Compagnie K de William March : le soldat inconnu.

Publié le par Professeur L

Compagnie K de William March : le soldat inconnu.

Ce texte complète le discours d’Hector dans La Guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux : c’est une confirmation du discours d’Hector ; on a les sensations du côté du soldat alors que le texte d’Hector est la vision d’un chef et d’un vivant. Mais les deux textes présentent une vision commune de la guerre et des oraisons funèbres. D’autre part, on retrouve comme chez Giraudoux l’opposition entre le prétendu bonheur de mourir au combat et le véritable bonheur de vivre. On a le point de vue interne d’un mort alors que chez Giraudoux les morts ne peuvent pas parler : la littérature a le pouvoir de faire parler les morts et de les ressusciter en quelque sorte. Ainsi, lire, c’est un « dialogue des morts », pour reprendre le titre d’un ouvrage célèbre de Lucien de Samosate (IIe siècle après Jésus-Christ).

Dans ce texte de William March, comme dans le discours aux morts d’Hector dans La Guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux, le narrateur juge les oraisons funèbres hypocrites. Il dénonce le déni des personnalités politiques : ce sont des démagogues. Le soldat critique une forme de naïveté et la duplicité du peuple exploitée par les démagogues : il démonte le mécanisme d’une forme de propagande qui utilise la mort des soldats pour manipuler la conscience des générations futures. Il dévoile aussi le fait que la propagande glorifie les soldats morts au combat. Or, comme le montre cet extrait, il y a plus de morts bêtes au combat que de morts héroïques. C’est pourquoi le soldat refuse l’éloge : il ne veut pas que sa mort soit utilisée par la propagande. Il préfère la mort à une oraison funèbre hypocrite et éhontée. La tonalité tragique domine. C’est une mort bête car il meurt à cause des barbelés qu’il a contribué à mettre en place.  En voulant tuer l’ennemi, il s’est tué lui-même. On comprend que la seule porte de sortie de la guerre, c’est la mort. On peut même parler d’ironie tragique car le soldat inconnu est devenu un symbole important utilisé par les discours politiques. En refusant de devenir un symbole, il en est devenu un, malgré lui. Le soldat inconnu représente tous les soldats morts au combat. Chez Giraudoux, les vivants sont rassemblés. Ici ce sont les morts, ainsi que les survivants et les mourants. Quelle que soit sa nationalité, tout le monde subit les mêmes maux, les mêmes conditions atroces de survie, la même dégradation de l’intégrité morale. On retrouve aussi le même dégoût envers les personnalités hypocrites qui prononcent les oraisons.

Dans les deux textes, le « piège » désigne la guerre : la guerre est un piège. Et l’oraison funèbre est un appât car elle transforme les morts en héros, c’est une mécanique de glorification qui fait rêver les enfants. L’auteur insiste sur la naïveté de ce fantasme. Le texte suinte d’affects, de pathos. On retrouve l’ironie tragique avec les barbelés : le soldat est pris au piège de ses propres barbelés.

Plus grave encore, la propagande mène à une forme de manichéisme qui utilise les vies personnelles au service de la politique. Or la scène décrite dans l’extrait dévoile le fait que l’Allemand n’est pas forcément un monstre. L’Allemand et l’Américain se retrouvent dans la reconnaissance de leur humanité par delà leurs différences. Ils ne parlent pas la même langue, mais ce sont tous deux des hommes. On a donc une inversion des rôles : normalement l’ennemi c’est l’Allemand, or ici l’ennemi ce sont les orateurs de son propre camp.  A travers cette scène tragique, un lien fraternel surgit entre l’Américain et l’Allemand. Ils sont tous les deux pris au piège de la guerre. L’Allemand aide l’Américain par pitié, par charité et par compassion : il lui apporte le réconfort, le console et le libère de sa souffrance. La fraternité est un devoir moral universel qui établit un lien entre les êtres par-delà leurs différences.

Compagnie K de William March : le soldat inconnu.
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