Charles Baudelaire, "Correspondances" Texte complémentaire
Année scolaire 2018-2019 – Lycée Cassini (Clermont-de-l'Oise)
Niveau première – Première S4
Objet d'étude : écriture poétique et quête de sens, du Moyen-Age à nos jours
Séquence 3 : étude d'une œuvre intégrale : Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire
Séance 2 : Correspondances
Texte complémentaire
Introduction
Je présente l'auteur : voir les lectures analytiques 8 et 9
Je présente l'œuvre
- pour Baudelaire la poésie n'a pas la mission de délivrer un message moral au lecteur
- la poésie n'a pas pour fonction d'éduquer le peuple
- la poésie est destinée à la Beauté uniquement
- la poésie ne sert pas à s'enrichir ou à dénoncer une injustice
- la poésie ne sert pas à instruire le peuple
- la poésie sert à dévoiler la réalité spirituelle par le jeu des équivalences sensorielles et poétiques
- Baudelaire croit encore au pouvoir de la poésie
- pour Baudelaire, la poésie a le pouvoir de nous dévoiler la réalité, de nous apprendre à voir le monde
- la poésie a le pouvoir de nous faire prendre conscience de l'unité cosmique du monde
- le poète pense qu'il existe une réalité cachée derrière la réalité sensible
- le poète est un visionnaire qui a le pouvoir de connecter les apparences et les sensations pour dévoiler le monde spirituel
- le poète part de la réalité sensible pour accéder à la réalité spirituelle
- Baudelaire parle de « sorcellerie évocatoire » pour définir ce pouvoir mystique de la poésie
Je présente le poème
- ce poème est l'art poétique de Baudelaire : c'est le poème qui exprime sa vision de la nature, de la poésie et du monde
- il dévoile dans ce texte sa conception de la poésie et en même temps il illustre cette conception par une mise en pratique
- « Correspondances » est le poème dans lequel Baudelaire met en pratique la méthode qui lui permet de passer de la réalité sensible à la réalité spirituelle
- « Correspondances » expose la méthode poétique qui permet de passer des apparences sensibles à la réalité spirituelle
- en ce sens il s'agit d'un poème didactique
- la méthode exposée est la méthode des synesthésies, c'est-à-dire de la correspondance entre les sensations
- il y a pour Baudelaire des équivalences sensorielles que le poème met en lumière et qui permettent de faire l'expérience spirituelle de l'unité cosmique
Problématique : comment le poète parvient-il à nous faire passer d'une expérience sensible et sensorielle à une expérience mystique et spirituelle ?
Je donne le plan :
Tout d'abord, le poète expose sa vision idéaliste du monde.
Ensuite le poète se sert de sa capacité à sentir les parfums pour en tirer des enseignements sur les synesthésies.
Enfin Baudelaire nous dévoile à travers ce sonnet la nature et la fonction d'une poésie que l'on pourrait qualifier de symboliste.
- Une vision idéaliste du monde
A. La Nature est un sanctuaire mystérieux qui est une voie d'accès à l'au-delà
L’auteur voit la nature comme un autre monde. Tout d’abord il la compare à un temple. On a l’impression que l’humain est perdu dans cette nature : « dans une ténébreuse et profonde unité ». La métaphore du temple apparaît dans le premier quatrain. C’est une métaphore filée. On a une deuxième métaphore filée qui est celle de la forêt. L’expression « vivants piliers » est un oxymore qui permet d’assimiler la Nature à une structure sacrée, religieuse, divine, un sanctuaire. La Nature semble douée également d’intelligence : « qui l’observent avec des regards familiers ». La Nature est personnifiée avec le verbe « observent » et elle semble ressentir de la compassion, de l’affection, de bienveillance. La métaphore du temple permet également d’insister sur la puissance de cette Nature. La métaphore filée de la forêt renforce l’idée d’infini et de mystère : « choses infinie ». La Nature est un monde mystérieux, énigmatique. L’être humain a une présence et une existence éphémère, fugace, précaire. Le poète insiste sur la précarité de la condition humaine. Le premier quatrain repose aussi sur une antithèse entre la nature, divine et éternelle, et l’homme, précaire et éphémère. Cette Nature s’adresse à nous, mais rarement (adverbe de temps « parfois ») et de manière complexe, indirecte, secrète. Son langage est mystérieux : « confuses paroles », « forêts de symboles ». Autrement dit, c’est un langage qui va nécessiter d’être décrypté, déchiffré, interprété, décodé, traduit. Le poète est le traducteur, l’interprète de cet univers mystérieux dans lequel nous vivons et qu’il appelle la Nature.
