Les Ailes rouges de la guerre d'Emile Verhaeren : interprétation littéraire collective

Publié le par Professeur L

Les Ailes rouges de la guerre d'Emile Verhaeren : interprétation littéraire collective
  1. Emile Verhaeren (1855-1916), « Ma chambre », Les Ailes rouges de la guerre (1916)

Question d’interprétation : comment le poète montre-t-il que la guerre est destructrice ?

Correction établie à partir des copies de Jessica, Corantine, Maëlys, Léna, Elysane et Elisa. Les mots ou phrases en italique sont insérés par le professeur.

 

            A l’image du poème de Guillaume Apollinaire intitulé « La colombe poignardée et le jet d’eau », le poème d’Emile Verhaeren « Ma chambre » extrait des Ailes rouges de la guerre insiste également sur la violence de la guerre et la solitude. Le poète accentue le fait que la guerre est universelle et tragique. Mais l’écriture apparaît aussi comme le moyen de lutter contre le sentiment de solitude que provoque la guerre. Nous pouvons nous demander comment Emile Verhaeren dévoile la dimension apocalyptique de la guerre. Dans un premier temps, nous verrons comment l’auteur démontre que la guerre est apocalyptique. Puis nous nous concentrerons sur la solitude et la nostalgie éprouvées par le poète.

 

            L’idée principale qui ressort d ce poème est celle d’une guerre violente, atroce mais aussi destructrice. L’auteur développe au fil de ses vers l’image d’une guerre apocalyptique. En effet, dans le poème, Verhaeren fait référence aux combats, qu’ils soient maritimes (« sur l’Océan », vers 10), terrestres (« les combats qui font trembler la terre », vers 8), souterrains (« Ô guerre dans le sol, vers 16) et aériens avec l’évocation des « zeppelins » au vers 12. On comprend alors que la guerre est partout. Elle est universelle. En outre, on observe la violence des affrontements au vers 8. Ce vers montre la puissance et l’ampleur de cette guerre avec le mot « trembler ». On peut aussi voir que la guerre est omniprésente et sa durée infinie. Le vers 6 : « qui vient et passe et qui s’arrête et passe encor » montre bien le grand nombre de fronts sur lesquels on se bat en permanence. Dans ce vers, on retrouve une métaphore de la guerre qui permet d’insister sur les combats qui n’ont pas de fin.

            Le poète insiste sur le côté destructeur de la guerre avec l’énumération au vers 13 de villes européennes qui ont connu de violentes batailles, et qui ont été détruites par les bombes. L’auteur nous démontre les horreurs et les conséquences négatives de la guerre que l’on peut voir grâce aux nombreux morts et blessés qu’il décrit au vers 7 : « Avec le défilé des mourants et des morts ». Le mot « défilé » insiste sur le grand nombre de victimes. On y trouve aussi une allitération en « m » qui permet d’insister sur les mots « mourants » et « morts », ce qui donne l’impression qu’ils sont incalculables. L’auteur met en valeur la guerre meurtrière en utilisant le champ lexical de la mort : « mourant » (vers 7), « morts », (vers 7), « sanglant » (vers 19), « sang » (vers 34) et « mourir » (vers 43). Cela permet d’accentuer la violence tragique de la guerre et peut produire du dégoût. Le poète réinvestit le motif de la danse macabre pour souligner l’idée selon laquelle la guerre est fléau qui n’engendre que la mort. Mais il n’y a pas que les villes qui sont touchées par la guerre. Le vers 18 : « Et des plaines aux monts, et des fleuves aux bois » nous le montre bien. Le poète utilise un parallélisme et une antithèse entre « plaines » et « monts » ainsi qu’entre « fleuves » et « bois ». Cela renforce l’idée que cette guerre s’étend et est partout.

            Ce poème est de tonalité tragique et épique, d’une part, parce qu’il représente la violence et l’horreur d’une guerre face à laquelle on se sent impuissant. La guerre est une tragédie, vécue comme une fatalité à laquelle on ne peut échapper. Le poète transcrit cette idée dans le vers 17 : « la fureur s’y condense et l’horreur s’y accroît ». Le jeu sur les sons « r » et « s » insistent sur la dimension à la fois épique et tragique d’une guerre toute-puissante. Le son « r » donne un effet de dureté de la guerre et le son « s » peut faire penser au sifflement des bombes. Ce passage est d’ailleurs marqué par des alexandrins coupés en hémistiches, dont le rythme rend compte de la violence impitoyable de cette guerre. Ceci renvoie à la tonalité épique, comme dans le vers 19 : « Tout est sombre et terrible et sanglant à la fois ». L’énumération et le rythme ternaire d’adjectifs qualificatifs relevant de l’horreur créent une ambiance fantastique. Les allitérations en « r » et en « s » créent une sonorité dure, à l’image de la réalité infernale que le poète cherche à dévoiler. Le vers 19 résume la guerre avec ses termes péjoratifs (« sombre », « terrible », « sanglant »). Cette phrase est pesante. Le poème est donc traversé par l’idée de la guerre. En effet, on repère de nombreuses répétitions ramenant sans cesse à la guerre, notamment avec l’expression « Depuis la guerre » qui apparaît dans les trois vers qui composent le refrain. On remarque donc que cette idée hante le poète, victime de la guerre.

 

Les Ailes rouges de la guerre d'Emile Verhaeren : interprétation littéraire collective

L’auteur nous montre que la guerre s’étend sur l’ensemble des territoires dans le monde, qu’elle est dévastatrice. Par conséquent, l’auteur ressent un moment de solitude et se livre au souvenir ému de ses proches disparus à cause de la guerre.

