Une guerre qui ne devait durer que deux semaines par Léonie et Océane
Cela fait désormais six mois que je suis à la guerre, cinq mois et deux semaines de trop pour une guerre qu'on nous avait présentée joyeuse et victorieuse. Une guerre qui ne devait durer que deux semaines.
Ici, la vie est déplorable. Mes camarades deviennent fous et hystériques, à cause des visions d'horreur vécues sur le champ de bataille. Les cris des soldats continuent de résonner dans nos têtes même après la bataille. Nous vivons dans la boue, nous dormons dans des trous creusées dans les parois de la tranchée, nous sommes entourés de rats porteurs de maladie. Chaque nuit, je subis les pluies d'obus, ces énormes ballons tombant sur mes camarades en les démembrant en un souffle. L'odeur du sang envahit les tranchées, ce sang de couleur noirâtre ruissèle dans la terre.
Il ne se passe pas un jour sans qu'un frère d'armes ne meure, un père ou un fils qui laisse derrière lui une famille. Mais heureusement, je ne suis pas seul dans cet enfer. Mon compagnon Édouard, que j'ai rencontré après un concert de jazz joué par l'orchestre de James Reese Europe, "Big Jim", m'accompagne comme une lumière me guidant. Vous seriez encore plus surpris en apprenant qu'il est de couleur blanche. Les Américains blancs ne veulent pas que nous mélangions à eux. Du coup, nous sommes comme intégrés dans l'armée française, et nous combattons presque côte à côte avec les Français. Chaque fois que le combat éclate, je vois dans le regard des Français l'envie de vaincre l'ennemi, la rage de vaincre ces Huns qui envahissent ce pays. Ce beau pays qui porte ces valeurs qui nous font tant rêver : "Liberté, égalité, fraternité."
Nous ne pouvons même plus distinguer le sol, car il est recouvert de cadavres, de corps aux visages terrifiés, comme si le diable avait mangé leurs âmes. Chaque jour est comparable à l'enfer et la peur m'envahit. La peur de ne plus pouvoir vous serrer fort dans mes bras.
Je me remémore les jours de la semaine où on labourait et cultivait les champs, ces dimanches où nous nous réunissions à la messe et où nous chantions ces chants negro-spiritual. Les soirs où nous allions à la salle des fêtes pour danser sur du jazz.
Il y a bien quelque chose que j'ai appris lors de cette guerre : c'est que la guerre n'est pas une machine à créer des héros, mais une fabrique de morts. Je n'ai qu'un seul voeu : vous revenir en vie et vous embrasser fort contre moi.
Je vous aime, je vous aime.
Needham