B. Correspondances verticales
- La majuscule permet de diviniser ce monde, de le sacraliser. Le premier quatrain est dominé par la verticalité : « piliers ». Dès le début, le poète veut nous élever vers le monde idéal, invisible, intelligible, spirituel. Ce monde est tellement mystérieux qu’il dépasse nos repères logiques : comparaison et antithèse : « vaste comme la nuit et comme la clarté ». pour le poète, la matière n'est qu'une apparence, le reflet d'une réalité profonde et cachée
- cette conception idéaliste de la Nature est un héritage de la philosophie de Platon qui considère que le monde sensible est l'image du monde intelligible
C. Correspondances horizontales
Il y a une correspondance entre le haut et le bas, entre le ciel et la terre, entre la matière et l’esprit, mais également entre les sensations : proclamation des synesthésies : « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. » Le présent de vérité générale permet de voir dans cette phrase l’affirmation de la thèse de l’auteur : il y a une correspondance entre les sensations, chaque sensation ouvre sur une autre sensation, et c’est le poète qui est capable d’établir ce lien entre les sensations.
- Baudelaire utilise un sens pour évoquer les perceptions provoquées par un autre sens
- ainsi l'odorat est suggéré par des sensations tactiles et visuelles
- le deuxième quatrain est une seule phrase qui retrace le parcours permettant d'accéder à la réalité spirituelle
- les « paroles confuses » deviennent de « longs échos »
- les allitérations en KDL et les assonances en « on » créent un double effet d'harmonie et d'unité
- les termes de « ténébreuse », « profonde », « nuit » et « clarté » soulignent la dimension mystérieuse de la réalité spirituelle vers laquelle s'élance le poète
- l'antithèse entre « nuit » et « clarté » montre que cette énigme échappe à la logique
- la réalité spirituelle est une réalité qui dépasse la logique
- cela montre aussi que la réalité spirituelle dépasse les contraires, les oppositions, dans une « profonde unité »
- cette « unité » est « profonde » et mystérieuse, « vaste », donc infinie, inaccessible dans sa vérité
- le poète ne peut que l'approcher, mais même lui ne peut pas la saisir directement
- le dernier vers donne la clé de la méthode en affirmant le principe des synesthésies
- au-delà de la diversité et de la multiplicité des apparences, le poète voit l'unité de l'univers
- grâce au rythme ternaire, l'alexandrin expose comme une conclusion logique de tout ce qui précède la thèse de la synesthésie
- le rythme ternaire souligne l'équilibre de l'alexandrin qui reproduit l'équilibre et l'harmonie de l'univers
- Baudelaire place les « parfums » en premier, ce qui montre l'importance qu'il leur accorde parmi toutes les sensations
- tout part de l'odorat et du parfum pour Baudelaire
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- Ce que les synesthésies nous enseignent
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- les deux tercets forment une seule phrase bâtie comme celle du second quatrain
- le lecteur est invité à suivre le poète dans ses expériences pour accéder à la réalité invisible et spirituelle
- d'où l'accumulation de comparaisons qui servent de passerelles pour créer les équivalences entre le domaine sensible et le domaine intelligible et spirituel
- tout part d'une expérience olfactive
- Baudelaire exprime la qualité de la sensation olfactive à l'aide d'autres domaines sensitifs
- pour cela Baudelaire utilise les comparaisons qui permettent de faire le lien entre les sensations
- la comparaison permet d'unir des réalités différentes
- Baudelaire joue aussi sur la polysémie des adjectifs qualificatifs : « frais », « doux » renvoient aussi bien aux sensations tactiles qu'olfactives, « verts » évoque la vue, mais aussi la fraîcheur
- en même temps ces adjectifs qualificatifs renvoient à l'enfance et à tout ce que l'enfance connote : la fraîcheur, la douceur, l'innocence, la jeunesse
- le tercet se termine par un tiret qui permet d'introduire une opposition entre l'enfance et l'âge adulte, entre l'innocence et la culpabilité, entre la douceur et l'amertume
- le vers 11 entre en opposition avec les vers 9 et 10
- série d'antithèse à travers l'accumulation du vers 11
- antithèse entre la douceur et la dureté à travers l'allitération en « r »
- « corrompus » fait signe vers « l'ambre » et « le musc » qui sont attachés à la femme
- connotation érotique
- « riches et triomphants » annoncent le « benjoin » attaché à l'orient et à l'exotisme
- ces épithètes font signe également vers « l'encens » qui est attaché à la religion et à la prière, autrement dit à l'appel divin et à l'élévation spirituelle
- l'accumulation des parfums souligne la richesse, la profondeur et la complexité d'une expérience olfactive dont l'intensité favorise l'élévation
- l'accumulation permet de donner l'impression d'envoûtement
- les parfums envoûtent et élèvent la conscience vers le domaine spirituel
