L'enrôlement des volontaires de Thomas Couture par Miranda

Publié le par Professeur L

Thomas Couture, L'Enrôlement des volontaires, détail, huile sur toile, 1847-1848, MUDO, Beauvais, France.

Thomas Couture, L'Enrôlement des volontaires, détail, huile sur toile, 1847-1848, MUDO, Beauvais, France.

Tout d'abord, Thomas Couture a peint le tableau intitulé L'Enrôlement des volontaires de 1792 en 1847-1848, mais il est inachevé pour des raisons esthétiques (comme on va le voir, le peintre est en quête sur cette toile d'une synthèse entre épopée, réalisme, romantisme et allégorie) et politiques (c'est une commande du gouvernement provisoire de la Seconde République, mais lorsque Napoléon III instaure son Empire, il décommande cette œuvre qui fait la propagande de la Révolution et de la République).

C'est un tableau lyrique, car les personnages représentés expriment de la joie, de l'amitié, de la colère. Mais c'est aussi un tableau épique, car la République est portée en triomphe. Dans ce tableau, une guerre se prépare. Un peuple solidaire et fraternel est mis en scène. Toutes les classes sociales sont réunies pour combattre ensemble les ennemis de la République (en 1792, la France déclare la guerre à l'Autriche). Ainsi le peintre glorifie le peuple à travers notamment les personnages féminins, qui sont ici un symbole de courage. En effet, Thomas Couture s'inspire du tableau de Jacques-Louis David intitulé L'Intervention des Sabines, où les enfants sont brandis comme un symbole de paix, de fraternité et d'avenir. Les femmes ont le courage de rappeler aux hommes qu'ils se battent avant tout pour l'avenir de la patrie.

Jacques-Louis David, L'Intervention des Sabines, 1799, Musée du Louvre, Paris, France, Europe.

Jacques-Louis David, L'Intervention des Sabines, 1799, Musée du Louvre, Paris, France, Europe.

Par ailleurs, sur la toile de Thomas Couture, au sommet, surplombant le défilé des personnages allant au combat, on aperçoit des femmes volantes. Elles font penser à Marianne, l'allégorie de la République. Or la Marianne de Thomas Couture, comme celle d'Eugène Delacroix dans La Liberté guidant le peuple, possède les traits de Théroigne de Méricourt.

Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple, 1830, Musée du Louvre, Paris, France, Europe.

Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple, 1830, Musée du Louvre, Paris, France, Europe.

Théroigne de Méricourt est une jeune Belge issue d'un milieu pauvre. A l'origine, c'est une simple gardienne de vache, qui devient servante auprès d'une aristocrate anglaise, Miss Colbert, qui, remarquant son intelligence exceptionnelle, se charge de son éducation. Installée à Paris pendant la Révolution, Théroigne de Méricourt s'engage en faveur de la République et des droits des femmes. Elle découvre l'existence d'une association féministe créée à Vic-en-Bigorre fin 1791, appelée les Amazones. Les Amazones ont trois objectifs : aider les hommes au combat, développer l'aide aux pauvres et éduquer le peuple. Elle souhaite développer ce type d'association, et milite pour que les femmes aient le droit de porter et de se servir d'armes pour lutter avec les hommes pour la liberté. Ce projet effraie les députés, et le 13 mai 1793, des femmes manipulées par leurs maris décident d'humilier Théroigne de Méricourt en la déshabillant en pleine rue et en lui donnant une fessée publique. Traumatisée, elle échappe à la guillotine grâce à son frère qui vient à Paris pour plaider l'aliénation, et finit par mourir, abandonnée de tous, dans un asile d'aliénés. Mais de nombreux portraits de Théroigne de Méricourt circulent dès la Révolution et se diffusent pendant la période romantique. Ce sont ces portraits romantiques qui vont inspirer Delacroix et Couture pour représenter et incarner la République.

L'enrôlement des volontaires de Thomas Couture par Miranda

Si le tableau de Couture date de 1847-1848, et donc de la Révolution de 1848 et de la Seconde République, de nombreux éléments nous ramènent à la Révolution française, et notamment à l'année 1792. Lorsque les députés proclament que "la patrie est en danger" face aux menaces des monarchies européennes qui veulent rétablir l'Ancien Régime en France, près de 200 000 hommes se portent volontaires pour soutenir l'armée aux frontières de la France. Ensemble, ils remportent la bataille de Valmy en septembre 1792. Thomas Couture parvient à montrer que c'est la solidarité et la fraternité qui ont permis à la France de remporter une victoire. Le peintre s'inspire ici du Radeau de la Méduse de Théodore Géricault.

L'enrôlement des volontaires de Thomas Couture par Miranda

Dans ce tableau de Géricault, il y a une solidarité entre les morts et les vivants, et entre les personnages survivants, quelle que soit la couleur de peau. Au sommet de la pyramide humaine, se trouve un métis. Le métissage représente l'avenir de la France selon Géricault. Thomas Couture s'est inspiré de la structure pyramidale qui organise le tableau de Géricault, et qui soutient la dimension morale et symbolique de son œuvre. 

Géricault a également inspiré Couture pour représenter l'officier à cheval. On pense notamment à L'Officier chargeant à cheval. La représentation des corps masculins est directement inspirée du travail de Géricault. Ce tableau de Couture dégage en effet un côté herculéen et héroïque, car les hommes sont représentés en plein effort, leurs muscles sont mis en valeur, avec le détail des biceps, des veines, que l'on aperçoit quand on regarde notamment ceux qui poussent le canon, mais également le porte-drapeau et le porte-enseigne. L’œuvre a ainsi un côté à la fois romantique, allégorique, symbolique et réaliste.

L'enrôlement des volontaires de Thomas Couture par Miranda

Néanmoins, malgré la mise en scène d'un peuple fraternel, solidaire, uni, mélangé, Thomas Couture, dans ses autres œuvres, n'a cessé de critiquer et de dénoncer les errements de la haute bourgeoisie, responsable selon lui de toutes les trahisons à l'encontre de la République. Selon lui, la haute bourgeoisie a trahi à maintes reprises les idéaux de la Révolution. Ainsi, dans Le Roi de l'époque, Couture s'inspire d'un tableau de Velázquez et met en scène un bourgeois adipeux, gras, grossier, qui se prend pour un roi, mais qui est aussi ridicule qu'un dindon. Dans la Courtisane moderne, il représente des bourgeoises prêtes à se prostituer pour de l'argent, et qui manipulent la beauté, la jeunesse, le courage et l'art, pour satisfaire leurs appétits égoïstes. Dans L'Amour de l'or, les bourgeois sont prêts à vendre leur âme au diable pour conserver leurs richesses.

Au terme de cette analyse, nous constatons que le peintre Thomas Couture a glorifié le peuple en s'appuyant sur les registres lyrique et épique et en s'inspirant des grands maîtres du réalisme et du romantisme. Les hommes apparaissent comme des héros herculéens, les femmes comme des héroïnes antiques ou des Amazones, les enfants symbolisent l'espoir et l'avenir, et l'ensemble est structuré selon un même mouvement célébrant les valeurs de la France : liberté, égalité, fraternité.

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