La mort des amants : Tristan et Iseut par Anaëlle et Ines

Publié le par Professeur L

Tristan et Iseut (Mort) de Rogelio de Egusquiza (Santander, Spain, 1845 - Madrid, 1915), huile sur toile, 1910, 160x240, Musée des Beaux-Arts de Bilbao.

Tristan et Iseut (Mort) de Rogelio de Egusquiza (Santander, Spain, 1845 - Madrid, 1915), huile sur toile, 1910, 160x240, Musée des Beaux-Arts de Bilbao.

Le texte est un extrait du chapitre XIX du roman de Tristan et Iseut, traduit par Joseph Bédier à partir des textes de Thomas et Béroul. Ce chapitre s'intitule "La mort". Ce texte décrit un amour tragique entre Tristan et Iseut. Tout commence lorsque un chevalier, Tristan, devait ramener à son oncle le roi Marc, à Tintagel (Pays-de-Galle) une femme venant d'Irlande et se prénommant Iseut la Blonde.  Or la rencontre de Tristan et d'Iseut la Blonde va provoquer une série d'aventures les menant à la mort. En effet, en rencontrant ce chevalier qui a libéré l'Irlande du joug d'un terrible dragon, Iseut, après avoir soigné ces blessures et l'avoir ramené à la vie, tombe sous le charme de Tristan. Néanmoins Iseut devait épouser le roi Marc, et pour éviter qu'elle ne soit malheureuse, la mère d'Iseut donna un philtre d'amour à la servante la plus proche de sa fille. Cette servante avait pour mission de remettre de philtre d'amour à Iseut lors de sa nuit de noces avec le roi Marc. Malheureusement, rien ne se déroula comme prévu et Iseut et Tristan burent ce philtre d'amour par inadvertance, sur le bateau les menant au royaume de Marc, à Tintagel. Dès lors, ils tombèrent subitement amoureux l'un de l'autre. Cependant, cet amour était interdit, puisque Iseut était destinée à Marc, et que Tristan était le neveu et le vassal du roi Marc. L'extrait étudié met en scène la fin tragique de cet amour impossible et interdit. Il évoque le registre pathétique et élégiaque à travers la souffrance de Tristan et Iseut, de même que le registre tragique, à travers la mort inéluctable des deux amants. Comment l'auteur associe-t-il un destin tragique à un amour éternel ? Le texte se déploie en deux mouvements : tout d'abord l'amour entre Tristan et Iseut est mis en scène, puis le destin tragique des deux amants se déroule sous les yeux d'un lecteur impuissant.

Mort de Tristan et Iseut, enluminure de Tristan de Léonois, France, Ahun, XVe siècle, BNF, Fr.116, f.676v

Mort de Tristan et Iseut, enluminure de Tristan de Léonois, France, Ahun, XVe siècle, BNF, Fr.116, f.676v

Tout d'abord, ce philtre d'amour provoque un amour incontestablement puissant entre Tristan et Iseut comme le prouvent les exemples suivants : "Je meurs pour vous", "l'amour qu'il y avait entre nous". En effet, cet amour est tellement puissant que la séparation des amants provoque leur mort. Chacun est vital à l'autre. Le champ lexical de l'affection et de l'amour permet d'accentuer l'attirance réciproque entre les amants qui se traduit par des gestes exprimant le désir de fusion : "elle le serre dans ses bras, elle s'étend près de lui et embrasse sa bouche et son visage". Le registre lyrique domine le passage.

De plus, les deux amants ne peuvent être séparés l'un de l'autre car sans Iseut, Tristan "ne peut plus retenir sa vie", euphémisme désignant sa mort prochaine et révélant son amour envers Iseut, de même que sans Tristan, il est impossible pour Iseut de "trouver une bonne raison de vivre". Ainsi, cet amour incontrôlable est fusionnel, ce que dévoile notamment cette énumération : "ma destinée, notre joie, nos réjouissances, la peine et la grande douleur", qui montre que leur amour est à la fois mélancolique et passionné. Le passage de la première personne du singulier à la première personne du pluriel souligne cette fusion et l'antithèse entre le bonheur et le malheur renforce la souffrance liée à cet amour-passion. Cet amour permet de redécouvrir l'origine étymologique du mot passion, qui vient du latin patior signifiant "je souffre".

