Molière, L'Ecole des femmes
Année scolaire 2018-2019 – Lycée Cassini (Clermont-de-l’Oise)
Niveau première – Première S4
Objet d’étude : le théâtre, texte et représentation
Séquence 4 : comédie et tragédie du désir, désir comique et tragique
LECTURE ANALYTIQUE 13
COMMENTAIRE REDIGE PAR LES ELEVES (DEVELOPPEMENT)
Les phrases en italique, l’introduction et la conclusion sont rajoutées par le professeur.
Molière, de son vrai nom Jean-Baptiste Poquelin, était dramaturge et comédien. Il a vécu au XVIIe siècle. Il tombe amoureux de Madeleine Béjart en 1640. Il a sans doute reçu des « leçons » philosophiques par Gassendi, qui était matérialiste, empiriste et épicurien. Il croit que seule la matière existe, il accorde une importance fondamentale à la science et il considère que le plaisir et le désir ne sont pas mauvais en soi. Dans ses pièces de théâtre, Molière veut corriger les mœurs par le rire. Pour Molière, il s’agit de « corriger les hommes en les divertissant » (Molière, « Premier placet au roi au sujet de Tartuffe »), en dénonçant l’avarice des hommes, les travers de la médecine, de la justice, de la Cour. La plaisanterie et le rire sont le masque qui permet de dénoncer les injustices et les cruautés présentes dans la société. D’où l’emploi de toutes les ressources du rire, de la farce et de la comédie. L’École des femmes est une comédie de Molière en cinq actes et en vers. Cette pièce de théâtre a été créée en 1662. Cette pièce est un immense succès. C’est un mélange inédit de la farce et de la grande comédie en vers. Cette pièce a suscité une querelle à cause des nombreuses allusions grivoises et obscènes qu’elle recèle. Arnolphe, qui vient de changer son nom en celui, plus aristocratique, de « M. de La Souche », est un homme d’âge mûr qui aimerait jouir du bonheur conjugal ; mais il est hanté par la crainte d’être trompé par une femme. Aussi a-t-il décidé d’épouser sa pupille Agnès, élevée dans l’ignorance, recluse dans un couvent. Il fait part de ses projets à son ami Chrysalde, qui désapprouve la façon dont la jeune fille a été maintenue dans l'ignorance. Arnolphe rencontre ensuite Horace, fils d’Oronte (un autre de ses amis), qui est tombé amoureux d’Agnès au premier regard, ce qu'il confie sous le sceau du secret à Arnolphe dont il ignore à la fois le rôle de tuteur et le changement de nom. Horace explique qu'il a pu courtiser la jeune fille et raille ce « M. de La Souche » qui la retient prisonnière. Arnolphe et Horace vont tout faire pour conquérir le cœur d’Agnès. Comment Molière parvient-il à transformer une scène de rencontre amoureuse en scène comique ? Dans cette scène, Agnès raconte à Arnolphe l’histoire de sa rencontre avec Horace. Cette scène présente toutes les caractéristiques de la comédie de Molière : on y retrouve les ressorts traditionnels de la farce, l’ironie du dramaturge à l’égard de ses personnages, et le redoublement de la théâtralité.
- L’omniprésence du registre burlesque (travaux d’Alex, Armand, Ilona, Lucas, Sherazad, et Zacharie)
L’auteur rend comique la scène de rencontre amoureuse grâce aux ressorts traditionnels de la farce. Cette scène en effet nous présente les différents comiques. Le registre burlesque est donc très présent afin d’amuser le spectateur.
