Suis-je vraiment vivant ? Par Elise
Chère Mathilde,
Suis-je vraiment vivant ? Comment ai-je pu ne pas succomber alors que la quasi-totalité de mes compagnons d'infortune ont trépassé ? Mais bientôt, je ne serai plus de ce monde.
Ce matin, à sept heures, alors que le ciel était encore sombre, notre colonel donna le coup de sifflet, et, tels des fauves affamés, nous jaillîmes de la tranchée. Mes camarades chantaient et criaient : "Vive la France !" Ils furent interrombpus brutalement par les balles des fusils et les obus allemands. Nos Lebel ne nous servaient guère face à la mitraille aveugle. Je me mis sur le ventre et, avec mon ami Lionel, nous rampâmes sur plusieurs mètres. Lionel fut bloqué dans les barbelés ; je ne pus l'en sortir. Un obus explosa et je me retrouvais avec les entrailles de Lionel éparpillées sur mon corps. Je devins fou, j'avais peur, je hurlais, je recrachais des morceaux d'intestins ou de cerveau, je ne sais pas. En retournant dans la tranchée, je pris la décision de retourner à la maison, de sortir de cet enfer, que dis-je, de ce monde apocalyptique, où se mêlaient des corps en décomposition, des têtes seules, des bouts de jambes et de bras, des cris, des odeurs hautement pestilentielles.
Je réussis à me faire toucher à la main, mais le colonel m'a surpris, et, malgré les protestations de mes camarades, il décida de me conduire en cour martiale. Je ne sais pas quand j'y passerai, ni quand la décision, très probable, de me fusiller sera prise, mais, chaque seconde m'éloigne de toi, de ton odeur délicate, de ta peau douce et chaude, de ton sourire si charmant, de ton esprit si intelligent et si malicieux. Je pense à toi, à nous, si heureux avant cette fichue guerre contre les Fritz. A chaque instant ton visage m'apparaît.
Je t'aime.
Manech.