Johnny s'en va-t-en guerre chapitre 5 par la seconde 13

Publié le par Professeur L

Otto Dix, Les Joueurs de skat, 1920, huile et collages sur toile, 110 x 87, Neue Nationalgalerie, Berlin, Allemagne.

Otto Dix, Les Joueurs de skat, 1920, huile et collages sur toile, 110 x 87, Neue Nationalgalerie, Berlin, Allemagne.

Année scolaire 2019-2020 – Lycée Cassini (Clermont-de-l’Oise)

Niveau seconde – seconde 13

Séquence 1 : des personnages dans la tourmente de l’Histoire et les spirales du souvenir

Objet d’étude : le roman et le récit du XVIIIe au XXIe siècle

Problématique : comment la littérature permet-elle de surmonter les drames humains et les épreuves de l’existence ?

 

Correction du travail de groupes sur l’extrait du chapitre V de Johnny s’en va-t-en guerre de Dalton Trumbo

 

Les phrases en italique sont rajoutées par le professeur.

 

  1. Lignes 1-18 : commentaire de Lucas

 

            Comment l’auteur nous fait-il ressentir la souffrance et le désespoir du jeune soldat ? Le texte se déploie en plusieurs mouvements : tout d’abord l’auteur insiste sur l’évocation de la souffrance physique. Ensuite l’écrivain met en valeur la découverte de la double amputation. Puis l’écrivain nous montre comment le soldat se rend compte qu’il a tout perdu.

 

            L’auteur s’appuie sur le point de vue interne pour nous faire ressentir la souffrance du personnage, comme le prouvent les mots suivants : « devant ses yeux », « sa tête », « son front ». La douleur aveugle et assourdit le malade : une phrase courte permet de résumer la souffrance du malade : « Tout l’éblouissait et l’assourdissait ».  Dès la ligne 2 en effet, nous remarquons la présence d’une énumération. Ici, cette figure de style est insolite car il n’y a pas de virgule, mais à la place une conjonction de coordination « et ». Cela nous montre et permet d’imaginer que tout se passe simultanément dans la tête du personnage. L’auteur, à partir de la ligne 4, répète plusieurs fois le verbe « entendre ». Il s’appuie sur l’un des sens, l’ouïe, pour nous faire ressentir ce qu’il éprouve. Pour nous le faire comprendre, il utilise des termes de la guerre, ce qui montre qu’il a été traumatisé par les combats sur le champ de bataille. A partir de la ligne 6, nous pouvons voir une énumération qui va du plus puissant au moins puissant : « des explosions et des hurlements et des gémissements et des mots ». Ces termes renforcent l’impression de bruits incessants et gênants dans sa tête. Les propositions subordonnées circonstancielles de conséquence permettent d’introduire des comparaisons pour donner une image de la souffrance : « des coups de sifflets si aigus et si stridents qu’ils semblaient lui percer le tympan comme des couteaux ». La comparaison souligne la douleur ressentie. Les phrases miment la souffrance qui ne s’arrêtent plus, d’où des phrases complexes avec énumérations, hyperboles et propositions subordonnées de conséquence.

            Enfin à la ligne 11, nous remarquons une répétition du mot « grâce » ce qui renforce le sentiment de pitié chez le lecteur, ainsi que le sentiment de tristesse. Dans le dernier paragraphe, on peut voir que tout s’apaise dans la tête de Johnny. Cette formation est antithétique car dans le premier paragraphe, dans sa tête, tout s’entremêle, et il devient fou, alors que dans le dernier paragraphe, son état se stabilise. Cela renforce le sentiment de folie chez le personnage, et met en valeur la souffrance évoquée dans le premier paragraphe. L’absence de ponctuation produit une idée de submersion : le malade est submergé par la souffrance, il n’a aucun contrôle de lui-même, le mal le possède, d’où l’impression de « noyade ». L’absence de ponctuation permet de créer un effet d’ivresse, d’où l’utilisation du mot « tourbillon ». La douleur occupe son corps, le possède, d’où la personnification de la douleur : « elle tentait de s’échapper en se frayant un chemin à coups de boutoir ».

 

Félix Vallotton, La Tranchée, 1915.

Félix Vallotton, La Tranchée, 1915.

  1. La découverte de sa double amputation (lignes 19-52) : commentaire d’Alexandru et Nazim

 

            La fin de la fièvre libère l’esprit du personnage. L’auteur plonge le lecteur dans la conscience du personnage qui se met à réfléchir. L’auteur utilise le pronom personnel «il » mais le point de vue utilisé est interne. Le lecteur va découvrir progressivement, en même temps que le personnage, la situation.

            Pour commencer, l’auteur fait preuve d’ironie en exprimant qu’il ne souffre pas de ses blessures et qu’il y a des avantages à ne plus avoir de bras ni de jambe : « Il se dit ma foi mon petit tu es sourd comme un pot mais tu ne souffres pas…Tu es vivant et tu ne souffres pas ce qui vaut mieux que d’être vivant et d’avoir mal. (lignes 19-22). Grâce à ces phrases, le personnage essaye de masquer son handicap par de l’ironie. L’expression de conditionnel montre que le personnage croit encore en la possibilité d’une amélioration. Le conditionnel montre aussi la présence d’un espoir et d’un désir chez le personnage, donc d’une envie de vivre. Le personnage n’a pas encore conscience de ce qui lui est arrivé : « s’il pouvait déplacer ce qui se trouvait sous ses jambes et remettre son corps d’aplomb il se sentirait mieux. Ce rêve où il se noyait ne se reproduirait alors plus. » Mais très vite le personnage va prendre conscience d’un décalage entre le désir et la réalité, entre le vouloir et le pouvoir : « il voulut donner des coups de pied…il en resta à ses intentions car les jambes pour exécuter le mouvement lui faisaient défaut ». Dans cet extrait, l’auteur s’adresse directement au lecteur pour le toucher et pour que celui-ci ressente la terreur et la souffrance qu’il a ressentie. Il utilise la négation pour insister sur les activités qu’il ne pourra plus faire : « On ne peut plus courir ni marcher ni ramper quand on n’a pas de jambes vous vous rendez compte. » Il utilise le champ lexical du mouvement associé à la négation pour souligner l’impuissance du personnage.

            L’auteur utilise aussi des phrases très courtes pour mettre en scène la prise de conscience par le personnage de son amputation. La vérité tombe comme un couperet. Alors que l’expression des sensations fait l’objet de phrases longues et complexes, la vérité concernant le corps du personnage fait l’objet de phrases extrêmement courtes et réduites : « Quelque part tout près de l’articulation de la hanche on lui avait coupé les deux jambes ». L’auteur prend soin de dire la vérité à la toute fin de la phrase pour ménager du suspense et dévoiler la réalité dans toute son horreur. Puis cette vérité fait l’objet de phrases réduites, comme si les phrases, à l’image du corps, étaient elles-mêmes amputées pour mieux faire ressortir la réalité : « Plus de jambes. » ; « Parce qu’il n’avait pas de jambes. » « Il n’avait ni bras ni jambes. » Le personnage envisage de créer une diversion, comme un exercice spirituel pour ne plus penser à l’amputation, pour dépasser la souffrance morale liée à l’amputation, mais cet exercice spirituel est vain car l’amputation est réelle.

