Johnny got his gun par la seconde 13
Année scolaire 2019-2020 – Lycée Cassini (Clermont-de-l ’Oise)
Niveau seconde – séquence 1 : des personnages dans la tourmente de l’Histoire et les spirales du souvenir
Objet d’étude : le roman et le récit du XVIIIe au XXIe siècle
Problématique : comment la littérature permet-elle de surmonter les drames humains et les épreuves de l’existence ?
Séance 1
Texte complémentaire 1
Support : Johnny s’en va-t’en guerre de Dalton Trumbo (1939) (extrait du chapitre III, pp. 50-51, éditions Solin, traduit de l’américain par Andrée R. Picard, 1987)
Objectifs :
- Reconnaître les points de vue
- Identifier les registres littéraires
- Rédiger un commentaire
- Comprendre la portée critique du texte (la guerre est une boucherie et ceux qui partent la guerre sont des jeunes innocents qui préfèreraient vivre plutôt que mourir au front)
Introduction
Je présente l’auteur
A l’âge de 20 ans il quitte son Colorado natal pour partir vivre en Californie. Il devient boulanger le jour et étudiant à l’université le soir. En 1933, il devient rédacteur en chef de la revue Hollywood Spectator, une publication de critique cinématographique. Écrivain, scénariste et réalisateur américain (1905-1976), il est accusé de communisme et d’actions anti-américaines. Il refuse de témoigner lors de la commission d’enquête en 1947. Inscrit sur liste noire, il ne peut plus travailler. Il s’exile au Mexique et continue de travailler pour l’industrie du cinéma américain sous un faux nom. Il remporte à deux reprises l’Oscar de la meilleure histoire originale. Il sort officiellement de la liste noire en 1960, lorsque Otto Preminger, pour Exodus (film, 1960) et puis Kirk Douglas, pour Spartacus, demande que Dalton Trumbo soit crédité sous son vrai nom au générique.
Je présente l’œuvre
Johnny got his gun est publié en 1939. Joe Bonham, un jeune Américain décide de s'engager pour participer à la Première Guerre mondiale. Au cours d'une mission de reconnaissance, il est gravement blessé par un obus et perd la parole, la vue, l'ouïe et l'odorat. Amputé des quatre membres les médecins ne le croient plus conscient. Sur son lit d'hôpital, il se remémore le passé et essaie de deviner le monde qui l'entoure. Une infirmière attentive parvient à communiquer avec lui par le seul sens qu'il lui reste, la sensibilité de la peau. À sa demande, elle tente de lui donner la mort mais les médecins en décident autrement. Dalton Trumbo réalise lui-même l’adaptation cinématographique de son roman en 1971. Il obtient le Grand Prix du Jury au Festival de Cannes. Il raconte avec une narration puissante l’horreur de la guerre et de ses conséquences.
Je présente l’extrait
L’extrait se situe au début du roman, quand le narrateur vient de comprendre qu’il a perdu ses deux bras. L’auteur nous plonge directement dans la conscience du personnage. Cette conscience est saturée de souvenirs et d’images tirées du départ à la guerre. Les souvenirs mettent en scène un départ des volontaires qui se situe aux antipodes des représentations traditionnelles du départ du soldat à la guerre. Sur le quai de la guerre, ce sont les regrets et la tristesse qui dominent. L’enthousiasme guerrier est totalement absent de la scène. Ces regrets et cette tristesse sont amplifiés par la connaissance du destin du héros qui va perdre ses deux bras à la guerre. L’auteur télescope deux scènes : celle où le héros prend conscience qu’il a perdu ses deux bras à la guerre, et celle de la scène d’adieux sur le quai de la gare au moment du départ du soldat. Les registres pathétique et tragique dominent.
J’annonce la problématique : comment l’auteur parvient-il à nous faire comprendre que la guerre est une cruauté absurde ?
J’annonce le plan :
L’analyse du texte se déploie en deux mouvements :
- Une scène pathétique et tragique
- Une critique de la propagande qui révèle la vérité sur la guerre
- Une scène pathétique et tragique (commentaire issu des analyses d'Alexandru, Carla, Iliana, Léna, Ophélie, Parfait, Romain, Salomée, Tess et Tymothé)
Dans ce texte, Dalton Trumbo donne une tonalité pathétique ainsi qu'une tonalité tragique à son texte.
