Jorge Semprun L'écriture ou la vie : un impossible retour à la vie ?
L’ÉCRITURE OU LA VIE
JORGE SEMPRUN
Lecture analytique 18
pp. 202-203 (de « Je m’étais réveillé en sursaut » jusqu’à « reprendre mon souffle »)
Plusieurs plans proposés par les élèves :
I. La sérénité et l’apaisement du personnage
II. Une vie cauchemardesque
III. Le rêve, lien entre la réalité et l’illusion
I. Un rêve destructeur
II. Une réalité trompeuse
I. Voyage onirique à Buchenwald
II. Perte de la distinction entre l’illusion et la réalité
- Voyage onirique à Buchenwald
- A . La description du camp nazi
- Basculement dans l’enfer concentrationnaire grâce à l’ouïe : « retentit », « une voix sourde, irritée », « résonnait », « une voix allemande »
- Univers concentrationnaire qui se caractérise par le bruit et les cris
- Le narrateur est coincé dans un cyclone dont il ne peut pas sortir : « agité, opaque, tourbillonnant »
- Cette énumération donne l’impression que le camp est une usine où tout va très vite : usine qui produit la mort
- La répétition comme un refrain morbide de « crématoire » rappelle que c’est une industrie de la mort
- « opaque » prouve que le narrateur ne voit rien au-delà du camp : pas d’horizon
- La sensation visuelle qui est également mobilisée : « les flammes du crématoire »
- C’est un paysage infernal : noir et rouge
- Ce rêve est une descente aux enfers
- Deux éléments dominent la description visuelle : le crématoire et le block où sont entassés les déportés avec les mourants : « le sommeil agité […] râle affaibli des mourants »
B. La sérénité paradoxale
- Antithèse entre l’environnement cauchemardesque et la sérénité du narrateur
- « je n’éprouvais aucune angoisse » : l’auteur utilise la négation « ne…aucune » qui insiste sur l’absence de peur
- L’imparfait de l’indicatif permet d’insister sur la stabilité du narrateur au milieu du chaos
- La locution adverbiale « bien au contraire » insiste sur cette opposition entre sa sérénité et le chaos ambiant
- Il ressent une sérénité qui confère au narrateur une inquiétante étrangeté
- « une sorte de sérénité », « une sorte de paix » : la répétition de « une sorte » prouve qu’il cherche à mettre des mots sur ce qu’il ressent
- Les termes de « plénitude » et de « cohérence vitale » accentuent le sentiment d’inquiétante étrangeté
- Son corps a quitté le camp mais pas son âme
- Le camp fait partie de lui
- Il a intériorisé le système concentrationnaire (il était à l’intérieur du camp et maintenant c'est le camp qui est à l’intérieur de lui)
Johann Heinrich Füssli ou Henry Fuseli (7 février 1741 à Zurich – 16 avril 1825 (à 84 ans) à Putney Hill) est un peintre et écrivain d'art britannique d'origine suisse. Le Cauchemar de la Goethe-Haus, datant de 1790-1791.
- Perte de la distinction entre l’illusion et la réalité
A. Le réinvestissement baroque de l’illusion onirique
- Le narrateur francophone d’origine espagnole retrouve le motif baroque de l’illusion onirique mis en scène par Calderon dans La vie est un songe
- « dans le rêve de la réalité », « la réalité du rêve » : le chiasme insiste sur cette confusion entre le rêve et la réalité
- « tout était un rêve », « toute cette vie n’était qu’un rêve, n’était qu’une illusion »
- Le corps féminin de son amante lui donne l’impression de vivre un rêve
- Description féérique, merveilleuse, qui insiste sur la grâce du corps féminin
- Un impossible retour à la vie qui rend impossible toute tentative de communiquer sa souffrance
- Il est perdu : « j’étais égaré », « parages confus »
- Il ne sait plus distinguer le vrai du faux
- La perte de repères s’accompagne de symptômes physiques liés à l’angoisse : « mon cœur battait follement »,
- Il ne sait plus ce qu’il fait : « j’avais l’impression d’avoir crié »
- Il est terrorisé : « une peur abominable m’étreignait »
- Champ lexical de l’effroi
- L’intensité de la peur est soulignée grâce à l’hyperbole « abominable »
- La peur est personnifiée : on dirait un monstre qui étouffe le narrateur
- Ce sont ses sentiments qui le contrôlent
- Il subit tout ce qui vient vers lui, tout ce qu’il ressent d’où un sentiment d’illusion mêlé d’angoisse
- Il a l’impression d’être aliéné : il n’est plus lui-même, il ne sait plus s’il est dans le rêve ou la réalité
- Il se sent étranger aux autres, au monde et à lui-même
- D’où l’antithèse entre le champ lexical de la peur et l’adverbe « paisiblement » qui caractérise son amante
- Opposition entre l’angoisse du narrateur et la sérénité de son amante
- Opposition entre l’enfer concentrationnaire et la beauté féérique de son amante
- La sérénité ne fait que renforcer l’angoisse du narrateur
- Il a donc l’impression d’être dissident, seul, bloqué, entre le monde de son amante et l’enfer concentrationnaire que seul lui connaît
Conclusion
Je réponds à la problématique :
Plusieurs problématiques proposées par les élèves pour l’introduction : comment l’auteur exprime-t-il son sentiment d’égarement entre le rêve et la réalité ?
Comment l’auteur parvient-il à montrer l’incommunicabilité de l’expérience concentrationnaire ?
Comment l’auteur montre-t-il qu’il ne parvient pas à s’échapper de l’enfer concentrationnaire ?
-
L’auteur bâtit son texte sur le motif baroque de l’inversion entre le rêve et la réalité
-
D’où une opposition radicale entre le rêve et la réalité, entre les survivants et ceux qui n’ont pas connu la déportation