Les Phares de Charles Baudelaire : interprétation littéraire collective

Publié le par Professeur L

Les Phares de Charles Baudelaire : interprétation littéraire collective

Objectif :

  • Comprendre la place et la fonction des modèles du passé dans la création moderne et contemporaine
  • Comprendre l’unité profonde des œuvres d’art d’hier et d’aujourd’hui
  • Comprendre la fonction de l’art : l’art nous humanise

 

  1. Chaque peintre est un « phare » : Baudelaire rend hommage aux peintres qui l’ont inspiré grâce à un musée imaginaire qui recrée l’atmosphère de chaque artiste.

 

Rubens (copie de Léa)

            Rubens est un phare qui fait signe vers l'idéal selon Baudelaire, par opposition au spleen. Dans ce premier quatrain, Baudelaire fait dès le début l’usage d’une métonymie pour rapprocher le peintre Rubens d’un « fleuve d’oubli » et d’un « jardin de la paresse » créant chez le lecteur une représentation mentale d’un paysage calme, doux et agréable. Ce quatrain adopte un rythme très lent grâce à de nombreuses allitérations, nous pouvons en repérer une en « -s », avec « Rubens » (vers 1), « paresse » (vers 1), « s’agite sans cesse » (vers 3), « ciel » (vers 4) ; une en « -f », avec « fleuve » (vers 1), « fraîche » (vers 2), « afflue » (vers 3) ; et une en « -l » avec « fleuve d’oubli » (vers 1), « oreiller » (vers 2), celles-ci pouvant évoquer une certaine douceur, produite par des sons doux, comme l’écoulement du « fleuve d’oubli » (vers 1), le souffle de l’air, évoqué au vers quatre, ou le clapotis des vagues dans la mer, évoquée également au vers quatre. Mais, également une allitération en « -r », avec « Rubens », « jardin » et « paresse » au vers un, « Oreiller de chair fraîche » (vers 2), ainsi qu’une dernière en « -ch » dans « chair fraîche » (vers 2) qui cette fois-ci donnent une image plus sensuelle. Ici Baudelaire ne crée pas seulement une représentation visuelle d’un tableau, mais il parvient aussi à lui créer une ambiance auditive transformant un tableau fictif fixe en une scène animée de sons et de mouvements. Ce dernier point renforcer par l’utilisation des verbes de mouvement : « afflue » et « s’agite » (vers 3). Ainsi le poète fait une célébration à l’égard de la vie, clamant qu’elle est partout et participe à ce mouvement « où la vie afflue et s’agite sans cesse » (vers 3) ici « la vie » est représentée comme une chose vive. De plus, Baudelaire voue aussi un hommage à la femme, évoquée avec « Oreiller de chair fraîche » (vers 2), en l'évoquant au côté d'un vocabulaire mélioratif : « fraîche » (vers 2) et « paresse » (vers 1) ; ce dernier est rapproché de l'image de la femme grâce à l'usage du mot « Oreiller » (vers 2) pour désigner la femme ; ainsi que grâce à l'évocation de l'amour avec « aimer » (vers 2).

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Léonard de Vinci (copies de Maurine, Emmy-Lee, Charlotte, Lucas, Mickael, Léa et Lyna)

            Le deuxième quatrain est consacré à Léonard de Vinci. Il commence par une métaphore entre l’artiste et un miroir, comme si ses œuvres étaient le reflet de sa personnalité. Il est composé de quatre alexandrins et ses rimes sont croisées dans le but de créer deux ambiances, une plutôt obscure avec le vers 1 et 3, et une autre plutôt douce avec les vers 2 et 4. Dans ce quatrain Baudelaire expose l’univers personnel et le style de Vinci. On remarque ainsi, grâce aux champs lexicaux, qu’il y a essentiellement deux aspects qui ressortent dans ses œuvres : la douceur, avec les mots « charmants » et « doux » ; et le mystère avec les mots « profond », « sombre », « mystère » et « ombre ». Les termes « mystère » et « ombre » font partie du champ lexical de la dissimulation. Le premier vers repose sur la métonymie qui compare le peintre à un miroir profond et sombre. Cela montre son état d’esprit qui est partagé entre la lumière et l’obscurité.