Dans cet extrait, l'auteur insiste beaucoup sur la tonalité pathétique : la tristesse qui se lit dans les regards, la solitude, l'isolement, sont des sentiments qui sont très présents dans le texte. L'auteur met en lumière les émotions du personnage principal en insistant sur le mot « cœur ». Il le place au centre de la phrase : « je pleure en mon cœur et mon cœur saigne » (ligne 2) et le répète grâce à un chiasme. Cela nous encore plus ressentir la souffrance et la peine du soldat. Les émotions de tristesse et de désolation sont au cœur du texte, comme le prouve par exemple l'utilisation du terme « désespoir ». L'écrivain utilise les répétitions pour renforcer la tonalité pathétique. Dans cette même phrase, il utilise le présent de description (qui peut aussi être interprété comme un présent d'énonciation) : « je pleure », ce qui accentue l'effet pathétique. Au moment où on lit le texte, on a l'impression que le personnage est en train de verser des larmes. De plus, tout le texte est saturé d'adieux. Est ainsi présente une accumulation d'au revoir. L'auteur appuie sur le sentiment de peine. On a même l'impression que le temps s'est arrêté ou prolongé. Les nombreuses répétitions rendent la scène interminable. C'est une dilatation temporelle qui renforce la tristesse et donc la tonalité pathétique. Le narrateur évoque aussi la contrainte : « je suis forcé » (ligne 19), ce qui rajoute de la tristesse à la scène. L'écrivain utilise également des verbes à l'impératif pour exprimer le besoin de réconfort, dans le but de faire ressentir de l'empathie chez le lecteur. Il y a également un désir de fusion et la peur de la perte d'un être aimé : « Viens dans mes bras à tout jamais ». Cette phrase exprime un besoin de tendresse. Enfin, l'auteur utilise un point de vue interne : cela nous permet de connaître les sentiments du soldat de façon plus approfondie. Nous pouvons ainsi nous mettre à la place du personnage principal.
De surcroît, l'auteur met en valeur une tonalité tragique grâce au sentiment d'impuissance face à la guerre : « Je ne veux pas partir. » Le texte est dominé par un sentiment d'impuissance : « je suis forcé » (ligne 19). Or le fait d'éprouver un sentiment d'impuissance face à un événement ou une force contre laquelle on ne peut rien (ici la guerre et son cortège d'atrocités, la mutilation) relève de la tragédie. On peut aussi penser à un drame familial, puisque la guerre provoque la séparation des familles : « Au revoir mes fils, père, frère... ». Le sentiment d'impuissance se traduit notamment par l'usage de la négation : « Je ne veux pas partir ». La négation présente dans cette phrase insiste sur le sentiment d'impuissance. La conjonction de coordination « mais » insiste sur le sentiment d'impuissance. Le lexique de la contrainte renforce cette impression. A la fin du texte, le personnage principal se met à implorer Dieu et à la supplier : « Oh Jésus maman mon Dieu Kareen » (lignes 45-46). Il se lamente en invoquant Dieu, sa mère et sa fiancée dans une énumération. Il implore Dieu alors qu'au début du texte il fait comprendre au lecteur son incapacité à prier : « Je ne peux pas prier » (ligne 15). Plusieurs scènes se télescopent (la scène d'adieux, la scène du départ du soldat sur le quai de la gare, peut-être une scène à l'église) et on ne comprend qu'à la fin pourquoi le soldat est dans l'incapacité de prier. La seule chose qui lui reste est la prière, or il est dans l'incapacité physique d'accomplir cette action. A la fin du texte, Joe implore Dieu tout en sachant qu'il n'a pas les moyens de prier sans ses bras. La répétition de la négation à travers le parallélisme final : « Je n'ai pas de bras. Je n'ai plus de bras » souligne le paroxysme de la souffrance. Le jeune soldat se sent déshumanisé à cause de la perte de ses bras. Privé de bras, il a l'impression d'être réduit à l'état d'objet, privé de sa liberté et de sa dignité. On comprend dès lors que ses adieux sont des adieux à la vie et à la liberté. D'où aussi un sentiment de colère, comme le prouve l'exemple suivant : « Il me les ont coupés tous les deux. » La structure emphatique, avec la présence du mot « coupés » au centre de la phrase, apporte un éclairage décisif sur l'impossibilité du retour en arrière, et donc sur la tonalité tragique.
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- Une critique de la propagande qui révèle la vérité sur la guerre (commentaire issu des analyses d'Arjan, de Fiona, Marie, Romane, Salomée et Thibault)
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Pour commencer, Dalton Trumbo dénonce la guerre dans son texte. Il dénonce les atrocités de la guerre, ces vérités que l'on cache aux soldats. Comme le prouve l'exemple suivant : « Je ne veux pas partir...Mais je suis forcé de m'en aller. » (lignes 18-19), les soldats sont sacrifiés puisqu'on les oblige à aller se battre contre leur gré. Par ces deux phrases, l'auteur reformule de deux façons différentes l'idée selon laquelle les soldats sont contraints de partir au front. Le personnage principal redoute d'aller se battre : « je ne veux pas », « je suis forcé ». Il nous transmet donc par ces mots son angoisse de partir, sa tristesse de quitter sa famille, et évoque de ce fait la peine, la pitié du lecteur. Comme nous le montre la phrase suivante : « Je n'ai plus de bras » (ligne 40), l'auteur nous fait prendre conscience que la guerre est une boucherie, qu'elle est barbare et sans limite. Dans l'exemple suivant : « Ils m'ont coupé les deux bras » (ligne 44), la répétition sur la mutilation évoque et produit un sentiment de révolte chez le lecteur.
De plus, au tout début du texte, un personnage, certainement représentant politique, maire ou député, prononce un discours en s'appuyant sur la déclaration de guerre du président des États-Unis : «Comme l'a proclamé ce grand patriote qu'était Woodrow Wilson. Il reste toujours une lueur d'espoir au fond du désespoir. » (lignes 4 et 5). L'auteur utilise ici un paradoxe comme figure de style. Cette expression permet d'accentuer le côté fallacieux d'un discours qui n'est que de la propagande. Ce représentant politique idéalise la guerre, en utilisant le patriotisme pour donner du courage aux soldats qui partent. L'auteur utilise diverses justifications à travers les figures du pasteur et de l'homme politique qui idéalisent la guerre en se servant de la religion et du patriotisme pour mieux manipuler la foule : « Que Dieu nous accorde la victoire ». Le pasteur cite Dieu pour expliquer que même si les soldats meurent au front, Dieu les accueillera dans un monde meilleur. L'homme politique fait référence à Woodrow Wilson et à la « glorieuse bannière étoilée » afin de rappeler que les soldats se battent pour la patrie. L'auteur nous montre la fabrication d'une vision idéalisée de la guerre, alors qu'en réalité il n'en est rien. Ainsi, dans cet extrait, on peut très clairement apercevoir l'antithèse entre la réalité d'un enfant de dix-neuf ans à qui on a arraché les bras sur le champ de bataille, et la vision idéalisée et archaïque de la guerre qui est véhiculée et instrumentalisée par un discours fallacieux, prononcé par un homme politique. La guerre est une boucherie car l'auteur répète et insiste sur les bras de Joe qui ont été coupés : « Je n'ai plus de bras Kareen », « Je n'ai pas de bras », « Ils me les ont coupés ». Tout cela donne une vision traumatisante de la guerre et souligne l'impuissance des soldats au front. L'auteur nous montre la vérité sur la guerre qui est monstrueuse, désastreuse et irréversible. La guerre est en réalité un acte barbare au cours duquel beaucoup de vies sont perdues. Dalton Trumbo nous fait comprendre qu'il n'y a pas de guerre idéale. L'auteur prévient ainsi le lecteur pour espérer que la guerre ne se reproduise pas.
Conclusion
Je réponds à la problématique
L’auteur parvient à nous faire comprendre que la guerre est une cruauté absurde grâce à l’omniprésence des registres pathétique et tragique, à l’utilisation du point de vue interne qui permet de plonger directement dans la conscience des personnages, à l’antithèse entre le discours officiel et la vérité des sentiments, à l’opposition entre les promesses de la propagande et la réalité.
On plonge d’autant mieux dans la conscience du personnage grâce à la polyphonie du texte, et grâce à un style (fait de répétitions, de phrases courtes, de l’omniprésence du pronom personnel « je ») qui épouse directement les pensées et les angoisses du personnage.