Tout d’abord, dans cette scène, le dramaturge se sert du comique de répétition, comme nous le prouve le terme suivant : « révérence ». Ce mot est répété cinq fois par Agnès : « Je fis la révérence aussi de mon côté. » ; « j’en refais de même une autre en diligence. » Dans la première tirade, Agnès raconte sa rencontre inattendue avec Horace. Ce comique se dévoile quand le jeune homme fait pour la première fois une révérence. A partir de ce moment-là, Agnès et Horace ne s’arrêteront plus de faire des révérences : « Il passe, vient, repasse, et toujours de plus belle, Me fait à chaque fois révérence nouvelle. » L’accumulation des verbes, les verbes « passe » et « repasse », et l’expression « chaque fois » permettent de renforcer cette répétition, comme si elle ne finissait jamais. A travers ces différentes phrases, l’auteur utilise le comique de répétition pour apporter un éclairage sur l’absurdité et la naïveté dont faire preuve Agnès. Cela rend la scène amusante et comique. Agnès rend compte d’une scène d’autant plus comique qu’elle est silencieuse : en effet, elle raconte une scène où la parole est entièrement remplacée par des gestes, des mimiques et des attitudes. On a alors affaire à un héritage de la commedia dell’arte. C’est en 1545, en Italie, que des acteurs signent un contrat pour ne plus être des dilletanti, comédiens amateurs, mais des comédiens professionnels, des comédiens dell’arte. Arte, comme le mot français « art », désigne un savoir-faire et un métier. La commedia dell’arte présente alors un travail scénique d’expression essentiellement corporelle, des techniques d’acteurs, de jeux et d’improvisation, autour d’un simple canevas, d’un scénario. Or c’est exactement ce que Molière met en scène ici à travers les paroles d’Agnès. Les comédiens répètent un geste : c’est donc aussi du comique de geste. L’auteur utilise le comique de geste pour renforcer le côté candide d’Agnès. En effet cette dernière mime le mouvement de révérence. Cela renforce la naïveté d’Agnès face à cette rencontre amoureuse. Ce double comique de répétition et de geste crée une situation amusante : d’où également l’emploi du comique de situation. Comique de situation que l’on retrouve également entre la vieille, qui joue le rôle d’une maquerelle, et Agnès. La vieille fait des compliments à Agnès pour la pousser dans les bras d’un inconnu : « belle personne ». Cela rend cette situation comique et amusante pour le spectateur. Ce passage nous montre que la vieille dame a le rôle d’entremetteuse entre Horace et Agnès, ce qui renforce le comique de situation. Le dernier comique de situation étant présent par le fait qu’Arnolphe s’énerve comme le prouve l’exemple suivant : « exécrable damnée ! » La ponctuation montre qu’Arnolphe est nerveux, ce dont ne se rend pas compte Agnès, ce qui crée une situation comique. Ici Arnolphe est complètement décontenancé par le comportement de sa future épouse. Arnolphe est dépassé par la situation. L’association des comiques de répétition, de geste et de situation met en valeur des personnages comiques : on a donc aussi du comique de caractère. Le comique de caractère est aussi présent dans cette scène car le dramaturge met en abyme l’ingénuité d’Agnès : « Moi j’ai blessé quelqu’un ? fis-je toute étonnée. » Le pronom personnel « moi » suivi d’une question amplifie le fait qu’Agnès est naïve. Elle se fait manipuler par la vieille dame car elle ne semble pas connaître la réalité du monde. Agnès étant candide ne se rend pas compte de ce qu’elle fait : les révérences jusqu’au coucher du soleil, elle est prête à tuer le petit chat avec un inconnu et elle finit par raconter toute cette histoire à Arnolphe sans penser que dernier fut blessé par cette révélation. Ce passage nous montre une personnalité qui amuse le spectateur par sa candeur, parce qu’Agnès prend tout au premier degré. D’où l’utilisation du comique de mot, qui repose sur un jeu entre premier et second degré, sens propre et sens figuré. Agnès prend au premier degré le terme « blessé » : c’est du comique de mots qui révèle l’extrême crédulité de la jeune fille, qui peut être associée au comique de caractère.