            On observe que dans ce quatrain, l’auteur s’appuie sur deux tableaux : la Joconde et la Vierge, l’Enfant Jésus et la Sainte-Anne. Ces deux œuvres possèdent des caractéristiques communes, comme par exemple le paysage profond et au loin, les glaciers et les pins, qui symbolisent le côté mystérieux. Les « glaciers » qui sont des éléments minéraux et les « pins » qui sont des éléments terrestres montrent une certaine maîtrise du peintre à utiliser deux éléments différents dans un seul et même tableau. Il met en relation la froideur des « glaciers » et la chaleur des « pins ». Dans ces tableaux, les couleurs sont souvent sombres. Cependant, il n’y a pas de réel contraste violent, grâce à une technique célèbre de Léonard de Vinci : le sfumato qui montre une certaine douceur, grâce aux ombres et aux lumières qui se fondent ensemble comme de la fumée. Le « doux souris » renvoie aux sourires des anges mais également à celui de la Joconde. Par conséquent, encore une fois, on aperçoit que la douceur et le mystère s’opposent continuellement dans ses œuvres. Pour finir, dans ce quatrain, le bien et le mal, donc ici la douceur et l’obscurité, au lieu de s’opposer frontalement, se mélangent ou s’associent grâce à l’harmonie des couleurs et à la lumière douce. Ainsi dans le premier vers le son [on] traduit ce côté mystérieux ave l’allitération en [r]. Dans le deuxième vers, le [an] de « ange » et « charmant », ainsi que le [ou] de « doux » et « souris » traduisent cette douceur et cette fluidité. Et on voit la dimension divine avec « des anges » qu’il décrit avec des adjectifs qualificatifs mélioratifs (« charmants », « doux souris »), ce qui rejoint le quatrain consacré à Rubens avec « le ciel », et celui sur Rembrandt avec « le crucifix ».

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Rembrandt (copie d’Amandine, Zoé, Manon, Kristen et Yanis)

            Dans ce quatrain, la tonalité fantastique domine. Un combat entre le spleen et l’idéal, entre la mort et le divin, se joue. La troisième strophe du poème « Les Phares », du recueil Les Fleurs du Mal de Baudelaire évoque Rembrandt, peintre du XVIIème siècle. Le poète fonde ce quatrain, rythmé par des rimes croisées, sur une métonymie qui lui permet de représenter l’artiste et sa vision du monde à travers un tableau imaginaire. Celui-ci débute en employant une personnification ainsi qu’une hyperbole : « triste hôpital rempli de murmures » (v.11) afin de mettre en relief une atmosphère pesante voire austère. Le début du quatrain commence par une personnification : « triste hôpital ». On attribue un caractère humain, un sentiment, à un lieu, pour donner une impression de vide. C’est aussi une métonymie qui sert à définir Rembrandt. Le caractère angoissant de l’hôpital est mis en évidence grâce à l’expression « rempli de murmures ». L’antithèse entre « murmures » et l’adverbe « brusquement » permet d’intensifier la dualité atmosphérique que l’on remarque à de nombreuses reprises dans son poème : la douceur de bruits légers et le dynamisme violent d’actions précipitées. Ce sont les murmures qui habitent l’hôpital, ce qui donne l’impression que le lieu est hanté. L’atmosphère est sinistre. Par ailleurs, l’auteur utilise un champ lexical de la tristesse qui est associé à celui de la religion : « crucifix », « prière ». Ici, la religion est omniprésente et apporte la lumière au tableau qui est très sombre : « grand crucifix décoré seulement ». Cela donne une ambiance austère. L’adverbe « seulement » insiste sur le fait qu’il n’y a que le crucifix comme élément de décoration dans l’hôpital. Dans l’obscurité de l’hôpital, le crucifix est le seul élément qui apporte de la lumière au tableau. Cette lumière fait penser à l’espoir.

