"Ma chambre" d'Emile Verhaeren par la Première S4

Publié le par Professeur L

Portrait d'Emile Verhaeren (1855-1916) par Theo van Rysselberghe (1862-1926).

Portrait d'Emile Verhaeren (1855-1916) par Theo van Rysselberghe (1862-1926).

Lecture analytique 5 : « Ma chambre » d'Emile Verhaeren (1855-1916), Les Aiges rouges de la guerre (1916)

 

Lecture analytique rédigée avec les copies d'Ilona, Thomas, Alex, Armand, Mathéo

Les notes en italiques sont les rajouts du professeur.

 

Emile Adolphe Gustave Verhaeren est né en 1855 à Saint-Amand dans la province d'Anvers en Belgique. Le 27 novembre 1916, il meurt accidentellement, poussé par la foule, sous les roues d'un train sur le départ. Il est élevé au sein d'une famille aisée dans laquelle il parle français, contrairement au village et à l'école où tout le monde parle flamand. Il se destine initialement à une carrière juridique mais durant ses études il rencontre de nombreux écrivains et artistes, ce qui le pousse finalement à se lancer dans une carrière d'écrivain. En 1914, la Première Guerre mondiale éclate. Malheureusement presque toute la Belgique est occupée par les troupes allemandes. Verhaeren est contraint de fuir et se réfugie en Angleterre. Pendant la guerre, il adopte une attitude pacifiste en publiant des livres pour lutter contre la folie de la guerre et en organisant des conférences dans le but de renforcer l'amitié entre la France, la Belgique et l'Angleterre. Il écrit des poèmes pacifistes, notamment Les Ailes rouges de la guerre. Un des poèmes de ce recueil se nomme « Ma chambre ». Ce poème, tout comme le recueil en général, traite de la guerre et de l'horreur qu'elle cause. On peut donc se demander comment l'auteur montre l'impact néfaste de la guerre sur le monde et sur la vie du poète en particulier [Autres problématiques possibles : Comment l'auteur exprime ses sentiments et sa souffrance liée à la guerre à travers ce poème ? (Alex) ; comment l'auteur montre que la guerre est destructrice et que ses amis lui manquent ? (Mathéo)]. Le texte se déploie en deux mouvements : tout d'abord le poète montre la guerre comme un événement responsable de beaucoup d'horreur et de destruction. Ensuite l'auteur décrit l'enfer de la solitude dans laquelle la guerre l'a enfermé et la lutte contre ce sentiment grâce à la réminiscence.

WWI poster profiting on the scare brought about by the German night bombing raids on London. Photo taken in the Imperial War Museum in London.

WWI poster profiting on the scare brought about by the German night bombing raids on London. Photo taken in the Imperial War Museum in London.

Tout d'abord, l'idée générale qui ressort de ce poème est celle d'une guerre atroce et violente, mais aussi destructrice. Verhaeren montre l'horreur de la guerre en s'intéressant aux victimes du conflit, comme l'indique le vers suivant : « Avec le défilé des mourants et des morts » (vers 7). Le mot « défilé » donne l'impression que le nombre de victimes est très important et surtout ininterrompu, comme si la guerre était une industrie servant à fabriquer des morts. De plus la musicalité de ce vers est intéressante. En effet on trouve une allitération en « m », ce qui permet d'insister sur les mots « mourants » et « morts ». Cela donne l'impression que les morts sont innombrables et cela rappelle le motif médiéval de la danse macabre. On a l'impression que l'auteur veut dégoûter le lecteur. L'auteur met l'accent sur une guerre meurtrière en utilisant le champ lexical de la mort : « mourants » (vers 7), « morts » (vers 7), « sanglant » (vers 19), « sang » (vers 34), « mourir » (vers 43). Ces mots permettent d'accentuer la dimension tragique et violente de la guerre et produisent une impression de dégoût. Ils renforcent aussi l'impression que l'auteur est déboussolé, sans mot face à ce drame.