Les différentes comiques sont donc utilisés dans une scène burlesque. Le comique de mots plus particulièrement atteint son paroxysme dans l’emploi de l’ironie.
- Le jeu de l’ironie (travail de Nicolas D. et Nicolas L.)
De plus, l’auteur utilise l’ironie pour rendre comique cette scène amoureuse. Ici l’ironie est employée dans le dialogue entre Agnès et la vieille dame qui a le rôle de maquerelle pour la pousser à revoir Horace. La maquerelle utilise l’ironie en simulant des louanges à l’égard d’Agnès comme le montre l’exemple suivant : « Le bon Dieu…ne vous a pas fait une belle personne/ Afin de mal user des choses qu’il vous donne ». Non seulement la vieille pousse Agnès à avoir des relations charnelles avec un inconnu en la flattant, mais encore elle s’appuie sur Dieu, comme si c’était un devoir religieux de se donner à un inconnu. Le raisonnement de la vieille est ironique. L’ingénuité d’Agnès accentue aussi l’ironie comme le prouve l’exemple : « Moi j’ai blessé quelqu’un ? fis-je toute étonnée ». La phrase interrogative et l’étonnement nous montrent bien l’attitude candide d’Agnès. Sa naïveté est de plus montrée par l’interprétation au premier degré des paroles de la vieille dame comme le montre l’exemple : « Mes yeux ont-ils du mal, pour en donner au monde ». Cette expression est absurde, ce qui permet d’accentuer le ridicule du personnage d’Agnès, ce qui est une forme d’ironie de la part du dramaturge vis-à-vis de son personnage. Dans cet extrait l’ironie apparaît dans la mise en scène de l’ingénuité d’Agnès et aussi par la manipulation de la maquerelle. Cela nous montre que le dramaturge se moque d’Agnès et l’amusement provoqué engendre aussi la moquerie de la part du spectateur.
Ici Molière met en scène une parodie de la surprise de l’amour. La parodie est une forme d'humour qui utilise le cadre, les personnages, le style et le fonctionnement d'une œuvre ou une institution pour s'en moquer. On retrouve tous les motifs de la surprise de l’amour : le mythe du coup de foudre au premier regard (champ lexical de la vue, champ lexical de la douleur). Agnès croit à la lettre le discours galant qui lui est adressé. Or ce discours galant, qui rassemble tous les clichés de la rencontre amoureuse et de la douleur d’amour, est prononcé par une vieille dame qui fait penser à une maquerelle. La distorsion, l’écart, le décalage entre le discours et le personnage qui prononce ce discours provoque le rire. La vieille développe une véritable entreprise de séduction pour persuader et manipuler Agnès. C’est pourquoi elle commence son discours par un compliment. Puis elle fait naître chez Agnès un sentiment de culpabilité. Le but de la vieille est qu’Agnès se sente coupable du désir qu’éprouve Horace. Son but est aussi de susciter la pitié chez Agnès. En soulignant l’urgence de porter un remède, elle oppose avec habileté la gravité du mal et la simplicité du remède. Le but est de pousser à Agnès à agir en ouvrant la porte à Horace. L’insistance sur les yeux d’Agnès et l’hyperbole pour décrire la souffrance d’Horace sont une parodie du discours amoureux que l’on peut trouver dans le courant à la mode à l’époque de Molière que l’on appelle la préciosité. Le contraste entre le langage candide, naïf, ingénu d’Agnès et le langage manipulateur de la vieille provoque le rire.
L’ironie crée un dédoublement au sein même des personnages (Arnolphe et la vieille – ainsi qu’Horace - jouent un double jeu en manipulant Agnès) comme dans la mise en scène. C’est pourquoi toute la scène repose sur le principe de la mise en abyme. La vieille se moque d’Agnès en jouant sur sa crédulité. Cette situation semble donc être elle-même une pièce de théâtre puisqu’il y a différents jeux avec différents personnages. Il y a donc une mise en abyme, c’est-à-dire du théâtre dans le théâtre.