            Il y a donc un jeu entre le clair et l’obscur. Pour Rembrandt, l’homme est condamné et destiné à disparaître à travers la maladie et la mort. C’est pourquoi il essaie de se rattacher à la prière pour espérer une issue de secours. La personnification « la prière en pleurs » insiste sur l’espoir et la souffrance entremêlés. Il y a également une antithèse entre « prière », qui fait signe vers le bien, et « ordures », qui correspond au mal. Il y a donc une opposition entre le bien et le mal, le haut et le bas, le pur et l’impur, entre le désespoir et l’espoir, entre le spleen et l’idéal. En effet, les « ordures » sont les péchés. On peut donc penser que les « murmures » qui traversent l’hôpital sont les prières pour se délivrer du péché. On comprend grâce au verbe « s’exhale » que la « prière en pleurs » arrive tout de même à s’élever au-dessus des péchés. Elle s’impose donc et donne de l’espoir et du réconfort à ceux qui prient, car on peut dire qu’ils cherchent la délivrance et le pardon grâce à la prière.

            Le dernier vers fait penser à la gravure des Trois Croix traversée par le « rayon d’hiver ». Cette gravure illustre le 23e chapitre de l’Evangile selon saint Luc. Le rayon qui traverse brusquement le tableau est similaire au rayon d’hivers qui travers l’hôpital. Cela permet de donner une image à la fois glaciale et immobile au tableau.

            Pour finir, on remarque la présence de rimes croisées qui donnent un rythme peu dynamique et angoissant. On imagine aussi qu’il n’y a pas de son, ni de vie dans cet hôpital. Il n’y a que les « murmures ». Les allitérations en « r » soulignent la souffrance. Nous pouvons également ajouter la présence d’une allitération en « r » qui présente une certaine oppression et une certaine douleur : « Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures » (v.11). Ceci nous conduit à penser que ce quatrain dévoile un registre pathétique avec notamment les amplifications liées à un inconfort, à une tristesse et à la souffrance représentés dans cette strophe. On peut aussi penser à une leçon d’anatomie avec l’hôpital : ici, le poète fait l’anatomie de l’âme du peintre. Ce quatrain représente donc tout à la fois la misère pitoyable et la charité chrétienne. Baudelaire présente un artiste d’inspiration baroque grâce à un tableau imagé, dans lequel nous trouvons une profondeur associée à de la souffrance tout en mettant en avant des contradictions telles que le clair-obscur. Le poète possède donc une vision du monde assez complexe, en accord avec l’illustration associée à Rembrandt.

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Michel-Ange (copie de Lilou  et Maëva)

            Dans ce quatrain, Baudelaire célèbre la force des personnages de Michel-Ange. Ce quatrain est composé de quatre alexandrins, donnant ainsi un rythme très lent. Dans ce quatrain, on peut apercevoir des vers conclus par des rimes croisées. On a alors une impression de marche très lente et solennelle, car les rimes se complètent.

            Le quatrain se présente tout d’abord comme une métonymie de l’artiste Michel-Ange avec le groupe nominal : « lieu vague », le référant à une grande ouverture d’esprit, à un souvenir ou à un rêve. L’artiste fait signe vers l’Idéal. Dans ce même vers, le verbe conjugué au présent « voit » nous donne une impression de tableau qui se forme, qui se dessine en même temps que le lecteur découvre les mots du poète. Le groupe nominal « des Hercules » met en lumière la présence d’hommes au physique athlétique, à un physique rappelant la force d’un guerrier grec. Cette métaphore permet alors de faire la louange de ces hommes, puisque l’artiste les valorise et les élève au même stade qu’Héraclès. L’allitération en « l » provoque un son doux à l’oreille et apaisant. De ce fait, dès le premier vers, le poète obtient l’attention du lecteur, qui est charmé par les images et les sons proposés.

            Dans le deuxième vers, ces hommes au physique athlétique sont assimilés au Christ avec l’expression suivante : « se mêler à des Christs ». Les personnages mis en scène, qu’il s’agisse d’Hercules ou de Christs, sont toujours des martyrs. L’artiste leur donne ainsi un pouvoir divin, les rendant immensément puissants. L’expression « se lever tout droits » met en avant la lutte de ces hommes contre leur fardeau éternel qu’est la mort en se levant de leurs tombes. Le pronom indéfini « tout » accentue l’ardeur des mouvements de ces corps pourtant morts. On assiste alors à leur renaissance. Dans ce vers, l’allitération en « s » donne cette fois-ci un son désagréable à l’oreille, pouvant rappeler le vent. Ainsi, une profonde obscurité funeste se mêle à la renaissance de ces morts, en opposition avec une antithèse qui accentue la lumière de la divinité.