- l'accumulation fait signe vers l'infini, d'où « l'expansion des choses infinies »
- le parfum a la capacité d'envahir tout l'espace
- la senteur est la sensation la moins matérielle par rapport au toucher ou à la vue
- le parfum est la porte qui ouvre la perception vers la vision spirituelle
- d'où le dernier vers : le parfum nous transporte, il nous sort de nous-mêmes
- transport a d'abord le sens de « mouvement violent de passion qui nous met hors de nous-mêmes »
- le parfum est un instrument qui permet d'accéder à l'idéal
- le parfum permet de solliciter l'imagination nous permettant de nous évader de la prison terrestre
- cette expérience d'élévation saisit l'être tout entier : « l'esprit et les sens », l'âme et le corps
- tout le sonnet est construit selon une dynamique d'ascension
- tout repose sur un lent crescendo dont l'acmée est le dernier vers
- grâce à l'odorat et au parfum, le poète a accès à une réalité supérieure, spirituelle
- mais l'évocation de cette expérience à la fois sensible et spirituelle mobilise le vocabulaire de la musique
- c'est la musique qui prend le relai du parfum pour nous faire accéder à une expérience mystique
- Nature et fonction de la poésie
- Baudelaire a une conception néo-platonicienne de la poésie à travers ce sonnet
- la poésie est une « sorcellerie évocatoire » qui permet de passer du domaine sensible au domaine intelligible, de la sphère des sensations à l'unité cosmique d'une surréalité énigmatique
- la poésie a le pouvoir de symboliser, c'est-à-dire d'unifier, en reliant les diverses expériences sensibles entre elles dans un mouvement d'élévation spirituelle
- le poète est celui qui est capable de voir dans une expérience sensible un symbole
- ce symbole est la passerelle qui permet de passer des apparences sensibles à l'essence, de la matière à l'esprit
- Baudelaire nous rappelle ainsi que l'univers n'est pas réductible à une formule mathématique
- l'univers demeure fondamentalement énigmatique
- dès lors la poésie n'est plus une activité qui consiste à enjoliver la réalité
- il ne s'agit plus pour le poète d'embellir la réalité
- la poésie a le pouvoir non pas de décrire, mais de dévoiler la réalité
- la poésie est un mode de connaissance intuitive qui permet de prendre conscience du mystère de l'existence et de l'énigme de la vie
- le poète établit non seulement des correspondances entre les sens pour nous ouvrir à l'unité du cosmos, mais encore entre les domaines artistiques
- il y a une équivalence entre la poésie, la musique et la peinture pour Baudelaire
- d'où les jeux sur la musicalité, les sonorités et les couleurs dans ses poèmes
- la poésie est un exercice à la fois musical et spirituel
- la poésie est comme un acte religieux
- la poésie est une célébration d'envoûtement
Conclusion
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- le poète parvient à nous faire passer d'une expérience sensible et sensorielle à une expérience mystique et spirituelle grâce au double jeu des correspondances entre les sensations et entre les domaines artistiques
- ce jeu des correspondances s'établit grâce à un travail d'harmonie musicale, d'équilibre rythmique, d'accumulations, de parallélismes, de comparaisons et de métaphores filées
- accumulations, parallélismes, comparaisons et métaphores filées permettent de réunir et d'unifier des réalités très différentes
- dès lors la poésie a une fonction religieuse : elle relie les différents domaines de la réalité et nous dévoile une réalité profonde, invisible, spirituelle
- le poète nous rappelle aussi que tout n'est pas vu, que tout n'est pas vain
- le poète nous rappelle que l'existence est un mystère, que la vie est une énigme
- la poésie permet à l'homme de s'échapper du carcan du quotidien qui l'empêche de voir la réalité
- la poésie nous rappelle à la fois que la connaissance scientifique est limitée mais que l'univers, par les questions qu'il pose, demeure illimité
- l'homme ne peut pas tout savoir, mais c'est cette limite à la connaissance humaine qui rend l'univers fascinant
- la poésie nous réapprend à nous émerveiller de la beauté fascinante de l'univers
- la poésie permet aussi d'échapper au spleen pour s'élancer vers l'idéal
- la poésie en dévoilant grâce à la comparaison et à la métaphore l'unité du monde visible et invisible nous rappelle que « tout n'est qu'ordre et beauté/Luxe, calme et volupté » comme l'écrit Baudelaire dans « L'invitation au voyage »
- Baudelaire propose la même expérience d'élévation spirituelle grâce à l'olfaction dans « Parfum exotique » et « La Chevelure »
- l'idée selon laquelle la nature est une cathédrale infinie dont Dieu serait l'architecte se retrouve dans la poésie romantique : cf lecture analytique 7 ( Victor Hugo (1802-1885), Les Contemplations (1856), Livre VI, « Au bord de l'infini », « Poème à la fenêtre, pendant la nuit »)
- enfin ce pouvoir d'élévation spirituelle que possède la poésie sera revendiqué plus tard par d'autres poètes, et notamment par Arthur Rimbaud qui définit la poésie comme une « alchimie verbale »