Lettre de René Jacob commentée par la seconde 6

Publié le par Professeur L

Félix Vallotton, Le Bois de la Gruerie et le ravin des Meurissons (1917), Nanterre, La contemporaine.

Félix Vallotton, Le Bois de la Gruerie et le ravin des Meurissons (1917), Nanterre, La contemporaine.

Année scolaire 2019-2020 – Lycée Cassini (Clermont-de-l’Oise)

Niveau seconde – seconde 6 : séquence 1 : des personnages pris dans la tourmente de l’Histoire et les spirales du souvenir

Objet d’étude : le roman et le récit du XVIIIe au XXIe siècle

Problématique : comment la littérature permet-elle de surmonter les drames humains et les épreuves de l’existence ?

Lettre de René Jacob à sa femme. Extrait de Paroles de Poilus, Lettres et carnets du front 1914-1918 rassemblés par Jean-Pierre Guéno et Yves Laplume

 

Objectifs :

  • Maîtriser les figures de style et les structures emphatiques
  • Comprendre que la littérature est ce qui permet de mettre des mots sur les drames humains

 

Introduction

Je présente l’auteur

  • Cette lettre est extraite d’un recueil de lettres de Poilus intitulé Paroles de Poilus 1914-1918, Tome 1, Lettres et carnets du front
  • L’auteur de cette lettre s’appelle René Jacob : il était fils de charron et lui-même boulanger à Bussy-en-Othe, dans l’Yonne
  • Il a été tué à Verdun en 1916
  • Il laissait derrière lui sa femme Lucie, et trois enfants dont l’aînée n’avait que huit ans

Je présente l’extrait

  • Cette lettre date de 1915
  • L’auteur tente de restituer son expérience de la guerre, de décrire les paysages qu’il a traversés, mais très vite il se rend compte que les mots habituels, que la langue quotidienne, ne suffisent pas pour dire la guerre
  • Il va dès lors élaborer une stratégie pour dévoiler à sa femme la réalité de la guerre

Je formule la problématique 

 Comment l’auteur parvient-il à décrire les paysages dévastés par la guerre ?

 

Commentaire rédigé grâce aux copies de Mathieu, Shema, Rayane, Candice, Gwendoline, Deborah, Jessica, Juliette, Tidiane, Malo, Aurélie, Stella et Cassandra

 

            Les phrases et mots en italique ont été rajoutées par le professeur.

 

            Dans la lettre que René Jacob envoie à sa femme, il exprime l’horreur de la guerre, en dévoilant la réalité de celle-ci. C’est d’ailleurs pour cela que la lettre a été censurée et retrouvée des années plus tard. En lisant cette lettre, on ressent du dégoût, de la révolte envers la propagande et envers la guerre, et de la tristesse. Cette lettre dénonce les horreurs de la guerre.

            Tout d’abord, l’auteur développe dans son texte l’aspect réel de la guerre dans une scène qu’il décrit. Il développe une description de l’horreur de la guerre. Cette scène réaliste accentue l’horreur, l’atrocité et la tristesse de la guerre, grâce notamment au champ lexical de la mort. En effet, le terme le plus employé par l’auteur dans ce texte pour décrire la mort est le mot « cadavres », au pluriel, répété six fois. De plus, le narrateur utilise l’énumération et l’anaphore pour amplifier l’image du cadavre : « des cadavres allemands…des cadavres noirâtres…des cadavres d’hommes ». On ressent le dégoût et la révolte de l’auteur. Il répète sans cesse le mot « cadavres » pour souligner l’odeur de la mort et le nombre incalculable de corps sans vie qu’il y a autour de lui. Derrière le mot « cadavre », l’auteur a utilisé les adjectifs qualificatifs « verdâtres » et « noirâtres ». Le suffixe -âtre est péjoratif et souligne la saleté qui se dégage du paysage. Cela renforce le dégoût et la froideur en incluant ces adjectifs dans une énumération. Il utilise une énumération pour décrire les couleurs froides, laides, sombres, sales, et l’odeur du champ de bataille. Ce qui prouve que la guerre est un moment d’horreur important de l’Histoire. Les termes « entrailles répandues », « odeur effroyable », « pourriture » ou encore « champ de carnage » renforcent l’impression de dégoût que l’auteur nous fait ressentir à travers le texte. Par ailleurs, il décrit non seulement ce qu’il voit, mais aussi ce qu’il entend : « des essaims de mouches », « le silence », « le vent soufflant ». On visualise d’autant plus le champ de bataille grâce à ces précisions qui nous plonge dans le décor.