Soldats français photographiés dans leur tranchée, probablement en 1916-1918, Library of Congress

Soldats français photographiés dans leur tranchée, probablement en 1916-1918, Library of Congress

  1. Une synesthésie morbide : l’inventaire de l’anéantissement (lignes 53-111) : copie de Lilou et Fiona

 

 

            L’horreur du passage provient du fait que le lecteur découvre progressivement, et en même temps que le personnage, l’anéantissement du corps, l’annihilation des organes. Chaque découverte d’un organe en moins provoque une réaction du corps qui ne peut cependant pas s’exprimer. Il y a une sorte de synesthésie morbide qui est mise en place par l’auteur pour souligner l’horreur de la situation. Ainsi la conscience de l’absence de bras conduit à un sentiment de déséquilibre qui amène à la découverte de l’absence de jambe. La conscience de l’absence de jambe conduit le personnage à vouloir hurler, ce qui l’amène à découvrir qu’il n’a plus les organes pour crier. En découvrant qu’il ne peut plus crier, le personnage éprouve une sensation d’étouffement, ce qui l’amène à découvrir qu’il n’a plus de nez. En découvrant qu’il n’a plus de nez il prend conscience qu’il est aveugle. L’auteur raconte l’anéantissement de Joe en insistant sur des phrases puissantes comme le prouve l’exemple suivant : « Il n’avait plus de bouche pour hurler. » On remarque aussi qu’il utilise la négation pour exprimer l’opposition entre sa volonté et le pouvoir d’accomplir ce qu’il souhaite faire. L’auteur fait comprendre aux lecteurs que Joe n’est ni un homme vivant, ni un homme mort, comme le prouve l’exemple suivant : « Il ne pouvait pas vivre et il ne pouvait pas mourir. »      Tout le passage repose sur une série de parallélismes anaphoriques et d’antithèses pour montrer que les efforts du personnage sont vains : « Il essaya de faire fonctionner ses mâchoires et il n’avait pas de mâchoires. Il essaya de passer la langue…Mais il n’avait pas de langue et il n’avait pas de dents. Il n’y avait pas de palais et il n’y avait pas de bouche ». La répétition anaphorique « il essaya de » et les parallélismes de construction montrent la vanité des efforts systématiques que fait le personnage pour ressentir sa bouche. Ces parallélismes anaphoriques permettent également de ressentir paradoxalement avec le personnage l’absence d’organes sensitifs. Les parallélismes insistent sur la négation et sur le fait que Joe n’est vraiment plus rien. L’auteur a aussi écrit des phrases longues et des phrases courtes. Les phrases courtes sont là pour formuler un jugement, énoncer un fait incontestable, expliquer son état d’une manière poignante comme le prouvent les exemples suivants : « Il était aveugle » ; « Il n’avait ni bras ni jambe. », « Il s’agissait de la réalité. » Ces phrases prouvent une réalité douloureuse contre laquelle le soldat ne peut rien. L’horreur de sa situation est soulignée par la disproportion entre « il pensait », soulignant la noblesse de sa condition, et « il n’était qu’un objet », mettant l’accent sur sa précarité.

Cette affiche de la Première Guerre mondiale fut créée en 1917 par le célèbre illustrateur américain James Montgomery Flagg (1877-1960) peu après l'entrée en guerre des États-Unis. Flagg s'inspira très probablement d'une affiche de 1914 produite par l'illustrateur britannique Alfred Leete, qui mettait en vedette Lord Kitchener, secrétaire d'État britannique à la Guerre, pointant du doigt le lecteur en déclarant : « Your Country Needs YOU » (Votre pays a besoin de vous).

Cette affiche de la Première Guerre mondiale fut créée en 1917 par le célèbre illustrateur américain James Montgomery Flagg (1877-1960) peu après l'entrée en guerre des États-Unis. Flagg s'inspira très probablement d'une affiche de 1914 produite par l'illustrateur britannique Alfred Leete, qui mettait en vedette Lord Kitchener, secrétaire d'État britannique à la Guerre, pointant du doigt le lecteur en déclarant : « Your Country Needs YOU » (Votre pays a besoin de vous).