En outre, il montre l'horreur de la guerre en insistant sur la violence des affrontements comme on peut le remarquer dans le vers suivant : « les combats qui font trembler la terre » (vers 8). Pour arriver à faire trembler la terre, il faut être équipé d'une puissance de feu conséquente, et pourtant ce vers n'est pas une hyperbole. On imagine très bien les pluies d'obus pendant des jours, et la certitude de mourir si on sort de la tranchée. L'allitération en « r » souligne la violence cosmique des combats. Le vers 17 : « La fureur s'y condense et l'horreur s'y accroît » repose sur un parallélisme et révèle une allitération en [r] et en [s]. Le son [r] donne un effet de dureté de cetet guerre. Le son [s] fait penser au sifflement des bombes. Le poète continue à illustrer la violence dans le vers « Cités que la bataille énorme illumina » (vers 14). L'utilisation du superlatif « énorme » permet au lecteur de mieux saisir l'ampleur de certains combats suffisamment intenses pour éclairer une ville. Le poète utilise donc le registre épique pour souligner le caractère gigantesque, démesuré et titanesque de combats dans lesquels l'homme a disparu, puisque ce sont des machines qui s'affrontent : « Face à face, les vaisseaux sautent : / Les Zeppelins armés traversent la mer haute ». Le poète emploie un procédé d'amplification. On sent que le poète est à la fois terrifié et fasciné par ces combats monstrueux, quasi cosmiques, puisque la guerre touche tous les éléments : l'eau, la terre, l'air et le feu.

De surcroît, Verhaeren illustre l'horreur de la guerre en montrant son omniprésence dans le monde et sa durée infinie. Le vers suivant insiste particulièrement sur cette idée : « Kirkholm, Kreusberg, Mitau, Dwinsk, Jacobstat, Vilna » (vers 13). A travers cette énumération, le poète montre que les combats ont eu lieu dans de nombreuses villes et dans des pays différents. L'auteur va même plus loin car il précise que « toutes, m'étiez, hier encore, inconnues! ». Le fait que la guerre soit présente dans des endroits dont il ignorait l'existence même renforce ce sentiment d'omniprésence dans le monde entier. Mais les villes ne sont pas les seuls endroits touchés par la guerre. Dans le vers suivant : « Et des plaines aux monts, et des fleuves aux bois », le poète utilise un parallélisme et une antithèse entre « plaines » et « monts », ainsi qu'entre « fleuves » et « bois », ce qui permet de renforcer cette omniprésence. Tous les lieux sont touchés par la guerre de la même façon, par-delà leur diversité. Cette accumulation de noms communs donne au lecteur l'impression d'être encerclé par cette guerre. L'emploi de « tout » dans le vers « Tout est sombre et terrible et sanglant à la fois » (vers 19) renforce cette idée. L'auteur développe le sentiment de l'horreur. Il accumule le sentiment de terreur avec la conjonction de coordination « et ». Les trois termes péjoratifs « sombre », « terrible », « sanglant » sont regroupés dans une même phrase. On a donc une phrase pesante avec des mots forts qui résument toute la guerre. D'ailleurs, la Première Guerre mondiale est une guerre moderne, et pour la première fois, des affrontements ont lieu dans les airs, comme le rappelle l'évocation des Zeppelins. Enfin, l'auteur développe le sentiment d'omniprésence de la guerre à travers l'expression « Oh, la lutte innombrable » (vers 9). La guerre est un fléau qui se répand partout dans le monde et qui prolifère. L'évocation de la multitude renvoie aussi au registre épique. Le poète insiste ainsi sur le grand nombre de fronts sur lesquels on se bat en permanence : « Le vent qui vient et passe et s'arrête et passe encore ». Dans ce vers, on retrouve une métaphore de la guerre qui insiste sur le fait que les combats sont récurrents et n'ont pas de fin. L'adverbe « encore » insiste sur la durée infinie de cette guerre. L'allitération en « v » et la métaphore du vent donnent une image cosmique de la guerre. L'auteur utilise de plus le temps du présnt de l'indicatif pour évoquer la guerre : « est », « sautent ». L'auteur insiste sur le présent d'énonciation pour nous plonger dans la guerre, pour rappeler que la guerre fait rage au moment où il écrit. Mais si les lieux, les machines et les armes sont évoqués, la présence humaine fait défaut. Tout se passe comme si les machines avaient remplacé les êtres humains dans le combat. Celui-ci est tellement gigantesque et violent que la présence humaine fait défaut. En montrant l'absence d'humain, le poète souligne l'absence d'humanité et suggère que la guerre est un lent processus de déshumanisation, ce qui provoque un double sentiment de solitude et d'abandon.