            L’auteur a également une vision apocalyptique de la guerre, comme nous le prouve l’expression suivante, dans une phrase nominale : « Non, pas champ de bataille, mais champ de carnage. » On peut identifier une opposition formée par l’adverbe « non » et la conjonction de coordination « mais ». Cette opposition révèle que la guerre est une véritable catastrophe. L’auteur utilise aussi une comparaison avec l’adverbe « comme » : « comme si un rideau de théâtre s’était levé devant nous, le champ de bataille nous est apparu dans toute son horreur. » Cette comparaison insiste sur le fait que tout ceci n’est pas une comédie, mais bien une réalité dramatique. Ce que l’auteur décrit est spectaculaire. Il compare la découverte du champ de bataille à une représentation théâtrale afin de montrer que la guerre est un drame et pour nous faire part de ses sentiments de surprise et d’incompréhension. Cette scène de guerre se résume à un spectacle affreux. Dans les dernières phrases de la lettre, René Jacob met en avant le fait que la guerre ne provoque pas seulement des pertes humaines, mais aussi des pertes matérielles, telles que les maisons, qui sont, du point de vue de l’auteur, les anéantissements les plus haïssables soient-ils, car des familles et des civils ont été touchés par les conséquences néfastes de la guerre. Cela est souligné par une structure emphatique : « ce que je n’oublierai jamais, c’est la ruine des choses, c’est le saccage abominable des chaumières, c’est le pillage des maisons… » Le verbe « oublierai » est au futur et l’adverbe « jamais » permet d’insister sur le fait que l’horreur de la guerre est gravée dans la mémoire du soldat. La structure emphatique « c’est » permet d’insister sur le chaos, l’anéantissement et la destruction provoqués par la guerre.

            Enfin, dès le début du texte, l’auteur ne trouve pas les mots pour décrire ce désastre. Le soldat insiste sur le fait que la guerre est indicible, comme le prouvent les phrases interrogatives : « Comment décrire ? Quels mots prendre ? » Ces questions rhétoriques mettent en avant l’incompréhension du soldat. Ces deux phrases montrent que l’auteur n'arrive pas à trouver les mots pour décrire le cauchemar auquel il assiste. Aucun mot ne peut qualifier correctement les horreurs de la guerre. C’est d’ailleurs pour cela que le soldat utilise l’écriture. II cherche des mots assez puissants pour retranscrire la réalité de la guerre. C’est notamment ce que met en avant l’auteur avec les termes suivants : « une odeur effroyable », « l’odeur de la mort ». Ici, il y a une seconde anaphore avec le mot « odeur. » Elle sert à insister sur l’odeur atroce qui ne se dissipe pas, qui colle à la peau, comme noue le prouvent les mots suivants : « Elle nous prend à la gorge, et pendant quatre heures, elle ne nous abandonnera pas. » Ici, le présent d’énonciation (« au moment j’écris ces lignes, je la sens encore éparse autour de moi ») est employé pour montrer l’obsession traumatisante de cette odeur. De plus, en attribuant, grâce à une personnification, des caractéristiques humaines à l’odeur, l’écrivain met l’accent sur l’intensité de cette odeur. La personnification donne l’impression que l’odeur agresse et étouffe le soldat. Il écrit donc aussi cette lettre pour évacuer son traumatisme. Il utilise l’écriture comme un médicament. D’où l’utilisation par l’auteur d’une tonalité pathétique. Le soldat est désespéré. C’est notamment ce que suggère l’auteur quand il emploie les mots suivants : « Comment décrire ? », « qui me fait chavirer le cœur », « ce que je n’oublierai jamais ». L’auteur accentue cette émotion en utilisant le champ lexical du désespoir.

           

            Pour conclure, l’auteur dans ce texte met en lumière les faits, les drames et la réalité de la Première Guerre mondiale. Les sentiments du désespoir et du dégoût sont mis en avant pour dénoncer la violence de la guerre. Dans cette lettre, le dégoût domine cependant plus que la tristesse. La guerre apparaît comme une catastrophe effroyable, indescriptible qui reste à jamais gravée dans la mémoire du soldat. Cette lettre est intéressante car elle bouleverse et remet en cause la vision idéologique, nationaliste, d’une guerre conçue comme un événement grandiose permettant à chacun de devenir un héros au service de la patrie et de la religion. La guerre apparaît ici dans toute son horreur, et ce texte est d’autant plus précieux qu’il émane d’un témoin direct. Ce texte nous montre aussi que face à une réalité traumatisante, on est poussé dans nos retranchements et l’écriture nous incite à renouveler la langue pour coïncider avec le réel.

Le Désespéré est un tableau du peintre français Gustave Courbet réalisé entre 1843 et 1845 . C'est un autoportrait sous les traits d'un jeune homme qui regarde fixement devant lui, les mains crispées dans les cheveux.

Le Désespéré est un tableau du peintre français Gustave Courbet réalisé entre 1843 et 1845 . C'est un autoportrait sous les traits d'un jeune homme qui regarde fixement devant lui, les mains crispées dans les cheveux.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :