Autoportrait d'Henri Aimé Gauthé par les 3eE
Année scolaire 2016-2017 – Collège Jules Vallès de Saint Leu d'Esserent
Niveau troisième – séquence 1 : écrire la guerre, témoigner pour résister
Comment dire l'indicible ?
Séance 1
Support : Lettre d'Henri Aimé Gauthé à Marie-Alice Jeannot, sa correspondante de guerre. Extrait de Paroles de Poilus, Lettres et carnets du front 1914-1918 rassemblés par Jean-Pierre Guéno et Yves Laplume
Objectif : découvrir un autoportrait physique et moral, comprendre que la littérature est une catharsis permettant de résister à la déshumanisation et de conserver sa dignité
Synthèse collective à partir des travaux de Manon, Lorenza, Enzo T., Kevin N., Hugo, Kévin T., Julien, Guillaume S., Guillaume C. et Maxime
Henri Aimé Gauthé est un Poilu qui témoigne de la dureté de la Première Guerre mondiale, en écrivant un poème fort et cru.
En effet, dans ce texte, l'auteur dresse un autoportrait physique et moral : « petit », « grand », « gros et gras », « mon front », « pervers ». C'est une description de soi-même. Dans cet autoportrait, l'auteur semble se dénigrer : « Je suis le chevalier de la piètre figure ». Cette périphrase est une référence à Don Quichotte, le personnage inventé par l'auteur espagnol Cervantès. Don Quichotte était un vieil homme qui, à force de lire des romans de chevalerie, décide d'entreprendre une quête chevaleresque et qui, pris de folie, juché sur son âne, attaque les moulins à vent en croyant que ce sont des géants. A travers cette périphrase, on comprend que l'auteur à une image grotesque, burlesque et ridicule de lui-même. La référence au « chevalier » nous laisse penser que l'auteur est un soldat. Mais il ne dit que des choses mauvaises sur lui.
On comprend que l'auteur est un Poilu, un soldat français de la Première Guerre mondiale (1914-1918). Il se dévalorise à l'aide d'antithèses : « doux et timide » s'opposent par exemple à « avec des airs pervers ». Avec ces antithèses, l'écrivain oppose le côté lumineux de sa personnalité à son côté obscur. Les ténèbres semblent le menacer. Il se sent de plus en plus attiré par le mal et par la haine comme le montre le parallélisme de construction. La guerre a provoqué chez le soldat un dédoublement de la personnalité, comme chez le personnage de Robert Louis Stevenson, qui est médecin le jour et criminel la nuit. dans L'Etrange Cas du docteur Jekyll et Mister Hyde, roman fantastique paru en 1886. Dans le poème, on comprend que c'est la guerre qui a provoqué un tel dédoublement de la personnalité. Ce texte permet justement à son auteur de se libérer de sa douleur morale et psychologique provoquée par la guerre. C'est ce que l'on appelle une catharsis : une libération ou purification de ce qui fait souffrir. Toutes les antithèses permettent d'insister sur le dédoublement de la personnalité.
