Les Chutes de Victor Hugo avec la seconde 16
Année scolaire 2018-2019 – Lycée Cassini (Clermont-de-l'Oise)
Niveau seconde - La poésie du XIXe au XX e siècle : du romantisme au surréalisme
Séquence 1 : Victor Hugo, de la révolution cosmique à la révolution politique
Séance 3 : Victor Hugo, « Les Chutes » (La Légende des siècles, 1859)
Objectifs :
-
s'initier à la rédaction d'un commentaire de texte (partie de développement et conclusion)
-
savoir développer une analyse stylistique
-
identifier le registre épique
-
reconnaître le paysage romantique
-
comprendre la signification allégorique du fleuve
Correction établie à partir des copies d' Ornella, d' Antoine, de Tom, de Maxime B. et de Thomas
Victor Hugo est un des plus grands écrivains français de tous les temps. Né en 1802 à Besançon, il a été à la fois romancier, poète, dramaturge et dessinateur. Chef de file du romantisme français, il est aussi une personnalité politique engagée. Le poème « Les Chutes », également intitulé « Fleuves et poètes », est issu de son œuvre épique La Légende des siècles, une suite de petites épopées parues en 1859. Ce poème évoque le combat épique entre un fleuve et un gouffre. Comment le combat entre le fleuve et le gouffre est-il mis en scène par l'auteur ? Le texte se déploie en deux mouvements : tout d'abord la description du combat épique entre le fleuve et le gouffre, puis le sens allégorique de ce combat.
Dans son poème intitulé « Les Chutes », Victor Hugo décrit un combat entre deux éléments : un fleuve et un gouffre. Ce combat paraît violent puisque dès le premier vers, l'auteur insiste sur cette violence grâce à une antithèse : « Le grand Niagara s'écoule, le Rhin tombe. » Il évoque aussi des tempêtes au vers 6, en insistant toujours sur l'idée de la violence, mais ajoute une atmosphère de douleur et de peur en insérant une hyperbole et une personnification du fleuve : « Lutte avec tous ses cris et toutes ses tempêtes ». Ce poème est à la fois la description d'un combat et un récit épique car ce combat est une lutte entre un héros qui est le fleuve, et un monstre qui est le gouffre. Ce poème est donc aussi une représentation du Bien contre le Mal, comme le prouvent les antithèses du vers 9 : « blanc et noir » et des vers 39-40 : « A de hideux, d'hostile et de torrentiel / Un éblouissement auguste, l'arc-en-ciel. » Le combat est acharné. C'est ce que l'auteur suggère dans le vers suivant : « bave et bouillonne ». L'allitération en [b] nous fait comprendre que c'est un combat à mort.
Mais le combat prend une tournure dramatique à cause du côté obscur et sombre incarné par le gouffre qui détruit tout sur son passage. Le gouffre est décrit comme étant monstrueux au vers 2 : « l'abîme monstrueux », et est comparé à la mort, grâce à une métaphore : « tâche d'être une tombe ». Le gouffre révèle son agressivité et sa férocité face au fleuve au vers 18 avec une personnification : « rugit », qui met en avant sa dimension effrayante. L'auteur explique que le gouffre est en colère et dangereux au vers 19 à l'aide d'un parallélisme : « Il est l'envie, il est la rage, il est la nuit. » Ce parallélisme insiste sur l'idée que le gouffre est puissant et dévastateur, mais il est aussi violent, sauvage et dangereux. Le gouffre détruit et dévore tout sur son passage, il est surpuissant et invincible. Les vers 3 et 20 soulignent ce point de vue destructeur : « j'engloutirai », « Et la destruction, voilà ce qu'il construit ». Sa surpuissance est mise en évidence au vers 22 à travers la périphrase « énorme cuve ». Et cette invincibilité est soulignée au vers 5 grâce à la périphrase « dans l'antre inattendue d'une hydre aux mille têtes ». Cette surpuissance et cette invincibilité conduisent à une forme de contrôle absolu et donc à un pouvoir illimité. Il met l'accent sur le fait que le gouffre est redoutable. Le gouffre est lâche et cruel.
