Qui suis-je ?
Séance 1 du lundi 02 février 2009 : qui suis-je ? (élèves de 3e 2)
Objectif : comprendre la distinction conceptuelle entre identité et appartenance
Et si mon identité se définissait dans mon rapport au monde et à la nature ?
A la question : « Qui suis-je ? », on peut répondre par exemple : je suis un organisme, un être humain de sexe masculin vivant sur la planète Terre. Je suis né le 24 avril
1994 et je m’appelle Quentin.
Pour autant, ai-je vraiment décliné ma véritable identité lorsque je donne ce type d’informations ? Ai-je vraiment dit qui j’étais en réalité ? Ces informations suffisent-elles à dire qui je suis ou ce que je suis profondément ? Il n’est pas certain en effet que ces informations suffisent à préciser ce qui fait de moi un être unique et différent des autres.
Car force est de constater que je ne suis pas le seul organisme sur Terre. J’appartiens au groupe des organismes. Mais cela ne suffit pas pour me définir. Je ne suis pas non plus le seul être humain. Cela ne suffit donc pas pour dire qui je suis réellement. De même, j’appartiens au sexe masculin, mais je ne suis pas le seul garçon sur la planète Terre. D’autres êtres humains sont de sexe masculin. Cela ne suffit pas encore pour me définir. De même, le fait que je sois né le 24 avril 1994 ne fait pas de moi un être à part et unique, car j’appartiens seulement au groupe des enfants qui sont nés le 24 avril 1994. Enfin, je m’appelle Quentin, mais d’autres garçons s’appellent Quentin. Encore une fois, cela ne suffit pas pour savoir qui je suis réellement et profondément.
Autrement dit, lorsque je donne ce type d’informations, que l’on peut trouver sur ma carte d’identité par exemple, je ne réponds pas à la question : « qui es-tu ? » Je ne sais toujours pas qui je suis, ce qui fait de moi un être unique. Qu’est-ce qui, par conséquent, fait de moi un être unique, exceptionnel ?
J’ai dit que j’étais un organisme du genre humain appartenant au sexe masculin. Restons dans le domaine de la biologie pour voir si cette science ne peut pas nous apporter une réponse à la question : « Qui suis-je ? » Ce qui fait de moi un être vivant absolument unique, ce sont mes particularités physiques et génétiques. Or, ce qui en moi possède toutes mes caractéristiques génétiques, c’est mon ADN. L’ADN est la molécule qui stocke toutes mes informations génétiques. C’est donc ce qui fait de moi un être unique. Qui suis-je ? Je suis mon ADN particulier et unique.
Mais suffit-il de donner mon ADN pour savoir exactement qui je suis ? Suffit-il que mon entourage connaisse mon ADN pour savoir exactement à qui ils ont affaire ? Diriez-vous de quelqu’un que vous le connaissez pour la seule et unique raison que vous connaissez son ADN ?
L’ADN suffit-il à me connaître ? Pour savoir qui je suis, ai-je seulement besoin de connaître mon ADN ?
Bien sûr que non. Pour connaître quelqu’un, j’ai besoin de connaître ses sentiments, son caractère, ses idées, ses pensées ou ses actes. Comment acquérir une connaissance de soi ? Comment savoir qui je suis en réalité ? Très souvent, certains êtres humains qui se posent ces questions se livrent au travail de l’écriture pour découvrir qui ils sont en réalité. Ils peuvent faire leur propre portrait, écrire leurs pensées, ou tout simplement raconter leur vie. C’est notamment ce que nous découvrons quand nous lisons des autobiographies. Lorsque je lis par exemple Les Confessions de Rousseau, Les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand, ou Les Essais de Montaigne, je découvre la vie de chacun de ses auteurs, son enfance, ses sentiments, ses pensées, ses expériences, son caractère. Mais ce que je découvre notamment dans ces livres, ce ne sont pas seulement les caractères et les vies de ces auteurs. Je découvre également les relations qu’ils établissent avec les autres : les parents, les amis, les femmes, mais aussi la nature, la société et le monde. J’apprends également comment ils vivent l’amour, ou comment ils conçoivent la mort. Autrement dit, je découvre leur rapport à soi, aux autres, au monde, à l’amour et à la mort. Chaque auteur a un rapport particulier à soi, aux autres, au monde, à l’amour, à la vie et à la mort, qu’il nous fait partager à travers ses écrits. C’est ce rapport qui caractérise l’identité de l’auteur.
