J'ai survécu par Raphaël

Publié le par Professeur L

Reconstitution d'une tranchée de la Première Guerre mondiale (1914-1918), Musée Somme 1916, Albert, Somme, France.

Reconstitution d'une tranchée de la Première Guerre mondiale (1914-1918), Musée Somme 1916, Albert, Somme, France.

Ma chérie,

J'ai survécu à l'assaut et je puis t'affirmer n'avoir jamais rien vu de si horrible. A peine sorti de la tranchée, je vis mes amis tomber de tous les côtés, transpercés de balles. Je progressais à travers les mines et les cadavres, quand j'entendis les bruits des obus et des shrapnels. Je m'abritai dans un trou et vis mes frères d'armes qui, accrochés aux barbelés, se faisaient tirer dessus comme des lapins, ou brûler vivants sous les bombes. Mon fusil Lebel dans la boue, je me pis à ramper vers la tranchée ennemie en évitant les tirs des mitrailleuses et en passant sous les barbelés. Au bout d'un moment, j'atteignis la tranchée allemande et vidai le chargeur de mon fusil sur les Boches. Je vis leurs visages appeurés lorsqu'ils tombaient sous mes balles ou mes coups de baïonnettes. Puis, tout à coup, le silence s'abattit sur le champ de bataille. La tranchée était remplie de cadavres et nous n'étions plus assez nombreux pour la tenir, et nous avons été obligés de nous replier.

Tant de morts et nous n'avons pas gagné le moindre mètre !

Je me sentis envahi par la haine contre les généraux qui continuaient à nous ordonner d'attaquer alors que cela ne servait à rien. Contre les politiciens qui refusaient une paix blanche, sans vainqueur ni vaincu. Contre les officiers qui n'avaient pas le courage de suivre les soldats dans la charge. Puis, en rentrant dans notre tranchée, j'eus une vision d'horreur : mon meilleur ami, Maël, était accroché à nos barbelés. Il avait été tué d'une balle dans la tête et les mouches commençaient à bourdonner autour de lui.

Puis la pluie se mit à tomber, suivie d'une pluie d'obus et d'acier. Les Boches contre-attaquaient et c'était à notre tour de les massacrer. Je les vis tomber par centaines, sous les coups de nos mitrailleuses. Aucun d'entre eux ne parvint à notre tranchée. Sur à peu près cent mètres, le sol était couvert de cadavres. Des cadavres allemands, des cadavres français, des cadavres d'amis et d'ennemis, des cadavres noirâtres, verdâtres, décomposés, issus des assauts précédents. La mort était omniprésente. L'odeur dégagée par les cadavres était insupportable.

A quoi bon continuer à se battre pour une paix qui ne semble pas être possible ? Pourquoi continuer à vivre avec la terreur de la mort, la crainte des snipers, des assauts et de l'artillerie ? Avec cette horreur qu'est le champ de bataille devant nos yeux. Ce champ de bataille, ce no man's land, c'est une chose que je n'oublierai jamais. Ce sont les positions des cadavres, les cris des blessés. C'est le visage des morts et des mourants. C'est la crainte dans les yeux de ceux que l'on tue !

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