Ce poème montre par ailleurs le processus de déshumanisation que subit le soldat dans les tranchées, au milieu du froid, des poux, des rats, et des cadavres de ses frères d'armes. C'est notamment ce que montre le vers suivant grâce à une métaphore : « Je fais pour m'amuser des piqûres atroces ». Normalement, tuer ne procure aucun plaisir à un être humain équilibré. L'auteur confesse au contraire que tuer devient un jeu, ce qui prouve qu'il n'est plus humain. La guerre a fait de lui une machine à tuer. C'est pourquoi il se compare à son ennemi : « J'ai la moustache en crue du Kaiser allemand. » L'ennemi est en lui. Il est à lui-même son propre ennemi. La guerre l'enlaidit et le transforme en monstre sanguinaire, d'où la comparaison « ma lèvre est rouge comme une fraîche blessure ». Avec ce vers, il compare sa lèvre aux blessures qu'il a peut-être subies ou qu'il a causées aux Allemands. Le poète nous dévoile la profondeur de son être : « Au fond de mes yeux danse une froide lueur ». Cette image permet de montrer la froideur de ses pensées, l'absence de scrupules et de vergogne. Par conséquent, parce qu'il nous révèle l'intimité de son être grâce à cette personnification, on peut dire que ce poème est lyrique. Le soldat exprime ce qu'il ressent, ses sentiments, et ce qu'il y a au plus profond de son cœur. Mais en même temps, il s'agit d'une œuvre engagée, dans la mesure où il nous fait comprendre que la guerre engendre la déshumanisation et enlève la dignité au soldat. Il est déshumanisé à cause de la guerre. Il a perdu sa dignité, la valeur infinie qu'il porte en lui en tant qu'être humain. Mais il essaie de récupérer sa dignité en écrivant cette lettre sous forme de poème : « Mais une que je sais ne voit pas ma laideur. » Il sait donc qu'au fond, il n'est pas mauvais. C'est la guerre qui l'a complètement changé. Il veut retrouver une part d'humanité. Il dénonce l'horreur de la guerre. L'auteur veut faire comprendre à tout le monde la cruauté de la guerre. Il veut aussi témoigner de la réalité et dire la vérité aux futurs soldats. Ecrire l'aide à s'exprimer et donc à se sentir mieux. Il exprime et extériorise toute sa souffrance grâce à ce poème.
Ce texte est intéressant car le Poilu nous raconte la véritable ambiance de la guerre, et pas celle, officielle, de la propagande véhiculée par les dirigeants français qui veulent faire croire à tout le monde que la guerre est une entreprise glorieuse. Le Poilu nous raconte au contraire l'enfer dans lequel il se trouve, au milieu des obus et de la mitraille. Henri écrit ce poème en guise d'exutoire, pour montrer à sa femme et aux générations futures que la guerre change un homme, et que la propagande d'une guerre simple, qui se passe en toute sérénité, est fausse. Il dénigre la guerre comme elle a pu faire sur lui. Le Poilu ne se considère pas comme un héros, sous prétexte qu'il fait la guerre. Il se considère au contraire comme un anti-héros. Il pense qu'il n'est pas un héros et qu'il ne mérite pas de l'être. Pour lui, il n'a pas gagné la guerre. Il s'est juste déshumanisé. Même après avoir combattu pour son pays, il ne se considère pas comme un héros. Il a l'impression d'être un monstre. Nous comprenons grâce à ce texte que la guerre est horrible. Enfin, on peut considérer que ce soldat est courageux d'avoir écrit ce texte et d'avoir dit ce qu'il pense de lui, même s'il ne pense que des choses mauvaises. En écrivant ce poème, Henri veut montrer la difficulté et l'horreur de la guerre, mais il essaie aussi de se réhumaniser. Ce texte est donc le contraire d'une glorification de la guerre.
Au terme de cette analyse, on peut voir que le texte est intéressant, car il s'inscrit à rebours des poèmes épiques traditionnels qui glorifient la guerre et le soldat. Dans les épopées antiques comme l'Iliade d'Homère, dans les chansons de geste du Moyen-Age comme La Chanson de Roland, ou dans les romans de chevalerie comme Yvain ou le chevalier au lion de Chrétien de Troyes, la guerre est vue comme l'occasion privilégiée pour le personnage principal de devenir un héros valeureux. La guerre a longtemps été considérée comme le meilleur moyen de devenir un homme, en faisant preuve de courage. Dans le poème d'Henri Aimé Gauthé, c'est l'inverse qui apparaît : on comprend que la guerre n'est pas une voie d'accès à l'héroïsme, mais une barbarie qui engendre des monstres. Et ce qui permet de résister à cette barbarie et à cette déshumanisation, c'est l'écriture, qui possède une fonction cathartique.