 

            La guerre provoque sur l’homme des séquelles physiques et psychologiques, et suscite solitude et tristesse. La poésie permet à Verhaeren d’exprimer ses émotions, ses sentiments personnels et intimes, ici la solitude et la nostalgie. Le lecteur ressent de la pitié et de la tristesse. Le poète ressent une souffrance morale. Sa souffrance morale est marquée par beaucoup de nostalgie. Le poète insiste sur la nostalgie grâce à la structure du texte. Non seulement la guerre est traumatisante, mais le souvenir de ses amis est presque aussi douloureux pour l’auteur. En effet, le poète débute et se termine par une strophe placée dans le présent de l’indicatif, dont la valeur est le présent d’actualité, qui nous plonge dans la réalité, tandis que la majorité du corps du texte fait référence à la nostalgie des amis perdus à la cause de la guerre. Le poète est comme dans un rêve nostalgique. Il reprend également un procédé traditionnel pour l’expression de la nostalgie, grâce à l’utilisation de questions rhétoriques pour interpeller les amis disparus. On retrouve ce procédé dans les poèmes lyriques du Moyen-Age, comme dans « La Complainte » de Rutebeuf ou « La Ballade des dames du temps jadis » de François Villon. La question rhétorique : « Dites, où sont-ils donc mes amis de naguère ? » est reprise dans le refrain qui entre donc dans la tonalité pathétique et lyrique. A travers cette question rhétorique on a l’impression que le poète n’accepte pas la situation. Ainsi, il s’adresse directement à nous lecteur, avec le verbe « dites ».  Le poète exprime ce qu’il ressent, c’est pourquoi les déterminants possessifs « ma », « mes » et le pronom personnel « moi » sont utilisés.

            Sa souffrance morale est marquée également par sa solitude. Verhaeren souffre de la solitude, de la séparation et de l’isolement, comme nous le montre le champ lexical de l’isolement : « solitaire » (vers 2 et 21), « délaissement » (vers 36), « abandon » (vers 36) et « seule » (vers 43). La cause de ce sentiment est bien sûr la guerre : « depuis la guerre » (vers 3 et 20). Il rend la guerre responsable de sa solitude. De plus, il exprime sa solitude à travers l’image de la chambre : « Elle est close et solitaire » (vers 21). On a une personnification de la chambre pour montrer la solitude. Elle est le reflet du poète. L’auteur débute vers 1 et 2 avec un parallélisme : « Ma chambre est close », « elle est close et solitaire ». Ce parallélisme permet de révéler l’isolement que provoque la guerre. Cependant, le thème du souvenir est primordial. L’évocation du souvenir en compagnie de ses amis lui permet de sortir de cette séparation, de cet isolement. La présence des termes mélioratifs « belles » (vers 25), « vaillante » (vers 29), « espoir » (vers 30) et « consoler » (vers 33) rassemble les bons moments, ainsi que la nostalgie. On remarque que lorsqu’il énonce ses souvenirs avec un ami, celui-ci n’est pas nommé. Il reste anonyme avec la périphrase : « Celui qui » (vers 32). Il se souvient de ses amis. Il ne les oublie pas. Il leur rend hommage. Ainsi, le passé simple et l’imparfait sont évoqués pour évoquer les souvenirs. Le poète fait aussi un lien entre le passé et le présent, pour se rassurer : « Voici le coin où l’autre mois » (vers 23), et « voici le siège où s’asseyait » (vers 31). Il met l’accent sur ses habitudes : « tous les soirs ». L’utilisation du passé simple au vers 24 : « Nous parlâmes à lente voix » exprime un passé révolu, avec une rupture et un changement que cause la perte de ses camarades, le replongeant ainsi dans ses souvenirs. Ainsi le vers 21 « De nos belles idées » sonne ironiquement ici puisque « belles » entre en contraste avec l’horreur de la guerre décrite précédemment. Le pronom « tous » au vers 32 souligne la récurrence de la présence de ses amis qui ne sont plus. Cette absence est explicitée par la négation restrictive au vers 41 : « car moi, ce soir, je n’ai pour compagnon que mon foyer ». On aperçoit un champ lexical du corps humain au vers 34 : « ma tête », « mon sang », « mes nerfs », qui montre son désespoir et sa pitié. Le poète se sent abandonné, comme on peut le lire dans le vers 36 : « En quel délaissement et en quel abandon ». Il se met à partager des moments avec une flamme personnifiée à la dernière strophe. Cette flamme représente le dernier souffle d’humanité ou l’espérance, puisqu’elle est « prompte à vivre ou à mourir », dans le vers 42. Ce peu d’humanité ou d’espérance est fragile, comme le souligne l’image de la flamme vacillante. Finalement, aux vers 44 et 45, il extériorise ses visions d’horreur avec les antithèses « au sombre et lumineux désir » et « s’allume ou s’éteint en mon âme », exprimant ainsi les séquelles psychologiques et les dissonances de son esprit.

 

            Au terme de ce parcours, Emile Verharen montre que la guerre est destructrice en mettant l’accent sur la solitude de l’auteur et sur l’horreur apocalyptique de la guerre. Il met notamment en lumière les conséquences négatives telles que les morts et les blessés en plus des destructions matérielles. Surtout, l’évocation d’une guerre sans visage, sans soldat, donne l’image d’une guerre où les machines et les armes ont remplacé les humains. C’est une manière habile et pertinente de révéler que la guerre est une source de déshumanisation. Les visions d’horreur créées par la guerre ne peuvent être extériorisées que grâce à la poésie, de même que c’est la poésie qui permet de maintenir vivant le souvenir des amis disparus. La poésie sert de thérapie à l’auteur, lui permettant de s’échapper quelques instants de l’horreur de la guerre.

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