Réfugiés belges à Paris en 1914. Cette image est disponible sur la Prints and Photographs division de la Bibliothèque du Congrès des États-Unis sous le numéro d’identification ggbain.17370

Réfugiés belges à Paris en 1914. Cette image est disponible sur la Prints and Photographs division de la Bibliothèque du Congrès des États-Unis sous le numéro d’identification ggbain.17370

Ainsi, Verhaeren souffre de la solitude comme le montre le champ lexical de l'isolement : « solitaire » (vers 2 et 21), « délaissement » (vers 36), « abandon » (vers 36), « seule » (vers 43). Cela accentue sa peine. La cause de ce sentiment est la guerre : « Depuis la guerre » (vers 3) et il répète ces mots au vers 20. Ainsi il insiste sur le fait qu'il rend responsable la guerre de sa solitude. En provoquant la disparition de ses amis, la guerre a enfermé le poète dans la solitude et l'isolement. L'écrivain apporte un éclairage décisif sur cetet guerre en nous faisant comprendre que cette dernière précipite, accélère la séparation des amis et renforce la solitude. Dans le texte, le poète exprime ce qu'il ressent. C'est pourquoi les pronoms possessifs « ma », « mes » et le pronom personnel « moi » sont utilisés. Avec ces marques de la subjectivité, le poète nous dévoile ses sentiments les plus profonds et insiste sur sa solitude. Il fait preuve de lyrisme comme le montrent les phrases exclamatives et les vers suivants : « ô » (vers 16), « me consoler » (vers 33), « Hélas ! » (vers 35). Le texte s'inscrit donc dans un registre lyrique mais également pathétique, car durant la lecture, on resent la tristesse du poète d'avoir perdu ses amis, d'où l'interrogation répétée : « Dites, où sont-ils donc mes amis de naguère ? » (vers 22). Dans ce vers, à travers cette question, on a l'impression que le poète interpelle le lecteur et n'accepte pas la situation. Il s'adresse directement au lecteur : « Dites ». Il donne l'impression d'être comme un enfant, dépassé par les événements. En outre, le poète exprime sa solitude à travers l'évocation de sa chambre : « Elle est close et solitaire » (vers 21). Ici la chambre est personnifiée et ressent une émotion : la solitude. On peut facilement faire un lien entre cette chambre et le poète. Elle n'est en fait que le reflet de ce qu'éprouve le poète. Toujours pour renforcer le sentiment de solitude, le poète avoue qu'il n'a « pour compagnon que mon foyer à qui je parle et dont la flamme, / Prompte à vivre ou à mourir ». Ici l'auteur personnifie la flamme de sa cheminée. Il al considère comme sa dernière amie. On peut y voir aussi l'image symbolique de son âme. Le dernier élément qui lui fait se sentir moins seul, la flamme, vascille entre la vie et la mort. Cette flamme évoque aussi la paix et l'espoir. Dans ce vers, Verhaeren se sert d'une antithèse entre « vivre » et « mourir », pour nous indiquer que la paix, l'espoir, sont entre la vie et la mort. Cette idée renforce la lamentation et accentue le registre pathétique et élégiaque. L'écrivain utilise une série d'antithèses, comme nous le prouvent les vers suivants : « Au sombre ou lumineux désir » (vers 44), « Qui tour à tour s'allume ou s'éteint en mon âme » (vers 45). L'auteur se perd dans cette tristesse, il ne sait plus qui il est vraiment, il doute. Cela met l'accent sur sa douleur et son regret du temps qui passe. Il procure un sentiment de doute profond sur le sens de son existence. Le poète est tiraillé entre la vie et la mort, entre le passé et le présent.

Philippe de Champaigne Vanité, ou Allégorie de la vie humaine première moitié du XVIIe huile sur bois, 28 cm x 37 cm musée de Tessé, Le Mans

Philippe de Champaigne Vanité, ou Allégorie de la vie humaine première moitié du XVIIe huile sur bois, 28 cm x 37 cm musée de Tessé, Le Mans