Quant au fleuve, il est décrit comme étant puissant, fort et majestueux au vers 4 avec une comparaison méliorative : « pareil au lion », et au vers 27 avec une gradation et une énumération de noms laudatifs : « sa force, sa splendeur, sa beauté, sa bonté ». Grâce à cette puissance, il reste tenace, résistant et courageux face au gouffre, comme l'indique la comparaison du vers 9 : « comme le marbre », mais il ne peut vaincre le gouffre. Le vers 8 montre qu'il est semblable à un animal, à une proie qui se fait attraper par un prédateur grâce à la personnification : « Il se cabre, il résiste ». Le fleuve souffre et est fatigué de se débattre dans le vers 13 grâce à une énumération et à une gradation : « tordu, brisé, vaincu », et dans le vers 37 : « souffre », « chaos ». Le fleuve est faible et désespéré par rapport au gouffre : on peut le voir par exemple au vers 30 (« en voix désespérées ») et au vers 31 à travers une énumération : « tout est chute, naufrage, engloutissement, nuit ». Le vers 36 montre qu'il est fatigué : « une longue rumeur d'évanouissement ». Il se dirige vers un destin tragique et vers la défaite puisqu'il va obligatoirement tomber dans le gouffre et y mourir. C'est pourquoi le fleuve est comparé à « l'éternel Ixion » (vers 12), ce personnage de la mythologie grecque qui avait violé la réplique de la femme de Zeus et qui pour ce forfait reçut comme châtiment éternel celui d'être envoyé dans le gouffre le plus obscur des Enfers, le Tartare, et de tourner éternellement sur une roue enflammée dont les rayons étaient des serpents. Le fleuve apparaît ainsi comme un être maudit. Hugo réinvestit ici la figure mythologique de Prométhée et la figure biblique de Job. Le fleuve est puissant et maudit comme Prométhée, et il subit mille tourments comme Job, malgré son innocence. Job était d'une grande probité. Il fut testé par Dieu pour voir s'il serait toujours aussi intègre dans les malheurs. Dieu lui fait alors subir une série d'épreuves les unes plus horribles que les autres, sans que Job ne puisse rien faire, et sans aucune raison. La référence à Ixion et l'expression « Dieu même étant complice » permettent de renforcer l'aspect de faiblesse et d'impuissance du fleuve voué à la mort. Victor Hugo avait pour habitude de faire référence à Job et à Prométhée dans ses textes (Gwyinplaine dans L'Homme qui rit, Jean Valjean dans Les Misérables et Gilliatt dans Les Travailleurs de la mer sont trois héros romanesques de Hugo qui combinent les caractéristiques de Prométhée et de Job, à la fois puissants, résistants, tenaces, et soumis à de nombreuses épreuves). Dans le vers « Roule ainsi que l'éternel Ixion », la comparaison et le parallélisme renforcent l'idée de la souffrance du fleuve et de son indéniable défaite. « Dieu même étant complice » (vers 13), le fleuve ne peut échapper à son destin. Mais les vers 24 (« le fécondateur ») et 42 (« ô gloire ! ») démontrent qu'il est tout de même victorieux après le combat qu'il a mené, car de son sacrifice naît un arc-en-ciel.
Au terme de cette analyse, ce poème n'est pas seulement le récit épique d'un combat violent entre un gouffre et un fleuve. Il s'agit avant tout d'une allégorie de la création poétique. L'arc-en-ciel, la « gloire » du combat, représente le poème et le combat entre le gouffre et le fleuve représente le combat entre le poète et les mots, les expressions, le verbe, qu'il doit utiliser et travailler pour créer un poème. Cette épopée et ce combat éprouvant que mène le fleuve peut être vu comme le difficile parcours de la création poétique. Le poète est ce fleuve qui malgré son amour de la nature a parfois du mal à exprimer ses sentiments dans ses textes. Le poète, comme le fleuve, est un « fécondateur », mais il reste parfois coincé dans la « nuit », comme « frappé de malédiction ». Avec son deuxième titre, « Fleuves et poètes », Victor Hugo veut nous faire comprendre que les poètes sont comme des fleuves, à la recherche d'inspiration, parfois entraînés vers un gouffre et vers le néant. Le processus de création poétique doit passer par une certaine souffrance pour faire jaillir un chef-d'oeuvre, comme la lumière a besoin de la nuit. Ce texte raconte donc le combat du poète contre lui-même lors du processus de création poétique, face au doute et au manque d'inspiration.Le gouffre représente aussi les malheurs du poète à partir desquels il puise son inspiration, il nourrit son imagination. Victor Hugo a lui-même écrit plusieurs poèmes à partir de faits malheureux : « Souvenir de la nuit du 4 » (Les Châtiments, 1852), ou bien « Melancholia » (Les Contemplations, 1856). Dans ces poèmes, les idées germent à partir de situations négatives et tragiques (un coup d'Etat, l'exploitation des enfants à l'usine), sources de souffrance, mais le poète a su en tirer des poèmes magnifiques. Enfin, ce poème met en scène un fleuve comme dans la chanson « En remontant le fleuve » (2014) d'Hubert Félix Thiefaine, dans laquelle le fleuve est aussi une allégorie, même si ce n'est pas dans un registre identique. Dans les deux cas, le paysage décrit est en réalité un paysage intérieur, celui de l'âme de l'artiste.