Cet exemple littéraire vient donc de nous apprendre quelque chose : pour savoir qui je suis, je
peux interroger mon rapport à moi-même, aux autres, au monde, à la société, à la nature, à l’amour, à la vie et à la mort. Qui suis-je ? Je suis un certain rapport ou un certain regard sur
moi-même, les autres, le monde, la société, la nature, l’amour, la vie et la mort. C’est aussi la raison pour laquelle je peux considérer que je suis un certain point de vue sur le monde. C’est
ce que pensait le philosophe allemand Nietzsche. Chaque être humain se caractérise par son point de vue sur la vie, la mort, le sexe, l’amour, la société, la nature et le monde.
L'être humain découvre son identité dans la réalisation d'actes héroïques et libres. Car l'être humain s'accomplit dans la liberté. C'est ce qu'ont prouvé des milliers de Résistants, comme ici
Jean Moulin.
Car c’est ce point de vue, ce regard ou ce rapport particulier, unique, qui détermine bien souvent mes actes. Un exemple tiré de l’histoire va nous permettre d’éclairer ce dernier point. Pendant
la Seconde Guerre mondiale, en Europe, les résistants et les collaborateurs se définissaient par leurs actes. Un résistant découvrait réellement qui il était dans l’accomplissement d’un acte
contre l’occupant nazi et ses collaborateurs. Inversement, un collaborateur découvrait vraiment qui il était dans son action contre les résistants. C’est dans l’héroïsme, face au danger de la
mort et au nom du principe de la liberté que le résistant se découvrait de manière authentique. Cette idée a été notamment défendue par Victor Hugo, pour qui un homme se juge d’après ses actes,
et par Jean-Paul Sartre, philosophe français qui explique après la guerre de 39-45 que l’être humain se construit par ses propres actes.
Suffit-il de dire que Barack Obama est Noir pour définir son identité ?
Au terme de cette analyse, nous avons donc découvert au moins deux idées :
1. Ce n’est pas parce que l’on a toujours tendance à se définir en déclinant ses différentes appartenances (au genre, au pays, au nom, à l’âge, à la date de naissance…) que l’identité se réduit à l’appartenance. On a vu au contraire que l’appartenance à un ou plusieurs groupes ne suffit pas pour savoir qui je suis. Il ne faut donc pas confondre les concepts – un concept est une idée travaillée et précise ; le philosophe est celui qui transforme une notion vague et confuse en concept, c’est un créateur de concepts – d’identité et d’appartenance. Ce n’est pas parce que j’appartiens par exemple au groupe des Arabes que mon identité se réduit à « Arabe ». Il ne suffit pas de dire par exemple que je suis un Arabe pour me définir. Ce sont généralement les racistes qui confondent l’identité et l’appartenance, et qui réduisent un individu au genre ou au groupe culturel auquel il appartient. C’est ce que montre un philosophe français contemporain, Michel Serres.
2. Peut-être que l’identité est la somme de toutes mes appartenances. Mais à ce moment-là, je ne pourrai savoir qui je suis réellement qu’au moment de mourir. Ou bien, mon identité est de deux ordres :
A. Mon identité biologique est mon ADN, unique.
B. Mon identité est le point de vue, le regard, le rapport que j’entretiens avec moi-même, les autres, le monde, la nature, la société, l’amour, la mort et la vie. Ce rapport se traduit par des actes qui me donnent une idée de ce que je suis, de qui je suis, de ma valeur.
Reste à savoir une chose, qui fera l’objet des prochains débats du Club Philo : comment puis-je construire ma propre identité (au sens de 2. B) ? Qui m’aidera à construire mon identité ? Puis-je construire mon identité seul ?