Puis, dans le vers 3, le registre fantastique est mis en avant. En effet, le groupe nominal « des fantômes puissants » marque la force incroyable, voire surhumaine, des morts, grâce à l’adjectif qualificatif « puissants ». Ces hommes sont impressionnants, intimidants. Le nom commun « crépuscules » fait partie du champ lexical des ténèbres. En effet, cela prouve et accentue la profonde noirceur de la nuit suivant le crépuscule, amenant les morts à se réveiller. Le registre fantastique met ici en relief la position de ces hommes, confrontés entre la vie et la mort. Ceux-ci sont perdus et font penser à des soldats privés de leur liberté de vivre.

            Enfin, dans le vers 4, une assonance en « an » se présentant de manière douce à l’oreille permet de rythmer et d’adoucir les vers, comme si les maux s’apaisaient petit à petit. Cependant, l’allitération en « r » contraste avec l’assonance précédente. Ainsi, celle-ci rappelle le désespoir des hommes au corps herculéen en étant perdus par leur fardeau. Cette allitération marque un rugissement de ces morts pour mettre en lumière leur profonde colère. Le nom commun « suaire » faisant partie du champ lexical de la mort met en avant la condamnation mortelle des âmes damnées. Marqué par le verbe brutal « déchirent » suivi par l’expression « étirant leurs doigts », le dernier vers soulève l’idée du registre épique puisque cette expression démontre la rébellion de l’armée des morts afin de lutter contre leur fardeau éternel qu’est la mort, pour apaiser leurs maux et retrouver la voie de l’espoir, leur phare.

 

            Pour conclure, ce quatrain insiste sur l’idée d’un rôle fondamental de l’artiste, ici Michel-Ange. Le poète se sert de Michel-Ange pour dealer ses mots, sources de réconfort et d’apaisement des cœurs.

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Puget (copie d’Angélique et de Lucile)

            Baudelaire peint par la poésie des tableaux imaginaires dans lesquels il met en lien paysages, couleurs et perceptions, et donne de ce fait le caractère de l’artiste. Le quatrain consacré à Puget est construit sur des rimes croisées. Ce croisement met en évidence l’opposition entre le bien et le mal. Cette opposition prend la forme d’un combat. D’où le champ lexical de la violence : « gonflé », « colères », « boxeur ». Mais aussi celui de la force : « faune », « forçats ». Ces champs lexicaux permettent d’insister sur deux idées, deux manières d’être au monde : la provocation et la démesure. Cette force est d’autant plus mise en relief par le poète à travers l’antithèse entre « beauté » et « goujats », entre « grand cœur gonflé d’orgueil » et « homme débile et jaune ». On retrouve l’antithèse entre la force et la fragilité. L’homme dépasse sa fragilité grâce à la force de l’art. Le rythme violent et le jeu sur les sons (assonance en « a », allitération en « c » et en « r ») renforcent cet univers de tensions entre la fragilité et la puissance. Les procédés utilisés par le poète insistent sur l’effort douloureux qui caractérise Puget. Cela traduit l’effort qu’il faut accomplir pour lutter contre le Spleen et s’élever vers l’Idéal. L’intimité entre le poète et l’artiste apparaît grâce au tutoiement : « Toi qui sus ramasser la beauté des goujats ». Le nom de « Puget » placé en fin de quatrain fait en quelque sorte renaître l’artiste de la poésie. Baudelaire retrouve dans Puget la beauté qui surgit du mal.

