L'Ecriture ou la vie : le martyre de Maurice Halbwachs par Mickaël

Publié le par Professeur L

L'Ecriture ou la vie : le martyre de Maurice Halbwachs par Mickaël

« Il sourit, mourant, son regard sur moi, fraternel. » Le texte est un extrait de L’Ecriture ou la vie, écrit par Jorge Semprun. Dans L’Ecriture ou la vie, Semprun dévoile son passé de déporté en tant que résistant au sein du camp de Buchenwald, puis sa vie qui s’est déroulée une fois « libéré » du camp. Dans cet extrait, il détaille la mort de son ancien professeur de philosophie Maurice Halbwachs au sein du camp. Une scène remplie d’horreur, de pitié et de poésie. Certes, le personnage quitte le monde des vivants dans le dégoût, perdant ainsi son humanité. Cependant, comment l’auteur parvient-il à rendre sa dignité au mourant ? Le texte se déploie en deux mouvements. Dans un premier temps, nous nous pencherons sur l’aspect pathétique de la scène, puis dans un second temps, sur l’humanité rendue au mourant grâce à la poésie.

 

 

            Tout d’abord, cette scène a un aspect pathétique, voire horrifique. Au travers des mots utilisés par Semprun, on peut constater une certaine faiblesse qui lie Maurice Halbwachs à l’auteur. En effet, dès le début du texte, le mourant est si faible qu’il perd progressivement ce qui le caractérise de vivant : ses sens, comme le prouve l’exemple suivant : « qui n’avait pas eu la force d’ouvrir les yeux […] une pression légère : message presque imperceptible » (lignes 1-3). Dans ces deux phrases, on comprend que le mourant perd la vue, probablement le toucher, mais surtout le pouvoir de la parole. Les deux points présents à la ligne deux sont la traduction de « cette pression légère », c’est un « message presque imperceptible ». Il y a un pont qui sépare les deux hommes, une incompréhension totale, le mourant n’est plus capable de communiquer, que ce soit grâce à la parole, au geste ou au regard, puisqu’il a les yeux fermés. Un destin tragique attend Halbwachs, une mort inévitable, et Semprun le sait puisqu’il précise que « le professeur Maurice Halbwachs était parvenu à la limite des résistances humaines » (ligne 4). Chaque déporté fait preuve de résistance humaine afin de survivre dans les conditions déplorables des camps. Le mourant a donc été vaincu par la mort, par la guerre, par la violence des nazis. Halbwachs est faible et Semprun aussi. En effet, lui qui n’est pas directement mourant semble perdre à son tour la parole et la raison, comme le prouve l’exemple suivant : « Alors dans une panique soudaine…la gorge serrée » (lignes 13-15). Le poète qui semble absorbé par la mort atroce de son professeur oublie que lui par contre est bien vivant.

            Dans cette mort atroce, Halbwachs en vient à perdre son humanité. Ici, la mort est explicite, Semprun la raconte de manière détaillée, comme l’illustre bien l’auteur : « Il se vidait lentement de sa substance, arrivé au stade ultime de la dysenterie qui l’emportait dans la puanteur » (lignes 4-6). Le corps du mourant se décompose, il n’y a plus rien d’humain dans cette phrase, car on pourrait facilement comparer sa mort à celle d’un animal. Les symptômes de la dysenterie font partir la victime en la séparant de sa dignité. On peut retrouver dans le texte une catabase, car le mourant est en pleine descente aux Enfers, il voit la mort, ressent la douleur causée par elle mais il est encore vivant, l’atrocité de la scène se trouve ici dans le fait qu’il soit encore vivant et donc qu’il souffre. Le mourant perd également son humanité avec même son apparence, comme le souligne l’auteur : « la honte de son corps en déliquescence » (ligne 9). Pourtant, au milieu de cette horreur, l’auteur parvient à lui redonner son humanité.

 

 

            Nonobstant Jorge Semprun assistant à cette descente aux Enfers, le narrateur va faire en sorte de lui redonner sa dignité afin qu’il parte en tant qu’homme. Pour cela, il va faire preuve de fraternité. Le texte va prendre un tout autre sens lorsque Halbwachs va parvenir à retrouver la vue, comme le met en lumière l’auteur : « simplement pour qu’il entende le son d’une voix amie, il a soudain ouvert les yeux » (lignes 7 et 8). L’aspect fraternel est souligné par l’auteur avec l’emploi du mot « amie ». Ce n’est pas simplement une relation élève-professeur, mais dès à présent amicale. L’approche de la mort a maintenant changé pour le mourant. Elle est toujours inévitable mais n’est plus terrifiante. Il ne part plus dans l’inconnu, mais dans quelque chose qu’il connaît déjà. Il l’a déjà connu dans la vie au camp, comme le prouve l’exemple suivant : « la lueur immortelle d’un regard qui constate l’approche de la mort, qui sait à quoi s’en tenir…librement : souverainement. » (lignes 10-12). La répétition du terme « qui » insiste sur les connaissances qu’a le mourant sur la mort, c’est aussi une manière qu’utilise Semprun pour se rassurer lui-même. La fraternité devient soudainement explicite à la fin du texte avec le mot « fraternel » (ligne 14).

            En plus de la fraternité, la poésie est aussi un « outil » permettant au mourant de regagner son humanité et sa dignité. Lorsque Halbwachs parvient à retrouver la vue, l’auteur aperçoit « une flamme de dignité, d’humanité vaincue mais inentamée » (lignes 9 et 10). Le processus d’humanisation renaît à partir de cet instant précis. Par la suite, la poésie va faire en sorte de rendre la dignité. Semprun s’en sert pour l’accompagner vers la mort : « ignorant si je puis invoquer quelque Dieu pour accompagner Maurice Halbwachs…je dis à haute voix, essayant de maîtriser celle-ci, de la timbrer comme il faut, quelques vers de Baudelaire » (lignes 13 à 16). Baudelaire dans « Les Phares » présente le poète comme un guide menant l’humanité. Ici elle retrouve la même fonction. La poésie est comparée à une prière, elle relie le mourant à Dieu. Le poème n’est pas choisi par hasard, puisque c’est un adieu au « vieux capitaine » qui représente Halbwachs. Semprun serait un marin qui partirait avec lui et tous deux le cœur « remplis de rayons ». Ce n’est plus un voyage vers l’Enfer, mais vers le Paradis, vers Dieu. A la fin du texte, le mourant parvient à sourire, la dignité lui est revenue complètement, au point où l’auteur ne s’attarde plus sur les détails corporels de sa mort.

 

 

            Au terme de ce parcours, nous avons vu la dignité du mourant s’en aller puis revenir. Dans cette mort atroce remplie de dégoût, l’auteur parvient à redonner la dignité au mourant grâce au sentiment fraternel qui les lie et à l’utilisation de la poésie qui permet de guider Maurice Halbwachs vers la lumière, la paix. Le texte est un palimpseste de la scène de la Vierge Marie au moment de la descente du corps de Jésus de la croix dans le Nouveau Testament.

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