En effet, à l'intérieur de lui, Tristan meurt de ne pas voir Iseut auprès de lui, ce que dévoile cet exemple : "puisque vous ne voulez pas venir à moi, votre amour me tue", qui est une antithèse s'appuyant sur la douleur qu'éprouve Tristan lorsqu'il pense qu'Iseut ne viendra pas le voir. Iseut est comme une partie de lui, puisque Tristan "ressent une grande douleur" et ne veut être qu'à ses côtés. Séparé d'Iseut, l'amant n'est plus que l'ombre de lui-même. Il est en quelque sorte devenu étranger à lui-même, aliéné par cet amour impossible et interdit. De même, la nouvelle de la mort de Tristan est insupportable à Iseut, qui devient "muette de douleur". C'est un choc, un traumatisme qui la brise intérieurement : "elle erre à travers les rues, les vêtements en désordre". Le point de vue du narrateur accompagne celui d'Iseut, ce qui permet au lecteur de partager la souffrance liée au deuil et au regret. C'est pourquoi cet amour passionné ne peut se terminer que dans la mort des amants. Le destin tragique est la conséquence logique et inéluctable de cet amour passion.

Herbert James Draper (1863-1920), Tristan et Iseut.

Herbert James Draper (1863-1920), Tristan et Iseut.

En effet, l'amour entre Tristan et Iseut est marqué par la souffrance, comme le prouvent les mots suivants, associés au champ lexical de la douleur : "douleur", "pitié", "souffrance", "plainte". Le champ lexical du désespoir est lui aussi particulièrement abondant : "pitié", "lamentent", "peine". La douleur et le désespoir révèlent que les deux amants sont attachés l'un à l'autre, et que cet amour est tellement puissant qu'il entraîne une souffrance terrible lors de la séparation des amants. Les hyperboles et superlatifs insistent sur l'intensité de la souffrance : "une grande douleur comme jamais et n'en ai jamais eu et jamais il n'y en aura de plus grande". La répétition de l'adverbe "jamais" insiste sur le caractère unique de cette douleur. La gradation et la répétition de l'adverbe "jamais" dévoilent le fait que Tristan est totalement anéanti par l'absence d'Iseut. Cet anéantissement ouvre les portes de la mort : "votre amour me tue", "je meurs pour vous". Ces deux expressions hyperboliques permettent d'accentuer l'expression de la douleur. La souffrance des amants est donc à la fois physique et morale. Iseut quant à elle est dévorée par les regrets, comme le prouvent ce parallélisme et cette gradation écrites au conditionnel : "je vous aurais rappelé tout cela, et je vous aurais pris dans mes bras et je vous aurais embrassé". Le regret et le désespoir dominent le passage. La souffrance des amants est réciproque et redoublée à travers l'utilisation des mêmes termes. On a un parallélisme absolu entre la souffrance de Tristan et la douleur d'Iseut : "douleur", "peine", "meurt" sont les mêmes mots utilisés pour l'un et pour l'autre. Le registre pathétique est omniprésent. La mort apparaît comme le seul remède à cette mélancolie.

Cependant, malgré la tonalité pathétique, lyrique et élégiaque de l'ensemble, une touche d'espoir apparaît, qui atténue la mélancolie et le caractère tragique du dénouement : la mort des amants est aussi la réunion des amants. Dans la mort, rien ni personne ne pourra les séparer. Cet amour éternel dépasse les limites du réel. On peut parler d'amour éternel, immortel ou mystique.

Gaston Bussière, Tristan et Iseut, aux alentours de 1895.

Gaston Bussière, Tristan et Iseut, aux alentours de 1895.

Au terme de cette analyse, le texte à la fois tragique et pathétique met en scène deux amants qui embrassent un destin contre lequel ils ne peuvent rien. Ainsi, l'auteur associe un destin tragique à travers un amour puissant et imposant, faisant basculer l'idylle vers la tragédie. L'amour dépeint ici est submergé de souffrance et de douleur. Cependant cet amour est perpétuel et tellement fort qu'il dépasse les limites de la mort et continue dans l'au-delà. Cet extrait influencera Shakespeare dans Roméo et Juliette, puisqu'il s'agit dans les deux cas d'un amour interdit par les parents, et d'amants prêts à tout pour s'aimer. Dans les deux cas, l'amour se transforme en martyre et se dénoue en issue tragique.

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