 

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Watteau (copie de Milan)

 

            Au sein de cette partie consacrée à Watteau, on relève le champ lexical de la réception, une chose très enfantine, légère : « carnaval », « papillons », « bal ». Baudelaire octroie à son texte un certain dynamisme, un effet de mouvement, par l’emploi des termes « tournoyant », « errent », ou encore par l’association de « flamboyant » et « tournoyant ». A ce mouvement se mêle cette lumière tamisée, cette constante évocation de la flamme, d’une source lumineuse. Cette accumulation d’effets hébète le lecteur, l’hypnotise en un sens. Le cadre dépeint par Baudelaire est enchanteur, tout en légèreté et en badinage, où des « personnages illustres » représentés par Watteau se multiplient, s’agitent (comparaison avec les papillons), s’épanouissent. Il s’agit d’une valse ne souffrant d’aucune interruption. Le jeu sur les sons, avec notamment la répétition du son « an » crée une harmonie sonore, ce qui renforce l’idée d’un monde idéal, par opposition à l’univers de Goya ou à celui de Delacroix marqués par le spleen. Le quatrain consacré à Watteau fait écho à celui consacré à Rubens.

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Goya (copies de Lucie, Lilou M, Lola, Anaëlle, Elisa, Félix et Clara)

 

            Dans ce quatrain, l’univers du peintre et graveur Goya y est illustré. En effet, un monde relevant du fantastique et de l’horreur est incarné à travers ces quelques vers. Le registre fantastique est caractérisé par un champ lexical du mystique et de l’horreur : « choses inconnues », « sabbats », « miroirs », « démons », « cauchemars ». Le terme de « cauchemars » d’ailleurs est une métonymie qui renvoie à Goya. Par la suite, l’adjectif « plein » met en avant l’abondance de l’horreur, comme si ce quatrain était inondé, engorgé de noirceur. Cette idée est renforcée par l’accumulation du « de » aux vers 32 et 33. La noirceur du quatrain se poursuit avec l’antithèse du « fœtus » qui représente la vie et du groupe verbal « faire cuire » qui illustre la mort. Ici, le poète cherche à faire un parallèle entre la vie et la mort, entre le « pur », « l’innocent » et la violence du monde et d’une société corrompue.

            De plus, la violence est mise en avant par le même groupe verbal qui souligne la cruauté de l’humain dans la société. En effet, le poète retranscrit une ambiance étouffante, asphyxiante, comme nous le prouve « au milieu ». Cet encerclement et l’évocation des « sabbats » relèvent de la thématique de la sorcellerie et du satanisme, ce qui rajoute une vision assez cauchemardesque de l’univers du graveur. Outre cela, le poète utilise l’antithèse pour évoquer les sorcières avec les « vieilles au miroir », mais aussi avec « rajustant bien leur bas », qui fait allusion à la prostitution et aux vieilles maquerelles. De plus, les « enfants » incarnent l’innocence, la pureté trouvées par un œil malsain accentué par le qualificatif « toutes nues », qui peut rappeler l’innocence de la naissance. Mais dans le contexte de Goya, il rappelle plutôt quelque chose de malsain, malveillant. Dans ses vers, le poète retranscrit la critique de Goya sur les « veilles » femmes qui recherchent leur beauté passée dans le « miroir » avec vanité et déni. En plus de cela, l’antithèse des « enfants toutes nues » renforce cette critique de cette vaniteuse recherche au travers des jeunes corps, soulignant une tonalité satirique. Enfin, pour renforcer et achever cette vision malsaine, le poète représente les hommes comme des « démons » qui acceptent les avances des jeunes prostituées comme le souligne « pour tenter les démons ».

            En somme, Goya illustre les laideurs de la vie par les assonances en « i », les allitérations en « s », ainsi qu’en « t » et « d » qui produisent des sonorités désagréables et percutantes.

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  1. Eugène Delacroix (copie d’Inès et Marylou)

 

                Charles Baudelaire est un poète français connu comme le précurseur de la modernité en poésie. Dans ce poème, il illustre à travers des strophes des artistes et en particulier des peintres, dont Eugène Delacroix. Il s’agit d’un peintre français considéré comme le principal représentant du romantisme. Il est également le peintre préféré de Baudelaire car celui-ci, retrouve ces idées à travers les œuvres de Delacroix. Cela n’est donc pas un hasard si l’évocation des peintres dans ce poème se termine par Eugène Delacroix. Ainsi, nous nous demanderons comment l’auteur arrive à dresser le portrait imaginaire de Delacroix.

