. Tous furent surpris quand ils me virent dans les couloirs, seule, à ne plus venir aux réunions du groupe, à ne plus les saluer et à ne plus venir au cours de Monsieur Ross.
Comprenant que son exercice devenait hors de contrôle, il décida de l'arrêter, mais pas simplement. Il voulait que nous tirions une morale de cette histoire. Il inventa donc un stratagème pour mettre un terme à la Vague. J'ai entendu parler qu'une grande assemblée regroupant tous les élèves de la Vague avait lieu. Ce jour-là, j'avais décidé de sécher les cours pour échapper à tous ces jeunes euphoriques qui m’écœuraient. Pendant cette fameuse assemblée, Monsieur Ross avait comparé les lycéens à des nazis, en leur prouvant que quelqu'un comme Hitler manipulait un groupe pour le pousser à commettre des actes horribles. La Vague était dès lors dissoute et les élèves en avaient tiré une leçon.
Le lendemain, lorsque je suis revenue en cours, j'ai eu l'impression que notre lycée était redevenu comme avant. Les affiches parlant de la Vague étaient enlevées, les poubelles étaient remplies de brassards ainsi que de cartes de membre de la Vague. Les élèves étaient repartis comme avant, à errer dans les couloirs, à bousculer les gens ou bien à rire et à s'amuser entre amis. Notre vie de lycéen lambda était revenue, et cela me fit sourire.
Personne ne reparla de cette expérience, ni les professeurs, et encore moins les étudiants. Pourtant, il faut que chacun se rappelle de ce que l'on fait sous l'influence d'un groupe, et il faut savoir également que notre liberté de penser voire notre humanité est mise en danger si l'on ne réfléchit pas, et que l'on se laisse guider par un groupe. Ne laissez personne vous manipuler et vous retirer ce qui fait de vous des êtres humains.