Eugène Delacroix, Femme nue et son valet, 1826-1829 Zurich, collection particulière, Courtesy of Art Cuelllar-Nathan.
- La mise en abyme : le théâtre dans le théâtre (travaux d’Emeline, Léa, Pauline, Evan et Valentino)
De surcroît, Molière instaure une mise en abyme dans cette scène. En effet, cette scène abrite plusieurs autres scènes. En racontant son histoire, Agnès la met en scène. On a donc une mise en abyme, c’est-à-dire du théâtre dans le théâtre.
Ici, c’est le personnage d’Agnès qui met en place cette mise en abyme. En effet, on peut compter au total trois scènes dans cet extrait : la rencontre entre Horace et Agnès, le dialogue entre celle-ci et la maquerelle et enfin la balade entre Arnolphe et Agnès. Agnès est à la fois un personnage de la pièce mais elle est aussi une narratrice et une metteuse en scène. Tout d’abord, Agnès passe d’une scène à l’autre en passant du présent de l’indicatif au passé simple : « je vis », « je fis ». De plus, les verbes de parole présents dans ses tirades montrent qu’elle reproduit les scènes, qu’elle les met en scène, comme le montrent les exemples suivants : « je vis », « fis-je », « dis-je ». La première scène qu’Agnès dévoile se trouve du vers 1 au vers 19, où elle expose sa rencontre avec Horace. En outre, pour mettre en scène cette rencontre, elle utilise le présent de l’indicatif comme le prouvent les verbes « passe, vient, repasse », « fait ». C’est du présent de narration qui nous plonge directement dans la scène. Cela vient donner l’impression que la scène se passe devant nous, comme si elle nous faisait vivre ces scènes. Ensuite, Agnès raconte sa rencontre avec une « vieille » devant sa porte. La particularité de cette scène, contrairement à l’autre, est le dialogue entre les deux personnages. De plus, les guillemets présentes ramènent des paroles rapportées, que l’on retrouve avec les verbes de paroles : « fis-je », « me dit-elle ». Cela renforce l’impression de mise en scène. Tous les éléments scéniques mis en place dans les tirades d’Agnès permettent au lecteur ou au spectateur de s’imaginer et de revivre les scènes racontées par le protagoniste. Cette mise en abyme amuse le spectateur et constitue le moteur de la dynamique comique dans cette scène, notamment parce qu’on voit la naïveté d’Agnès et les effets de ces épisodes sur Arnolphe qui a de plus en plus de mal à retenir sa colère au fur et à mesure qu’Agnès raconte son histoire. Finalement cette mise en abyme rend fou Arnolphe car il se rend compte que la vieille femme manipule Agnès et sachant qu’Arnolphe manipule aussi Agnès, cela produit un effet de dédoublement des personnages, d’identification entre la vieille maquerelle et Arnolphe. Les deux personnages usent de la naïveté d’Agnès pour mieux la manipuler.
Molière parvient à faire de cette scène de rencontre amoureuse une scène comique en exploitant judicieusement tous les ressorts traditionnels du registre burlesque et de la farce (comique de situation, de répétition, de caractère, de geste, de mots). Mais il parvient également à provoquer le rire chez le lecteur et le spectateur grâce à une maîtrise parfaite de la parodie et de l’ironie qui trouve son point culminant dans la mise en place du théâtre dans le théâtre. Grâce à cette stratégie, ce qui aurait pu être un drame ou une tragédie devient une comédie. On retrouve ce passage du burlesque à l’ironie et de l’ironie à la mise en abyme dans plusieurs œuvres de Molière, notamment dans Le Bourgeois gentilhomme, Tartuffe, ou Le Malade imaginaire. Les personnages sont souvent obligés de jouer un double jeu, de jouer une comédie dans la comédie, afin de déjouer les plans machiavéliques d’un vieux snob monomaniaque.