"La Guerre et ce qui s'ensuivit" de Louis Aragon par Lise et Raphaëlle
Louis Aragon, poète français du Xxème siècle, participe activement et témoigne de la Première Guerre mondiale (1914-1918) dans son poème « La guerre et ce qui s’ensuivit » publié en 1956 dans Le Roman inachevé. Ce poème est dédié à ses frères d’armes appartenant au même régiment ayant pris le train afin de rejoindre le front. Comment Louis Aragon parvient-il à rendre hommage à ses frères d’armes, à ses amis disparus ? Dans un premier temps nous aborderons le contraste entre le passé et le présent puis dans un second temps l’hommage à ses amis.
Le poète marque en effet un contraste entre l’avant et l’après-guerre. Ses frères d’armes avec qui il a rejoint le front lui ont laissé un souvenir marquant qu’il évoque et qu’il compare avec la réalité de l’après-guerre. Effectivement, il insiste sur la mort de ses frères d’armes : « tu n’en reviendras pas toi qui courais les filles », « vieux joueur de manille […] pour une fois qu’il avait un jeu du tonnerre. » Il utilise la répétition de « Tu n’en reviendras pas » aux vers 9 et 12 afin d’accentuer la différence entre leur vivant et la situation qu’il évoque, soit une fois arrivés au front. Il accentue une seconde fois sur ce contraste avec un personnage : « le tatoué l’ancien légionnaire. » Effectivement lorsque cet homme chantait auparavant il faisait danser les soldats ; aujourd’hui il ne peut plus car ils sont morts. C’est une comparaison : « les soldats...que ta danse secoue » (vers 18) « laissent pencher leur front et fléchissent leur cou » (vers 9)
Dans son contraste entre le passé et le présent, l’auteur exprime notamment sa tristesse et sa nostalgie. Il en témoigne d’abord d’une étrange façon, à travers l’ironie : « vous étirez vos bras » (vers 25), « vous avez une bouche et des dents » (vers 27). Il évoque ses compagnons comme s’ils étaient en bonne santé. Il s’agit d’humour noir puisqu’ils ne possèdent plus leurs membres. Cet humour dévoile une douleur d’acceptation de la part de l’auteur. Le fait qu’il n’accepte pas la situation est accentué par l’emploi du présent pour des actions passées : « le caporal chante » (vers 28). Sa tristesse est également exprimée par le lexique de la souffrance et de la mort : « douleurs » (vers 22), « pleurs » (vers 23), « dernières lueurs » (vers 17). Aragon témoigne aussi d’un attachement à ses frères d’armes avec les pronoms « nous », ou le déterminant « notre ». Cela révèle un lien entre les hommes de guerre. Malgré une acceptation difficile au début du poème, la dernière strophe se conclut avec une sorte d’enterrement qui peut traduire l’acceptation finale et le deuil.
Le poète utilise une métaphore tout au long de son poème : celle du train. Ce tarin, qui est un lien avec la réalité, puisqu’il s’est rendu au front par le train avec ses frères d’armes, pratique indirectement le périple des soldats lors de la guerre. Effectivement, le poète révèle le premier tableau de son poème, le commencement : « on part Dieu sait pour où ça tient du mauvais rêve » (vers 1), « le long de la ligne de feu » (vers 2) qui a un double sens, étant une métaphore, il désigne les rails et les champs de bataille. Lorsque nous avançons dans le poème, la situation des soldats évolue aussi puisqu’ils sont au bord du train et vont vers le front : « nous qui roulons » (vers 5), « la cargaison de chair », métaphore désignant les soldats qui ne sont plus vus comme de simples hommes. Nous prenons part directement dans leur périple, allant au front mais allant surtout à la mort : « roule au loin roule train des dernières heures » (vers 17). Au vers 26, Aragon nous dévoile la situation dans laquelle lui et ses frères d’armes sont : « arrêt brusque ». Cela met en valeur le contraste entre le moment où les soldats rejoignaient le front (début du poème), où ils commençaient à perdre espoir après la mort de quelques compagnons (milieu du poème) et la mort brusque et choquante (fin du poème). Il crée un lien entre ses souvenirs réels et la métaphore du train qui ont tous les deux la même issue : la mort les attend là où ils se rendent, au front.
Pour rendre son hommage, le poète passe par la réminiscence. Il passe par l’évocation de souvenirs sensoriels : « sent le tabac, la laine et la sueur » (vers 20), « fade parfum » (vers 7), qui apporte une dimension nostalgique au poème. Le poète décrit des personnes qu’il a probablement rencontrées pendant le trajet de train et la guerre : « vieux jour », « le tatoué l’ancien légionnaire », « jeune homme ». Il montre une proximité avec le pronom personnel « tu » repris plusieurs fois aux vers 9, 12, 16 et « toi » (vers 15). Il s’adresse directement à eux. Il narre ses souvenirs avec ses frères de guerre : « quand j’ai déchiré » (vers 11) et témoigne d’une complicité, révèle des moments qui paraissent joyeux dans un moment chaotique et meurtri.
Pour conclure, Aragon parvient à rendre hommage à ses frères d’armes à travers la réminiscence, le contraste entre les temps employés et les allusions sensorielles, mais aussi par le biais d’images et de métaphores, notamment celle du train qui a plusieurs sens, la mort de ses camarades mais surtout le souvenir qui mène au deuil. Nous pouvons relier ce poème avec le calligramme de Guillaume Apollinaire « La colombe poignardée et le jet d’eau », puisqu’ils évoquent tous les deux des amis disparus à la guerre.