            Tout d’abord, dans ce quatrain, Baudelaire désigne Delacroix comme « un lac de sang » ; une métaphore qui fait référence à la couleur rouge. Puis, à travers cet exemple « un bois de sapin toujours vert », Baudelaire met en avant le vert qui est une couleur habituellement utilisée par Delacroix dans ses œuvres. Par ailleurs, il insiste bien sur cette couleur souvent utilisée dans les œuvres de Delacroix avec l’adverbe « toujours ». De plus, ce quatrain possède une tonalité fantastique avec l’emploi de mots tels que : « hanté », « ange » ou encore « étrange ». Baudelaire s’appuie également sur un rythme discordant pour accentuer cette atmosphère sombre et ainsi, susciter un sentiment d’angoisse et un effet de suspens. D’un autre côté, Baudelaire établit une description sonore, notamment dans une le premier vers : « lac de sang hanté des mauvais anges » avec une allitération en [s] pour accentuer la tonalité fantastique et avec une assonance en [en] afin de nous faire ressentir une atmosphère fantomatique, voire lugubre. Ainsi, Baudelaire nous dévoile donc l’état d’esprit de Delacroix que l’on peut qualifier de tourmenté avec notamment l’oxymore : « mauvais anges » qui nous dévoile une un rapprochement entre la divinité et les pêchés des hommes ; de même que la métaphore : « ombragé par un bois » qui peut nous faire penser à un labyrinthe et donc que Delacroix mène une sorte de quête. Par ailleurs, le dernier vers est une nouvelle référence sonore avec notamment « Weber » qui fait référence à la musique romantique. Mais également, à travers cette comparaison : « comme un soupir étouffé de Weber », Baudelaire conclut tous les autres quatrains (qui font référence aux peintres) dans une légère mélodie à peine audible.

            Par conséquent, l’auteur dresse le portrait imaginaire de Delacroix à travers un quatrain combinant une image globale de celui-ci. Dans cette strophe Baudelaire nous décrit un lieu imaginaire, avec l’utilisation du registre fantastique, représentant un lieu assez sombre et ténébreux mais également quelque chose d’intime où l’on a l’impression d’entrer dans l’univers de Delacroix. Ainsi, on peut penser que celui-ci possède une vision obscure, sombre, voire apocalyptique du monde Il y a également une sonorité qui renforce l’univers du peintre. En effet, à travers ce portrait de Delacroix, Baudelaire nous rappelle l’univers du Spleen. Ce quatrain évoque effectivement la mélancolie sans cause apparente. De plus, la référence aux couleurs utilisées par Delacroix peut nous faire penser que ce quatrain est plus particulièrement un hommage à ses œuvres. Dès lors, Baudelaire à travers un climat violent et fantastique n’établit pas qu’une description physique mais également une description sonore à travers des assonances en rapport avec les couleurs (en particulier le rouge) qui nous évoque l’impétuosité, la violence mais également la guerre. De plus, avec le dernier vers Baudelaire nous représente les tableaux de Delacroix comme une musique qui nous emporte. Enfin, dans ce poème, Delacroix s’oppose à Léonard De Vinci. En effet, Baudelaire évoque Leonard De Vinci, dans un quatrain où il le décrit comme une atmosphère mystérieuse mais pas inquiétante à travers un « ange charmant » qui représente la paix, la lumière. En revanche, Delacroix est ici qualifié de « mauvais ange » puis il est représenté comme une âme tourmentée, sombre et ténébreuse à travers une atmosphère qui est peu rassurante.

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  1. Une méditation sur la fonction de l’artiste

 

            Ce poème est une méditation sur la fonction de l’artiste. Quelles que soient la période, l’artiste, et le courant artistique ou intellectuel auquel il appartient, l’œuvre d’art pour Baudelaire fait signe vers un au-delà qui élève l’être humain.

            Tout d’abord, Baudelaire nous apprend que l’œuvre d’art naît dans la douleur, comme le prouvent les nombreuses modulations ou énumérations du cri dans les différentes strophes.

            Mais surtout, l’artiste produit une œuvre d’art parce qu’il est en quête de sens. Nous vivons dans un monde obscur. Nous ne savons pas pourquoi nous existons. La vie est une énigme. L’existence est un mystère. Nous ne savons pas pourquoi nous naissons, nous souffrons, et nous mourons. Pour représenter ce mystère de l’existence, Baudelaire utilise dans ce poème la métaphore du « labyrinthe », et du « grand bois ».