  1.  Un appel au secours pathétique et élégiaque face à une situation tragique (lignes 112-146) : commentaire de Léane et Salomée

            Tout d’abord, le désespoir de Joe est exprimé à travers la mise en évidence de son impuissance face à l’envie d’abréger ses souffrances : « il ne pouvait pas mourir ». (ligne 118). L’auteur insiste sur la répétition du mot « non ». Le sentiment de désespoir s’intensifie grâce au passage d’un discours indirect libre à un monologue interne avec l’utilisation du pronom personnel « je », et grâce au point de vue interne. Le personnage a l’impression de rêver. Il ne peut en aucun cas exprimer sa frustration, alors que c’est physiquement impossible, car il est complètement immobilisé : « ses poumons pompaient de l’air mais il ne pouvait pas arrêter leur fonctionnement. » (lignes 116-117). Cet exemple montre bien que Joe est impuissant. Ce sentiment d’impuissance est accentué avec la conjonction de coordination « mais » et avec la négation « il ne pouvait pas ». Il est désespéré face à ce cauchemar sans fin. L’anaphore du mot « maman » accentue la notion de désespoir car, en étant adulte, il ne devrait pas appeler sa mère : c’est le signe que Joe est épuisé mentalement comme physiquement et que, comme un enfant solitaire qui a besoin de sa mère, il est perdu : « Maman où es-tu ? (ligne 121). On remarque la répétition du mot « bruit » : que je fasse du bruit un bruit quelconque » (ligne 136). L’auteur insiste sur le mot « bruit » qui est placé au milieu de la phrase. Par cette répétition, l’auteur montre aux lecteurs que Joe veut se manifester car il n’arrive pas à faire face à cette situation. A la fin du texte, il demande une berceuse à sa mère, comme un enfant apeuré et esseulé cherchant le réconfort de cette dernière, mais cela n’aboutira pas.

            Le pathos est créé par un appel au secours : le personnage n’est plus un soldat, mais un enfant qui appelle sa mère au secours. Les phrases sont courtes car elles reproduisent l’angoisse et la déréliction du personnage qui est perdu. Il invoque des berceuses, espérant un pouvoir magique (le pouvoir qu’ont les berceuses d’apaiser les enfants et de les réveiller d’un cauchemar) mais ici les formules magiques n’existent pas. Les accumulations expriment la force du désir du personnage de se réveiller de ce cauchemar. L’accumulation des propositions subordonnées conjonctives introduites par « que » souligne la volonté du personnage de quitter ce cauchemar, de réagir à cette situation mais la seule manière de réagir est physique, or il est physiquement réduit à une impuissance totale. Les supplications et implorations « oh non » renforcent l’expression du désespoir.

Dying Soldier in a Trench – 1915 painting by Willy Jaeckel

Dying Soldier in a Trench – 1915 painting by Willy Jaeckel

Conclusion

            L’auteur parvient à nous faire partager la tragédie que subit le personnage grâce au point de vue interne, à l’alternance de phrases longues et complexes et de phrases courtes, à l’adoption d’un style qui mime le flux de la pensée, à l’utilisation d’un rythme qui fait découvrir la vérité petit à petit, en même temps que le personnage, au passage du « il » au « je », au champ lexical de la douleur, aux comparaisons, hyperboles, parallélismes, anaphores, et aux registres pathétique, élégiaque et tragique. A travers cette mise en scène, qui place le lecteur au cœur d’une conscience se découvrant prisonnière d’un corps anéanti, l’auteur révèle la vérité sur ce que fut la Première Guerre mondiale : une immense boucherie sacrifiant des enfants.

            Je propose une ouverture : un des premiers auteurs à avoir placé le lecteur au cœur d’une conscience tourmentée et prisonnière d’un espace entre la vie et la mort, est Victor Hugo. Dans Le Dernier jour d’un condamné, publié en 1829, Victor Hugo met en scène un condamné à mort qui rédige les vingt-quatre dernières heures de son existence. Le condamné à mort, dont on ignore le nom pour faciliter l’identification avec le lecteur, est le narrateur, et le lecteur partage ainsi sa terreur et son abandon. Ce récit est un long monologue intérieur et se présente comme un témoignage brut, sur son angoisse de la mort et sur ses souffrances physiques et morales.

 

 

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