Question-réponse sur le vol et la violence

Publié le par Professeur L

Bonjour tout le monde, 

Je me permets de mettre en évidence, sous forme d'article, une question très intéressante  de Rémi sur le vol et la violence à laquelle je me suis efforcé de répondre. Vous trouverez également ces deux messages sous forme de commentaire au texte de Myriam Revault D'Allonnes, Pourquoi les hommes font-ils la guerre ?, après la restitution synthétique d'Aurore : 


Commentaire de Rémi :
bonjour m'sieur, j'ai une question à vous poser.
Parce qu'aprés mûre reflexion, j'en suis venu à conclure que le vol n'est pas un acte de violence.
Tout d'abord je me suis dit que le vol est un acte prémédité et souvent commis la nuit.
Alors que la violence, elle, est gratuite et n'a pas besoin de préméditation, n'importe qui peut rentrer chez vous et vous asséner des coup violents et mortels.
Donc je me pose la question de savoir si le vol est un acte violence.
Pour moi, un vol est un acte non-violent qui nuit "foncièrement" à la personne concerné, sinon quoi je me suis dit aussi que ça pourrait être un acte de violence indirecte.
Donc j'envoie ce message pour que vous éclairiez ma lanterne.

Ma réponse :
Bonjour Rémi, 

Merci beaucoup de poser cette question qui est très intéressante. Le vol est-il un acte non-violent ? 
D'après le texte de Jacques Sémelin, que nous avons étudié en cours, et à partir duquel tu as envoyé une bonne restitution synthétique sous forme de commentaire (dans l'article consacré au texte de Victor Hugo), la non-violence repose essentiellement sur le respect de l'autre. Or la violence est une forme de non-respect de l'autre. On peut même considérer, à mon avis, que toute forme de non-respect de l'autre, de ton prochain, est une forme de violence. 
En effet, la violence ne s'exerce pas que physiquement. Il existe des formes de violence mentale ou psychologique, comme le harcèlement moral par exemple. C'est une forme de violence très répandue, notamment dans le monde de l'entreprise. Cela peut même entraîner des suicides. 
Par conséquent, si la violence repose sur le mépris de l'autre, de ton prochain, de ton voisin, de ton concitoyen, et si la non-violence est une forme de respect de l'autre, alors on peut difficilement concevoir que le vol est un acte non-violent, au sens où nous l'avons défini en cours. 
Car il me semble, et je suis sûr que sur ce point tu es d'accord avec moi, que voler son voisin, son ami, ou même son ennemi, ce n'est pas vraiment le respecter. 

Donc, une chose est sûre, le vol n'est pas un acte non-violent

Pour autant, je sais bien qu'il existe des moyens de voler des objets tout en évitant la violence. Par exemple les vols d'oeuvre d'art dans un musée, le plus souvent commis la nuit. Mais, face à cet argument, on peut avancer au moins deux objections : 
- premièrement, voler une oeuvre d'art, c'est faire preuve de mépris à l'égard de la communauté. Car une oeuvre d'art exposée dans un musée appartient en principe à l'ensemble de la communauté, au habitants d'une ville par exemple, voire à l'ensemble du genre humain, car l'oeuvre est classée au patrimoine mondial de l'humanité. Donc, en un sens, même dans ce cas, il s'agit d'un acte de violence. 
- deuxièmement, même le vol d'une oeuvre d'art peut entraîner des situations telles que la violence physique finit par être utilisée. Par exemple, dans La Clé de l'apocalypse, brillante nouvelle  fantastique dont je te conseille vivement la lecture, la protagoniste, une tueuse à gage, doit combattre un monstre terrifiant, alors même qu'elle vient de voler une clé aux pouvoirs magiques. 

Plus sérieusement, le vol est donc un acte moralement négatif qui implique bien souvent des souffrances physiques ou psychiques infligées à autrui contre la volonté de ce dernier. Le vol d'organes permet d'illustrer cette idée. Dans la plupart des pays en guerre, comme en Tchétchénie par exemple, de nombreuses personnes disparaissent quotidiennement. On les retrouve le plus souvent mortes, avec des organes en moins : coeur, foie, poumon, yeux...Ces organes seront par la suite destinés au traffic illicite qui enrichit les mafias. 
Le kidnapping d'un membre de ta famille est un vol qui n'entraînera pas chez toi des souffrances physiques, mais qui causera une réelle souffrance psychique. Et infliger à autrui une souffrance psychique ou mentale, c'est commettre un acte de violence. 

Certaines formes de vol sont donc indissociables de la violence physique et psychique, comme le racket par exemple. Voler, c'est toujours voler une personne (même l'Etat par exemple est une personne que l'on qualifie de morale). Et voler une personne, c'est non seulement la tromper, la mépriser, mais c'est également et surtout, dans une certaine mesure, remettre en cause son statut de personne. On dit alors que l'on menace l'intégrité de la personne. Et on lui inflige, contre sa propre volonté, des souffrances morales, psychiques. 
Car il faut savoir qu'une personne, c'est un individu qui se construit progressivement à partir des objets qu'il possède. Bien souvent, voler un objet à une personne, c'est l'empêcher d'être pleinement une personne. Par conséquent, le vol est une atteinte directe à la personne. C'est de manière indirecte voler une partie de la personne.

En outre, tu me dis que le vol est un acte prémédité. La préméditation n'est pas un critère qui permet de distinguer un acte violent d'un acte non-violent. De plus, sache que le vol n'est pas toujours prémédité. Certaines personnes souffrent même d'une maladie psychique qui les pousse malgré elles à voler, partout où elle se trouve. C'est ce que l'on appelle la kleptomanie

Tu affirmes que la violence est gratuite. C'est une véritable thèse, et un réel problème. En effet, peut-on considérer que la violence est gratuite ? Toute violence est-elle gratuite ? La violence prend certainement racine dans les pulsions les plus sombres et les plus destructrices de l'âme humaine. Un célèbre docteur autrichien, du nom de Freud, a même affirmé, au début du vingtième siècle, que la violence avait pour origine une pulsion appelée pulsion de mort. 
D'autre part, la violence est parfois, dans de très rares exceptions, considérée comme légitime, justifiée, nécessaire, et donc non gratuite. Par exemple, pendant la Seconde guerre mondiale, les Alliés menés par les Etats-Unis d'Amérique ont combattu l'Allemagne nazie. Cette guerre fut une forme extrême de violence. Toute l'Allemagne fut détruite, mais le combat contre les nazis était nécessaire pour sauver la paix et la liberté dans le monde. La violence obéit donc soit à une pulsion, soit à une intention. Dans ce dernier cas, elle n'est pas gratuite. 
Ta dernière proposition de définition du vol, conçu comme violence indirecte, me semble donc la plus adéquate. 
J'espère que j'ai répondu à ta question. Si certains détails te semblent flous, si tu ne comprends pas certains points, n'hésite surtout pas à me le signaler. 
A très bientôt, 
Bien amicalement, 
Professeur L.

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