            Ainsi, par-delà leur diversité, il y a une unité profonde qui relie toutes les œuvres d’art, ou dans laquelle toutes les œuvres d’art se retrouve : c’est la raison pour laquelle Baudelaire emploie le mot au singulier « un écho », ainsi que le parallélisme anaphorique et les antithèses entre « mille «  et « un ».

            Plus exactement, pour Baudelaire, les œuvres d’art ont une fonction religieuse. Le mot « religion » vient du latin « religare » qui signifie « relier ». Or lorsque les individus font face à une œuvre d’art, ils se rassemblent : dans les musées, dans les salles de concert, dans les salles de cinéma, au théâtre, à l’opéra. L’œuvre d’art a le pouvoir de rassembler les hommes. Par ailleurs, l’œuvre d’art suscite toujours un dialogue, une conversation : les individus échangent leurs premières impressions sur l’œuvre, discutent de l’œuvre pour la comprendre, dialoguent entre eux parce qu’ils s’interrogent sur la signification de l’œuvre en question. Par conséquent, l’œuvre d’art a aussi le pouvoir de nous rassembler en suscitant le débat, la réflexion, le questionnement (c’est ce que nous faisons en cours tout le temps : nous dialoguons ensemble sur le sens de l’œuvre). Or le lien social, l’échange, le débat, la circulation de la parole sont autant de phénomènes qui prouvent notre humanité et qui contribuent à notre humanité. On comprend donc pourquoi on peut dire que l’œuvre d’art nous humanise, nous rend plus humain, nous élève vers notre humanité.

            C’est pour cela que Baudelaire utilise le lexique de la religion à la fin dans son poème, et qu’il s’adresse directement à Dieu : « Seigneur ». L’œuvre d’art n’est pas simplement un objet de divertissement, une source de plaisir. L’art nous procure du plaisir. Un bon roman, une belle pièce de théâtre, un film à grand spectacle, un concert, nous font oublier nos tracas du quotidien : Baudelaire le rappelle en comparant l’œuvre d’art à « un divin opium ».

            Mais l’art ne se réduit pas à une source de plaisir. Le divertissement n’est qu’un « paradis artificiel » pour Baudelaire, un plaisir qui peut être intense mais qui est éphémère, qui est précaire, qui ne dure pas. Plus profondément, en nous élevant vers notre humanité, en favorisant le lien social et l’esprit critique, l’artiste joue le rôle d’un « phare » pour l’humanité : « un phare allumé sur mille citadelles ». L’artiste permet de s’évader de la banalité du quotidien pour accéder à un monde spirituel. Il nous donne accès à ce monde spirituel en favorisant l’échange, la discussion, le lien social, l’esprit critique, la réflexion. Mais aussi et surtout, l’artiste nous donne accès à ce monde spirituel en nous dévoilant la beauté du monde. En ce sens, le peintre éduque notre regard et cette éducation du regard nous élève vers notre humanité.

            Ainsi, l’art est l’expression de la dignité humaine, mais aussi de ses limites : « le meilleur témoignage que nous puissions donner de notre dignité ». En cherchant à atteindre le divin, la beauté du monde, le mystère de l’existence, grâce à l’art, l’homme s’élève et prend conscience de sa valeur, mais aussi de ses limites, comme l’indique l’oxymore « ardent sanglot », et l’antithèse « vient mourir au bord de votre éternité. » En effet, s’élever vers l’humanité, s’humaniser, prendre conscience de sa valeur et du mystère de l’existence, c’est aussi prendre conscience que l’existence humaine est limitée dans l’espace et dans le temps. La condition humaine se caractérise par sa finitude : nous sommes tous condamnés à mourir. Et c’est parce que nous sommes limités dans l’espace et dans le temps, condamnés à mourir, que nous n’aurons jamais accès au secret de la vie, à la raison de l’existence. Nous ne saurons jamais pourquoi nous vivons. Mais c’est tout le mérite de l’œuvre d’art d’exprimer à la fois la capacité de l’être humain à s’interroger, à réfléchir, à s’extraire de l’animalité brute, en prenant conscience de la finitude.

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