Cependant, un élément permet à Verhaeren de sortir quelques instants de son présent marqué par la guerre : c'est la nostalgie. Le thème du souvenir est primordial dans cet écrit. En effet l'évocation d'un souvenir en compagnie de ses amis lui permet de sortir de sa solitude le temps de quelques vers. On le remarque avec la présence d'un vocabulaire mélioratif : « belles » (vers 25), « vaillante » (vers 29), « espoir » (vers 30) et « consoler » (vers 33). De plus, le souvenir qui nous est raconté rassemble de bons moments passés avec ses camarades, ce qui permet de renforcer l'expression de la nostalgie : « Pensifs et clairs, nous parlâmes à lente voix De nos belles idées » ( vers 24 et 25), ou encore « Celui qui tous les soirs venait à mon chevet /Me consoler » (vers 32 et 33). Cela contraste avec le reste du poème. Verhaeren répète à deux reprises « celui qui ». Cela évoque des amis disparus. Il se souvient d'eux. Il ne les oublie pas. Il leur rend hommage. Le passé simple et l'imparfait de l'indicatif sont utilisés pour évoquer les souvenirs. De surcroît, toujours pour renforcer le sentiment de nostalgie, le poète fait un lien entre son passé et les artefacts de son présent, comme pour se rassurer : « Voici le coin où l'autre mois » (vers 23) et « Voici le siège où s'asseyait » (vers 31). Le parallélisme anaphorique construit à partir du présentatif « Voici » permet à l'auteur de faire rentrer le lecteur dans son intimité, de lui faire partager sa nostalgie et son plaisir de la réminiscence, en présentant aux lecteurs les objets qui le lient à ses amis et qui lui permettent de se sentir moins seul. Le poète développe une description des endroits précis et des habitudes. Il met l'accent sur les habitudes régulières : « tous les soirs ». Au vers 34, les mots « ma tête », « mon sang », « mes nerfs », qui forment le champ lexical du corps humain, favorisent l'empathie et la compassion du lecteur pour le poète qui souffre de la déréliction. Le désespoir est donc présent. On peut aussi ressentir de la pitié.

L'Anneau de la Mémoire, ou Mémorial international Notre-Dame-de-Lorette, est un monument commémoratif du centenaire de la Grande Guerre élevé sur le site de la nécropole nationale de Notre-Dame-de-Lorette à Ablain-Saint-Nazaire dans le département du Pas-de-Calais.

L'Anneau de la Mémoire, ou Mémorial international Notre-Dame-de-Lorette, est un monument commémoratif du centenaire de la Grande Guerre élevé sur le site de la nécropole nationale de Notre-Dame-de-Lorette à Ablain-Saint-Nazaire dans le département du Pas-de-Calais.

Au terme de cette analyse, on comprend qu'Emile Verhaeren montre l'impact néfaste de la guerre sur la vie en s'intéressant au nombre gigantesque de victimes qu'elle cause et à la violence qu'elle engendre, ainsi que l'ampleur des affrontements, et la destruction qu'elle cause, sans oublier que l'auteur insiste sur l'omniprésence de la guerre dans le monde qui l'entoure. Le poète passe ensuite de la sphère globale à la sphère intime, en montrant les répercussions de cette guerre mondiale sur sa vie privée, grâce à une série d'antithèses entre le présent guerrier et le passé de la paix et de l'amitié. L'auteur parvient à exprimer ses sentiments et sa souffrance de la guerre grâce à un poème original, libre et très réaliste. Il arrive à mélanger la terreur de la guerre avec des sentiments positifs liés à son ancienne vie. Ce poème est réellement fait de contrastes. La guerre affecte aussi la vie du poète puisqu'elle est responsable de sa solitude. En effet, cette guerre lui a retiré ses amis. On peut rapprocher ce texte de « La colombe poignardée et le jet d'eau » ou « Si je mourais là-bas » de Guillaume Apollinaire, car ces poèmes ne glorifient pas la guerre. Ils la décrivent comme elle est réellement : horrible, meurtrière et tragique. Apollinaire comme Verhaeren se lamente de la perte de ses proches. Mais on peut également faire un rapprochement avec la « Complainte » de Ruteboeuf et La Ballade des dames du temps jadis de François Villon. En effet, dans ces deux textes les poètes pleurent la disparition de leurs amis et de leurs camarades. La similitude se remarque dans la façon d'écrire puisque dans tous ces textes, les poètes cherchent à savoir ce qui est arrivé à leurs amis.

Eugène Delacroix, Hamlet et Horatio au cimetière Salon de 1839 H. : 0,82 m. ; L. : 0,65 m.  (William Shakespeare, Hamlet, acte V, scène 1). D’après une lithographie de l’artiste réalisée entre 1834 et 1843, Musée du Louvre, Paris, France.

Eugène Delacroix, Hamlet et Horatio au cimetière Salon de 1839 H. : 0,82 m. ; L. : 0,65 m. (William Shakespeare, Hamlet, acte V, scène 1). D’après une lithographie de l’artiste réalisée entre 1834 et 1843, Musée du Louvre, Paris, France.

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